Sortie du chapeau

Son arrivée au gouvernement fédéral tient un peu de la fable : elle est la première personne de couleur à y faire son entrée. Et n’y a-t-il pas un brin de magie à passer du statut de chômeuse à celui de secrétaire d’Etat ?

Elle a été une enfant sans histoire ou, plutôt, pleine de belles histoires. Rien à voir avec ces musiciens envoûtants, ces artistes du ballon rond ou ces dieux des stades venus du Sud, de ce côté de la terre où la vie est une dramaturgie, et qui courent avec des souvenirs de misère, de sécheresse, de famine ou de guerre plein la tête, portant sur leurs épaules les rêves de tout un peuple. Gisèle Mandaila (bientôt 35 ans) n’a pas connu la pauvreté absolue. Elle n’a pas avalé 15 kilomètres par jour, pieds nus et cahiers sous le bras, pour aller à l’école ou chercher l’eau au puits. Sa famille, à Kinshasa (Congo), vivait assez bien : un père professeur, assistant de laboratoire à l’Institut supérieur de sciences infirmières dépendant de l’université, et une mère infirmière. L’enfance africaine de Gisèle et de ses trois s£urs fut plutôt insouciante, comme devraient l’être toutes les enfances : une maison spacieuse, un grand jardin, une bonne école catholique rattachée au diocèse et sans doute un peu coûteuse, des parents à l’esprit ouvert et soucieux de l’éducation de leur progéniture.  » En dehors des heures d’école, je jouais tout le temps dehors avec les copines du quartier. Mais, contrairement à d’autres, qui n’avaient pas d’heure pour rentrer, moi, je devais être de retour dans l’  »enclos » familial à 18 heures, au plus tard, avant le coucher du soleil : une torture !  » De banales préoccupations de gosse, comme l’horripilation qu’elle éprouvait à l’interdiction qui lui était faite, par un paternel soucieux d’hygiène, de courir pieds nus. Il y a de pires soucis que ceux-là…

De son arrivée en Belgique, à l’âge de 11 ans, elle ne garde aucun souvenir particulièrement traumatisant :  » Mon père avait reçu une bourse pour faire des études à l’ULB. Un jour de décembre, après environ une année de démarches, ma mère a obtenu les visas pour que nous puissions le rejoindre en Belgique. L’avion est arrivé plus tôt que prévu à l’aéroport, papa n’était pas là pour nous accueillir. On n’avait pas de manteau ; je me souviens du froid.  » Elle doit faire son deuil, aussi, de l’espace, du plein air et de la convivialité. L’appartement déniché rue de la Tulipe, à Ixelles (Bruxelles), est fort petit pour 6 personnes :  » Pas question d’y inviter des amis, que nous n’avions d’ailleurs pas, ni de courir en rue dans une ville inconnue.  » Quel- ques jours après l’arrivée, les enfants Mandaila vont déjà à l’école û catholique û toute proche :  » Je n’ai eu aucun problème d’intégration : tout s’est fait naturellement et, au bout de quelques années, j’ai acquis la nationalité belge.  » Avant de décrocher un diplôme d’humanités secondaires techniques en comptabilité, Gisèle prend goût à la chose politique, au débat d’idées et à l’animation. Grâce au cours d’actualité, elle se jure d’apprendre le fonctionnement du monde, les rapports de force, les injustices. Certes, la politique étrangère û à commencer, évidemment, par la situation en Afrique û la captive davantage que les réalités belgo-belges, jugées alors aussi vaines qu’incompréhensibles par la jeune fille en fleur. Elle rejoint le cercle des étudiants congolais de l’ULB et ne rate jamais l’occasion de manifester son opposition au régime du maréchal Mobutu.

Belge avant tout

 » Et puis, un jour, je me suis dit que je vivais à Bruxelles, que j’étais belge, qu’il fallait que je m’investisse pour le bien-être de ceux, Belges et immigrés, qui vivent ici.  » Son amour pour la langue française et son intérêt naturel pour la défense des minorités l’amènent au FDF, rallié au MR, sur la liste duquel elle est élue conseillère communale à Etterbeek, en décembre 2000, avec 320 voix de préférence. A côté de la coopération avec le Congo (elle fait partie d’une association s’occupant de la réhabilitation des hôpitaux), elle s’intéresse aux jeunes en décrochage scolaire, aux personnes handicapées, aux familles en difficulté. Le début d’une aventure politique dont elle ne soupçonnait pas qu’elle allait s’emballer si rapidement…

En mai 2003, elle se présente, mais en vain, aux élections législatives fédérales. En juin 2004, 19e sur la liste MR à Bruxelles, elle ne réussit pas non plus à décrocher un fauteuil de députée régionale. Mais voilà : les remaniements survenus au gouvernement fédéral suite au départ de quelques poids lourds créent un appel d’air. Isabelle Simonis (PS), qui gérait le portefeuille de la Famille et des Personnes handicapées, est désignée présidente du Parlement de la Communauté française. La fonction se libère, donc, et û surprise û, c’est Gisèle Mandaila qui en hérite.  » Imaginez le tableau : j’étais en voyage de noces à Thassos, en Grèce ( NDLR : voici trois semaines, la belle a épousé un Belge attaché économique à l’ambassade de Belgique au Congo), à mille lieues d’un destin ministériel. Olivier Maingain, le président du FDF, m’a téléphoné, en me demandant de  » me tenir prête ». Et puis, c’est Louis Michel qui m’a appelée. A ce moment, j’ai imaginé qu’on pensait à moi pour une fonction de porte-parole, ou quelque chose comme ça. Finalement, j’ai appris la nouvelle par mon père : il avait entendu mon nom à la radio, mais mal prononcé ( NDLR : on doit normalement le prononcer  »Mandaïla », mais il se transforme souvent en  »Mandèla », sans doute en référence au célèbre Nelson). Il pensait avoir mal compris. Nous étions tous les deux aussi abasourdis l’un que l’autre !  » Gisèle est revenue dare-dare à Bruxelles et, le 20 juillet, elle a prêté serment : une nouvelle vie commence…

Un gadget ?

Et comment : avant son entrée au gouvernement, Gisèle était… chômeuse. Après quelques années d’errance étudiante, elle a décroché un graduat en marketing à l’Institut supérieur économique de Mons, avant de se lancer dans un post-graduat en gestion d’entreprise et dans une licence en sciences du travail, pour lesquels elle doit encore présenter des mémoires de fin d’études. Mais ni les études, ni la fonction de conseillère communale ne font bouillir la marmite : la jeune femme s’est donc inscrite dans une société d’intérim. En mai 2003, son dernier contrat est arrivé à terme : depuis lors, Gisèle pointait. Elle jure cependant que ces brusques changements ne lui monteront pas à la tête :  » Je vais travailler, m’atteler à concrétiser toutes les bonnes choses qui sont sorties des Etats généraux de la famille initiées par la secrétaire d’Etat précédente. Mon rêve ? Réconcilier les modèles familiaux belge et africain, c’est-à-dire encourager l’émancipation des femmes et des filles, et la liberté individuelle, tout en incitant à davantage de solidarité et au respect des aînés et des moins valides.  » Un gadget, Gisèle ?  » Je suis évidemment un signal en faveur de l’ouverture, un symbole contre l’extrême droite : à moi de prouver que je suis, aussi, quelqu’un de capable.  » Tout un programme…

Isabelle Philippon

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