» Pour la victime, il n’y a pas de bon terroriste « 

Comment réprimer le terrorisme sans augmenter la frustration des musulmans ? L’avis d’Alain Grignard, policier et islamologue.

Si la Belgique a rarement été visée par des attentats, elle sert de base arrière à des réseaux terroristes internationaux. Depuis le milieu des années 1980, Alain Grignard, commissaire et chef adjoint de la division du terrorisme de la police judiciaire fédérale de Bruxelles, surveille la  » marmite  » de l’islamisme radical. Avec un certain succès : les procès s’enchaînent. Islamologue de formation, attaché à l’ULB (Université libre de Bruxelles) et à l’ULg (université de Liège), le commissaire préconise une approche souple du phénomène. Car, d’après lui, la stigmatisation est contre-productive.

Le Vif/L’Express : Depuis l’invasion de l’Irak par la coalition américaine, les djihadistes du monde entier s’y donnent rendez-vous, comme autrefois en Afghanistan…

E Alain Grignard : C’est ce que révèle l’affaire de la filière irakienne qui a recruté et envoyé, en Irak, Muriel Degauque et son compagnon belgo-marocain Issam Goris. Les services belges suivent les individus qui se rendent en Irak ou en reviennent. Des réseaux sont démantelés. Mais les recrues se sont internationalisées. Aux côtés des Nord-Africains, il y a maintenant des Pakistanais, des Somaliens, des convertis, etc. La bipolarisation Est-Ouest d’avant la chute du mur de Berlin a été remplacée par un clivage Nord-Sud. Ceux qui instrumentalisent l’islam à des fins politiques recrutent dans les pays les plus pauvres de la planète. Les moyens de télécommunication rapprochent ces populations défavorisées d’un Occident riche et ne font qu’accroître leur frustration. En outre, ces pauvres vivent, le plus souvent, sous des gouvernements dictatoriaux et corrompus. Le nombre de personnes potentiellement frustrées s’y chiffre à 1,3 milliard.

Mais les djihadistes ne sont pas seulement des pauvres sans instruction, comme en témoigne le réseau de médecins asiatiques démantelé en Grande-Bretagne, par exemple…

E Plus l’individu allochtone aura fait d’efforts pour s’intégrer, en faisant des études, notamment, plus le sentiment de son rejet, réel ou supposé, risque d’être fort. Il supporte mal la différence qu’il lit dans le regard de l’autre à son sujet. L’intellectuel est un grand subjectif. Si, dans le cadre professionnel, par exemple, il finit en tête d’un recrutement ou d’une compétition et qu’il n’est pas choisi, il aura tendance à se sentir rejeté comme musulman, sans prendre en considération le fait qu’un autre que lui était peut-être un meilleur candidat.

Sur le plan policier, ce genre d’enquêtes et de filatures dans le monde musulman nécessite-t-il une approche particulière ?

E Il faut bien établir la distinction entre l’idéologie – sur laquelle un policier n’a pas à se prononcer – et la méthodologie, en l’occurrence, le terrorisme. Pour la victime, il n’y a pas de bon terroriste, même si la cause palestinienne ou kurde lui était sympathique. La solution au terrorisme n’est ni policière ni militaire : elle est structurelle. Mais, en attendant que les responsables politiques trouvent la clé au problème, en favorisant l’accès à l’éducation, par exemple, ou en redistribuant plus équitablement les richesses, cela peut prendre des décennies. Pendant ce temps, le devoir des policiers est de limiter les dégâts, tout en respectant la loi, en graduant intelligemment leurs interventions, pour ne pas créer de nouvelles frustrations dans des populations déjà fragilisées… Nous, policiers, devons expliquer notre démarche aux intéressés. Nous ne livrons pas un combat idéologique. Nous devons connaître et respecter une culture qui n’est pas la nôtre. C’est capital. Ainsi, en perquisition, si nous pensons que des matières dangereuses sont cachées dans un exemplaire du Coran, même s’il s’agit d’un livre sacré, nous l’ouvrons. Il nous faut faire preuve de tact. Mais nous devons aussi faire notre travail policier. Avec toute la fermeté que cela suppose.

Entretien : Marie-Cécile Royen

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