Qui va flinguer l’autre ?

C’est quand ils regardent ensemble dans la même direction qu’ils ne s’aiment pas… Nicolas Sarkozy et Alain Juppé sont de nouveau concurrents, et leur affrontement s’annonce sans pitié. Le sort de la droite française en dépend – et aussi celui de l’élection présidentielle de 2017.

Les coups de froid attrapés pendant l’été sont les pires. Nicolas Sarkozy et Alain Juppé avaient réussi, depuis plusieurs années, à normaliser leurs relations. Le premier estimait désormais comme établi que  » le meilleur d’entre nous  » n’était  » probablement  » pas le maire de Bordeaux, mais lui-même évidemment, puisqu’il avait été élu président de la République. Le second vivait sa vie, redevenu un temps ministre, et même populaire. Patatras. Après dix-huit heures de garde à vue, Nicolas Sarkozy est mis en examen au milieu de la nuit du 30 juin au 1er juillet, pour  » corruption active « ,  » trafic d’influence  » et  » recel de violation du secret professionnel « . Le lendemain, sur TF 1, il se livre à un véritable réquisitoire contre la justice. Il est profondément marqué par ce qu’il vient de subir. Et que dit Alain Juppé ?  » Vilipender une institution de la République, à savoir l’institution judiciaire, comme le font certains responsables politiques, ne me paraît pas une bonne méthode.  » C’est le genre de  » fêlure « , selon le mot d’un proche de l’ex-chef de l’Etat français, qui ne s’efface pas. Dans la foulée, alors que le triumvirat à la tête de l’UMP – auquel appartient Alain Juppé – s’interroge sur le paiement par le parti d’une amende infligée à l’ancien président pour le dépassement de ses comptes de campagne en 2012, Nicolas Sarkozy sort l’arme lourde. Avec ses amis, il répète à qui veut l’entendre qu’il y a une différence entre lui et Alain Juppé : le second a été condamné par la justice, pas le premier.

En août, la faille est psychologique – entre deux fauves, il ne faut jamais sous-estimer cet aspect de la réalité. Qu’Alain Juppé, qui annonce sur son blog sa candidature à la primaire pour l’Elysée, ne prévienne personne est une chose. Qu’il n’informe pas Nicolas Sarkozy en est une autre, et ce dernier ne le digère pas.

Les deux hommes viennent ainsi de rajeunir d’une quinzaine d’années. Quand ils bossent côte à côte, ils évitent à peu près les dérapages. Ils vont jusqu’à se faire des salamalecs. En 2012, à quelques mois de l’élection présidentielle, Alain Juppé est le seul responsable politique présent à l’anniversaire de Nicolas Sarkozy, qui l’a aussi convié, un peu plus tôt, au cap Nègre, la propriété de la famille de Carla Bruni, en toute discrétion. C’est quand ils regardent ensemble dans la même direction qu’ils ne s’aiment pas. La concurrence leur réussit peu. En 1999, la présidence du RPR (l’ancêtre de l’UMP) est vacante. Nicolas Sarkozy envisage de se lancer :  » Le plus dur à battre serait Juppé, mais il n’ira pas. Lui croit qu’il est plombé à cause des affaires, je crois qu’il est plombé pour des raisons politiques.  » Aucun des deux ne se présentera.

Trois ans plus tard, le maire de Neuilly vise le poste de Premier ministre. Celui de Bordeaux, qui a déjà coché la case, garde une influence considérable sur le président Jacques Chirac.  » Il m’a donné sa parole, les yeux dans les yeux, qu’il me soutenait, raconte alors Nicolas Sarkozy. Il a le droit de changer d’avis, au moins qu’il me le dise. Qu’il prenne garde, si j’ai du temps libre, je pourrais m’occuper de lui. Il préférerait que je n’existe pas, mais cela, ce n’est pas négociable.  » Le sens de la formule fera le reste. Un an plus tard, devenu ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy confie :  » Juppé est un excellent communicant. Il plante tout et il arrive à faire croire qu’il est le meilleur.  » Au cas où demeurerait un malentendu, il ajoute en guise de post-scriptum :  » Ça m’a fait du bien de connaître l’échec avec Edouard Balladur, sinon j’aurais pu devenir Juppé.  »

Aujourd’hui, plus aucune confusion n’est possible entre l’un et l’autre.  » Ce sont deux perceptions du monde, deux personnes qui n’ont rien en commun ou presque, note un fidèle de l’ancien Premier ministre. Chacun va vivre ce moment différemment.  » Un match entre deux responsables qui se respectent, certes, s’énervent souvent, se méfient toujours. En mars 2013, Nicolas Sarkozy et Alain Juppé partagent un avion privé pour un aller-retour en Libye. Le premier ne dit rien au second de ce qui l’attend le surlendemain : une convocation dans le cadre de l’affaire Bettencourt chez un juge, à Bordeaux.

 » Si les gens polis gagnaient, ça se saurait  »

Fini le temps des cachotteries, l’affrontement est public. La première séquence – qui relève plus du round d’observation, puisqu’ils ne sont pas encore montés sur le même ring, seul Nicolas Sarkozy briguant la tête de l’UMP – tourne à l’avantage de l’ancien Premier ministre.  » Il y a eu un moment Fillon, il y a maintenant un moment Juppé, relativise Gérald Darmanin, porte-parole de Nicolas Sarkozy. Si les gens polis, rassurants, qui donnent une image d’homme d’Etat gagnaient la présidentielle, ça se saurait. L’empathie compte beaucoup plus qu’une espèce de sérieux extérieur. En plus, le vote lors de la primaire sera bouleversé si, quelques mois auparavant, le Front national gagne une ou plusieurs grandes régions.  » De fait, on sait ce que valent les sondages à deux ans de l’échéance.  » Alain Juppé apparaît comme un contre-miroir de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, il faut transformer cela en envie « , reconnaît l’un de ses soutiens, l’ancien ministre Benoist Apparu.

Est-ce que, à 69 ans, Alain Juppé va entamer une carrière de candidat ? Si curieux que cela paraisse, il n’a jamais conduit sur son nom une bataille nationale, quand Nicolas Sarkozy peut s’appuyer sur trois expériences (européennes de 1999, présidentielles de 2007 et 2012). Est-ce que, à 59 ans, Nicolas Sarkozy va entamer une carrière de vieux sage ? Lui ne rate pas une occasion de rappeler qu’Alain Juppé a été son ministre et qu’il aura encore  » besoin de lui « . A quoi ce dernier répond en évoquant les années où  » Nicolas Sarkozy était [son] adjoint comme secrétaire général du RPR « .

C’est encore le temps des enfantillages. En attendant de savoir qui va flinguer l’autre, on s’échauffe, on se chauffe. Brice Hortefeux, ami de l’ex-président :  » Certains assassinent Jean-Claude Gaudin sur son âge, or Juppé, c’est la même chose, avec plus de finesse et d’intelligence.  » 1-0. L’Auvergnat est injuste, car le maire de Marseille a en réalité six ans de plus ! Edouard Philippe, édile du Havre et fidèle de toujours de l’ancien Premier ministre :  » Nicolas Sarkozy sait rassembler… (Il marque une pause.) les gens qui pensent comme lui.  » 1-1. Laurent Wauquiez, ancien ministre sarkozyste puis non sarkozyste puis pro-Sarkozy :  » Donnez-moi une idée neuve qu’Alain Juppé a mise sur la table depuis deux ans.  » Gilles Boyer, premier des conseillers juppéistes, à propos du meeting marquant le retour de Sarkozy, à Lambersart (nord de la France) :  » J’ai cru que c’était une rediffusion de 2012.  »

Les embûches qui les attendent sont parfois étonnamment identiques. Exemple : la loi Taubira sur le mariage homosexuel. En meeting à Vélizy (au sud-ouest de Paris), Nicolas Sarkozy, à qui est reprochée une certaine ambiguïté sur le sujet, s’exprime longuement.  » Vous avez compris ce que j’ai dit ?  » demande ensuite l’ancien président aux élus. Pas vraiment.  » C’était le but !  » enchaîne-t-il. Alain Juppé frôle aussi la sortie de route à la télévision, dans Des paroles et des actes. Très clair dans son hostilité à la PMA et à la GPA, il l’est beaucoup moins sur la question de l’adoption.

 » Il existe une gueule de bois de l’éloquence  »

Pour préparer cette émission, grâce à laquelle il a réussi à faire décoller sa candidature, Alain Juppé s’est isolé pendant près de quarante-huit heures. L’important est que son isolement ne se prolonge pas trop. D’ores et déjà, Nicolas Sarkozy joue les  » M. Muscle « . Il ne manque pas de faire le  » coup du meeting  » à ses visiteurs :  » Tu te rends compte, je suis obligé de changer de salle au dernier moment, tellement il y a de monde !  » Son directeur de campagne, Frédéric Péchenard, souligne que, dans le buzz politique tel que l’établit chaque semaine Le Figaro Magazine, Nicolas Sarkozy bénéficie, le 10 octobre, de 1 908 citations, plus que François Hollande (1 391), et tellement plus qu’Alain Juppé (827). Le storytelling est de retour. Le storytelling ?  » Une connerie « , prévient Alain Juppé.  » Nul n’ignore que Nicolas est une bête de scène, un lapin Duracell, et qu’il a une forme de magnétisme. Alain Juppé, lui, ne tape pas sur le ventre des gens, relève le député de la Savoie (est de la France) Hervé Gaymard. On ne refera ni l’un ni l’autre, mais je pense qu’il existe aujourd’hui en France une gueule de bois de l’éloquence.  »

Si tu veux la guerre, prépare la guerre. Face à la machine Sarkozy qui se constituera après son élection à la tête du parti, Alain Juppé doit  » structurer ce « désordre de courage », comme disait Malraux de la Résistance « , selon la formule du même Gaymard. Il n’ignore pas grand-chose du fonctionnement d’une formation politique, pour en avoir dirigé deux. Il a toujours eu le souci du détail. Pendant la campagne municipale, il passe un coup de fil à Nathalie Kosciusko-Morizet : à la candidate UMP à la mairie de Paris il demande de trouver une activité militante à son ex-femme – elle tiendra une permanence dans le XIVe arrondissement. Mais les juppéistes historiques se sont presque tous perdus dans la nature. Or, l’organisation que Juppé met en place, forcément plus artisanale, devra résister aux assauts de la formation que construira l’ancien président. L’UMP contre une PME, il y aurait de quoi en perdre son alphabet.

Parce qu’il s’affiche en grand rassembleur dans l’espoir de gagner facilement la présidence de l’UMP, Nicolas Sarkozy veille à ne pas agresser celui auquel il sait au moins gré de ne pas cracher dans la soupe de son quinquennat. Pour éviter la surchauffe médiatique, il hésite à organiser un meeting pour sa campagne pour la présidence de l’UMP à Bordeaux. Et Alain Juppé veille à ne pas s’abîmer, convaincu que, sur le terrain de la confrontation directe, Nicolas Sarkozy sera toujours meilleur que lui. Le 14 octobre, lors du bureau politique de l’UMP, il s’offre le luxe de prendre la défense de  » Nicolas « , en saluant les mesures adoptées pour limiter l’accès à l’aide médicale d’Etat pendant sa présidence – contrant ainsi les assauts d’une sarkozyste pur sucre, Nadine Morano, qui réclame de la supprimer sans plus de précautions. Juppé meilleur sarkozyste que Morano : dans la compétition qui commence, il s’agira de viser juste.

Par Eric Mandonnet, avec Benjamin Sportouch

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