Rêves inquiétants aux confins de l’inconscient

Rêves étranges… Songes hallucinants explorant les méandres de l’inconscient. Une centaine de gravures et dessins – signés Rops, Klinger, Kubin et Simon – viennent réveiller nos cauchemars les plus inquiétants. Un voyage entre hallucinations et provocations.

Dévoilé en exclusivité à Paris, Ombilic du Rêve compte parmi les événements programmés dans le cadre de Mons 2015, capitale européenne de la Culture. Fin février, l’exposition sera proposée au Musée royal de Mariemont. Et si nous savons déjà que le parcours belge rassemblera quelque 200 pièces, soit presque deux fois plus que la sélection parisienne, il ne fait aucun doute que cette  » première  » constitue une entrée en matière réussie.

Aux cimaises, les visions fantasmatiques et hallucinées du monde livrées par quatre artistes caractéristiques d’une  » Fin de Siècle  » énigmatique. Si Félicien Rops (1833-1898) préside le quatuor, ses trois  » disciples  » – qui ouvrent tout aussi grand les portes de l’inconscient – se révèlent fascinants. Graveur virtuose, Max Klinger (1857-1920) représente avant l’heure le pendant graphique d’éléments mis en exergue par Freud (Paraphrases sur la découverte d’un gant). Alfred Kubin (1877-1959), lui, livre un travail très référencé d’un point de vue autobiographique. Une production profondément originale teintée de symbolisme. Des images à l’ironie grinçante et noire, grotesque, macabre ou délirante. Dans cette humanité dépassée par des forces obscures et oppressantes, la monstruosité et la machine tiennent une place de choix. Et puis, il y a Armand Simon (1906-1981). À l’écart, il se dédie au dessin après sa découverte des Chants de Maldoror de Lautréamont. Un ouvrage qu’il a lu, dit-il, avec l' » impression de toucher quelque chose de dangereux et d’interdit « .

Les frontières de l’insondable

Ombilic du rêve : point de départ du propos, cette expression empruntée à Sigmund Freud définit cette partie du rêve qui demeure insondable. Une limite indépassable. Ainsi, l’ombilic du rêve – qui nous renvoie au nombril, noeud-cicatrice qui symbolise à la fois la fin du monde utérin et le début de la  » vraie  » vie – affirme que  » chaque rêve comporte au moins une partie qui ne peut être creusée jusqu’à son fondement, comme un nombril, un ombilic qui le met en relation avec l’inconnu  » (in L’interprétation des rêves, 1899). Un espace impénétrable, insondable, inexplorable.

Pour Freud, l’interprétation des rêves permet de nous éclairer sur ce que nous sommes. Il va ainsi utiliser ses expériences, sa vie onirique dans le développement de ses théories. Pour preuve, l’ouvrage à l’origine de sa renommée décortique 160 rêves dont un bon tiers de lui. Comme Freud, les artistes réunis ici ont signé des oeuvres – gravures et dessins – singulièrement imprégnées de leurs histoires personnelles. Un  » élément  » parfaitement résumé dans un essai de Montaigne qui déclare :  » Je suis moi-même la matière de mon livre.  » Une phrase qui convient aussi bien au psychanalyste qu’aux quatre artistes plasticiens. Une façon d’extérioriser (pour mieux exorciser ?) leurs tourments, névroses et hantises.

L’exposition sonde cinq thèmes en particulier : le rêve, le féminin, l’érotisme, la mort et  » l’inquiétante étrangeté « . Des angles d’approche que partagent la psychanalyse, la littérature et l’art. Le parcours, conçu dans une optique labyrinthique, permet de passer d’un thème à l’autre avec une grande fluidité. Un choix scénographique qui insiste également sur la porosité qui existe entre ces différentes thématiques. C’est une réalité. En observant les oeuvres qui sont ici rapprochées, on ne peut que confirmer : il existe bel et bien de la continuité entre les différents choix esthétiques. Au-delà des correspondances, il y a également des différences : chaque artiste a tenté d’aborder ces sujets, focaliseurs de préoccupations communes, à travers le filtre de sa sensibilité mais aussi en fonction de ses capacités techniques.

Sofiane Laghouati, commissaire de l’événement, insiste sur les nombreuses nuances qu’un thème peut receler. Il prend pour exemple  » le féminin « .  » Pour ces hommes de la fin du XIXe siècle, la question du féminin peut être traitée de manière analogue mais il existe aussi des approches très différentes… Rops compose une sorte de triangulation liant le diable, le féminin et la mort. La femme est alors considérée comme une dénonciation des travers de la société bourgeoise. Chez Klinger, qui occupe une position très en avance sur son temps, les femmes sont des victimes de la société. Kubin montre la femme dans ce qu’elle peut avoir de hiératique. Elle peut incarner Babylone la Grande, la pécheresse… Aux yeux de Simon, la femme est source d’angoisse. Il en livre des représentations presque pathologiques qui se nourrissent de ses traumatismes personnels (entre autres une scène effroyable de viol, dont il est le témoin, qui va définitivement nouer la sexualité à la mort).  »

Souvent engagées sur le terrain de la provocation, les oeuvres révèlent un érotisme pactisant allègrement avec le diable, une perversité qui s’affiche sans fard et de nombreuses matrices, antres de tous les vices. Des images fortes où se conjuguent sexe et mort, rêve et inquiétude, étrangeté et désarroi, femmes troubles et monstres sataniques.

Une des plus belles collections de Rops

Au-delà des apports internationaux (Autriche, Pologne, France), cette exposition est également une belle occasion de mettre en évidence le formidable ensemble d’oeuvres de Félicien Rops dont dispose le Musée royal de Mariemont. Une institution qui doit beaucoup à Raoul Warocqué, riche industriel et amateur d’art avisé dont l’habitation et les collections ont permis de fonder le musée… A la fin du XIXe siècle, il se constitue un véritable trésor. En 1892, alors âgé de 22 ans, il déclarait :  » Je puis sans me vanter dire que j’ai ici en Belgique une des plus belles collections de Rops.  » Un ensemble de quelque 650 pièces composé de dessins, de gravures, de lithographies, de lettre autographes et de frontispices scandaleux.

Enfin, le livre d’art qui accompagne l’exposition offre l’occasion de découvrir, outre les oeuvres majeures de chaque artiste, plusieurs récits d’écrivains contemporains. Une publication pointue et copieuse explorant les profondeurs d’artistes subversifs n’ayant pas froid aux yeux.

Ombilic du rêve. Dessins et gravures de Félicien Rops, Max Klinger, Alfred Kubin, Armand Simon, au Centre Wallonie-Bruxelles, 127-129, rue Saint-Martin, Paris IVe. Jusqu’au 4 janvier 2015. www.cwb.fr

Au Musée royal de Mariemont, 100, chaussée de Mariemont, à Morlanwelz. Du 28 février au 31 mai 2015. www.musee-mariemont.be

Par Gwennaëlle Gribaumont

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire