Hamas La victoire en déchantant

Un mois après son coup de force à Gaza, le mouvement islamiste tente de régner sur le territoire où vivent 1 mil- lion et demi de Palestiniens. Mais les soutiens et les moyens lui font défaut.

De notre envoyé spécial

L’ordre règne à Gaza. Un mois après la guerre civile éclair qui l’a ensanglantée, la mince bande de terre palestinienne a retrouvé un visage normal ou presque. Vainqueurs par KO de leurs adversaires du Fatah, les islamistes du Hamas ont restauré le calme, au prix de raids parfois musclés contre les ultimes bastions de leurs rivaux.  » Le chaos qui régnait ici était artificiel, explique Raji Sourani, directeur du Centre palestinien pour les droits de l’homme. On l’a créé de toutes pièces afin de discréditer le Hamas. Désormais, ses hommes nettoient les rues, régulent le trafic et collectent les armes aux mains des grandes familles.  » Libérés de la hantise des fusillades qui pouvaient éclater à tout moment, les habitants ont repris la routine des mois d’été : travail le matin, sieste ou plage l’après-midi et promenade en famille, le soir, sur l’avenue Omar Al-Mokhtar, les  » Champs-Elysées de Gaza « , que jalonnent les vendeurs de glaces et de cassettes de pop libanaise.

Maîtres incontestés, les dirigeants islamistes redoutent cependant d’être pris au piège de leur victoire. Car à l’hostilité unanime de la communauté internationale et au bouclage hermétique de l’armée israélienne (voir ci-contre) s’ajoute désormais la vindicte du président Mahmoud Abbas, patriarche humilié par le pillage de ses bureaux de la Mountada. Depuis Ramallah, où l’ont rejoint les vaincus de Gaza, tel Mohammed Dahlan, ancien patron du contre-terrorisme palestinien, le chef de l’Autorité s’efforce de transformer la victoire militaire du Hamas en débâcle politique. Fort du soutien renouvelé de la communauté internationale, le gouvernement d’urgence dirigé par l’économiste Salam Fayad a versé, pour la première fois depuis février 2006, un salaire complet aux 150 000 fonctionnaires palestiniens. Un ballon d’oxygène dont sont privés les employés nommés par les islamistes depuis leur victoire électorale en 2006, notamment les 6 000 membres de la Force exécutive, la police du Hamas. Certain de sa légitimité, le nouveau cabinet sabote ouvertement la gestion du gouvernement d’Ismaïl Haniyeh, limogé par Abbas mais toujours en place. En ordonnant, par exemple, au bureau du procureur de Gaza de cesser le travail, aux policiers de rester chez eux et aux entreprises de ne plus facturer la TVA à leurs clients.  » Le Hamas a voulu et planifié intégralement son coup d’Etat, accuse Zakariya al-Agha, le nouveau chef du Fatah dans la bande côtière. Qu’ils se débrouillent ! Tant que ses hommes pourchasseront nos militants (voir ci-contre) et qu’ils occuperont les bases des services de sécurité, aucun dialogue ne sera possible.  »

Afin de contrecarrer cette man£uvre, le Hamas a adopté depuis peu un profil bas. Le drapeau vert , hissé dans l’euphorie de la victoire sur les bâtiments publics, a été remplacé par l’étendard palestinien.  » C’est la débandade des forces du Fatah qui nous a obligés à prendre le contrôle de toute la bande de Gaza « , assure Ghazzi Hamed, porte-parole de Haniyeh et modéré notoire, qui concède des  » erreurs « , notamment le saccage de la Mountada.  » Nous n’avons pas l’intention de gouverner Gaza et surtout pas d’y établir un Etat islamique. S’il y a un accord pour réformer les services de sécurité, nous sommes prêts à évacuer toutes les bases saisies par nos forces.  » Une proposition rejetée par Abbas, qui exige au préalable des  » excuses « .

Comment résoudre la crise ? Comment endiguer la scission désormais politique entre la Cisjordanie et la bande de Gaza, qui menace de ruiner toute perspective de résolution du conflit israélo-palestinien ?  » Abbas aurait dû venir à Gaza dès le 15 juin, au lendemain même de la victoire du Hamas, tonne Raji Sourani, un fort en gueule connu pour ses opinions de gauche. Il est grotesque d’accuser de coup d’Etat un mouvement qui a la légitimité des urnes et qui pendant un an et demi a été systématiquement empêché de gouverner par la bande de gangsters qui instrumentalisaient les services de sécurité. La seule solution, c’est le dialogue, immédiat, sans préconditions. A défaut, notre cause est perdue pour les trente prochaines années.  »

Journaliste à la télévision palestinienne et célèbre pour avoir, parmi les premiers, dénoncé la corruption du régime de feu Yasser Arafat, Hassan Kashef soutient à l’inverse la politique d’ostracisme menée par Abbas :  » Le Hamas parle de dialogue, mais, sur le terrain, il ferme les radios de ses opposants, noyaute les mosquées, intimide et menace tous ceux qui lui résistent. Après avoir accepté de former le gouvernement en 2006, il vient de se tirer une nouvelle balle dans le pied avec ce coup de force. Abbas peut réussir en acculant le mouvement dans ses derniers retranchements et en démontrant qu’il n’a pas les moyens de répondre aux besoins des citoyens. Le Hamas doit faire machine arrière, afin qu’Abbas consente, peut-être, à faire un pas en avant.  »

Dans tous les cas, le dialogue, avec ou sans conditions, reste la seule issue crédible. L’Arabie saoudite et l’Egypte, pourtant critiques envers le Hamas, travaillent en sous-main à rapprocher les frères ennemis palestiniens.  » Personne n’interviendra militairement à Gaza pour chasser Haniyeh et les siens, prédit un diplomate étranger. Surtout pas le Fatah, qui n’a plus aucun pouvoir sur place et qui n’en a guère en Cisjordanie. Les pourparlers sont inévitables.  » Reste à savoir combien de mois, voire d’années, seront perdus avant que Fatah et Hamas conviennent, une fois pour toutes, qu’ils sont condamnés à partager le pouvoir. l

Benjamin Barthe

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