Alors les Belges, heureux ?

Notre pays compte près de 15 % de personnes tout à fait satisfaites de leur vie. Pourtant, nous sommes, en moyenne, moins épanouis que nos voisins européens. Mark Elchardus, professeur de sociologie à la VUB, auteur d’une enquête et d’un livre (1) sur le bonheur, affirme que l’on peut mesurer celui-ci. Et trouver des solutions en cas de frustration

Un fait n’étonnera personne :  » les chances d’être heureux sont réparties de manière inéquitable « . Avec ou sans statistiques approfondies, nous ne serons ainsi pas surpris de constater une certaine marge entre riches et pauvres, Flamands et Wallons, érudits et moins qualifiés.

En revanche, l’évaluation précise de notre  » bonheur national brut  » (BNB) passe par l’analyse de plusieurs domaines susceptibles d’étoffer ou d’étouffer notre épanouissement. Parmi eux : le travail, l’argent, les relations sociales et la consommation.

Dans le domaine professionnel, la satisfaction découle des relations avec les collègues et du contenu du travail. Les frustrations sont engendrées par le stress ou par l’absence de perspectives de promotion. A ce sujet, Mark Elchardus prévient :  » Les patrons doivent réfléchir d’urgence à la structuration de la carrière. L’espoir et l’ambition, considérés comme de puissants facteurs motivants, sont scandaleusement sous-exploités sur notre marché de l’emploi.  » Avoir un travail rassure cependant et permet au Belge d’être comblé dans d’autres domaines.  » En examinant la corrélation entre la situation financière et l’expérience du bien-être, la sensation de pouvoir s’en sortir avec son revenu est celle qui contribue le plus au contentement. A l’inverse, l’impression de tirer le diable par la queue est celle qui rend le plus malheureux.  »

Il en va de même avec l’épargne.  » Ceux qui mettent régulièrement de l’argent de côté se sentent mieux. La somme économisée importe peu. L’essentiel est de remplir son bas de laine, même si on n’économise que 100 euros par mois.  »

Enfin, le fait d’acquérir son propre logement rend plus serein.  » L’emprunt, remboursé ou non, ne joue aucun rôle. Deux locataires sur dix n’ont pas l’esprit tranquille, contre à peine un propriétaire sur dix.  »

Du temps et rien d’autre

Après le labeur, les loisirs. A condition de trouver un créneau horaire. Parmi nos compatriotes,  » 34 % ne parviennent pas à profiter de leur temps libre, et 19 % ne parviennent même pas à accomplir ce qu’ils doivent faire. Plus de 10 % n’arrêtent pas de courir « .

A cette pression temporelle s’ajoute l’aspiration au délassement,  » nettement présente dans la tranche d’âge la plus active – de 26 à 55 ans « . Ce besoin de recul inassouvi contrarie fortement les travailleurs, bien plus que la pression elle-même. A cela s’ajoute la difficulté d’entretenir son réseau de contacts et de rencontrer régulièrement ses amis.

Près de 60 % des personnes interrogées répondent :  » Je ne me sens pas seul(e)  » et  » J’ai le sentiment d’appartenir à un cercle d’amis ». Plus de la moitié de la population est assez liée aux autres :  » 56 % des Belges rencontrent plusieurs fois par semaine des membres de leur famille n’habitant pas sous le même toit qu’eux, 52 % de nos concitoyens voient régulièrement des amis et des relations, ou bavardent avec leurs voisins « . Toutefois, ce qu’Alain Souchon a baptisé l' » ultramoderne solitude  » frappe durement certains Belges :  » 3 % d’entre eux ne voient jamais ni proches ni connaissances. Ce chiffre a priori faible équivaut quand même à 235 000 personnes.  »

Le manque de soutien ou, à tout le moins, le fait de ne pouvoir compter sur personne en cas de besoin augmente très clairement le mal de vivre.

Via la publicité et les médias de masse, la société influe aussi sur la félicité au niveau des besoins et des attentes.  » La prospérité n’empêche pas l’insatisfaction, due à l’escalade dans l’offre des produits de consommation. Choisir est un acte stressant, fréquemment accompagné de regrets quant aux choix réalisés et à ceux manqués.  »

On note aussi une frustration sexuelle chez beaucoup de nos concitoyens,  » les aspirations trop élevées en la matière étant probablement une conséquence de la révolution subjective et de la modernisation « .

Malgré toutes ces possibles causes de désagréments, la sagesse stoïcienne –  » ne pas trop faire dépendre son bonheur de circonstances sur lesquelles on n’a aucune prise  » – s’avère largement répandue au plat pays. 69 % adhèrent à l’assertion  » Je suis satisfait de ce que j’ai et j’essaie d’en profiter pleinement « .

En outre, près d’un quart des Belges sondés sont résolument optimistes et ont choisi les propositions  » Je suis sûr(e) qu’un avenir radieux m’attend  » ou  » A l’avenir, ma situation va toujours s’améliorer « . Avec 20 % de  » plutôt pessimistes  » et 15 % de  » très pessimistes « , un sentiment non négligeable d’incertitude vis-à-vis du futur est tout de même à souligner.

Bien que le bonheur ne dépende pas uniquement des pouvoirs publics, il serait peut-être temps que ceux-ci s’y intéressent. Selon Elchardus,  » de cette façon, les sociétés et les politiques pourraient découvrir les conditions qui mènent à l’équilibre, puis donner aux citoyens les connaissances et la possibilité de les appliquer à leur situation personnelle « . Et d’ajouter :  » Aujourd’hui, chacun peut évaluer son niveau de satisfaction, déterminer où il se situe par rapport aux autres et partager avec eux sa propre expérience, notamment via Internet.  »

S’ils le veulent, les Belges  » un peu, beaucoup ou pas heureux « , auraient donc la possibilité de s’informer les uns les autres et d’améliorer leur existence en se muant en une  » communauté apprenante « . Utopique et simpliste ou réalisable et révolutionnaire ?

Le Plus Grand Bonheur, M. Elchardus

et W. Smith (éd. Lannoo Campus).

Le dossier complet de l’enquête est téléchargable sur www.levif.be

Carol Thill

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