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 » La N-VA et le PS sont des alliés objectifs qui se renforcent l’un l’autre « 

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Carl Devos, politologue de l’université de Gand, estime que le parti nationaliste craint comme la peste de devoir rester cinq ans dans l’opposition. « Si la N-VA est forcée de gouverner avec le PS, elle mettra sans doute le confédéralisme sur la table, dit-il. Sans le PS, elle mettra l’accent sur le socio-économique. »

Que pensez-vous du texte sur le confédéralisme qui est au menu du congrès de la N-VA, cette fin de semaine ?

Carl Devos : C’est un texte intéressant sur le plan politique et intellectuel, et cela ne veut en rien dire que je suis sympathisant de la N-VA comme certains ont cru bon de le dire.

Simplement: pendant de mois, on a dit que la N-VA était floue sur cette notion de confédéralisme, que ce n’était qu’un slogan. Et voilà la réponse!

Cela dit, avons-nous toutes les réponses? Non. Car dès après la publication de ce texte, des responsables de la N-VA – Jambon, Ben Weyts, De Wever – ont donné une série d’interviews dans la presse. Alors que le texte est clair, les déclarations politiques l’étaient nettement moins. Qu’en ai-je retenu? Pour De Wever, cette vision est « l’idéal », « ce que nous souhaitons », « notre rêve politique ». Selon Jan Jambon, « nous voulons une première phase après les élections de 2014 parce que nous savons très bien qu’il est impossible de réaliser ce rêve en une fois ». Pour Ben Weyts, « il est important que les partis formant le gouvernement fédéral avec nous acceptent le principe du confédéralisme, que ce soit inscrit dans le programme de gouvernement ».

Je me suis dit alors que l’on retrouvait le même débat qu’en 2010. Quel est le minimum minimorum pour la N-VA? Que veut-elle obtenir en matière de confédéralisme pour participer au gouvernement fédéral? « Ah, dit la N-VA, cela dépend de ce que sera le vote des électeurs flamands. Si nous obtenons 40%, nous aurons davantage d’exigences que si nous avons 30%. » En d’autres termes, la N-VA veut ce texte à long terme, mais on ne sait rien de ses exigences pour 2014.

On finira par le savoir, non?

Je ne sais pas. Peut-être. Depuis, Bart De Wever ne cesse de tenir un discours contre le PS. A l’issue de la réception de Nouvel An de la N-VA, des journalistes de TerZake ont demandé à une série de responsables de la N-VA s’ils voulaient gouverner sans le PS. Réponses? « Si c’est possible », « nous n’excluons personne », « on l’espère, on verra »… Là encore, la N-VA mélange une vision radicale de l’avenir du pays, affirme haut et fort qu’elle ne veut pas gouverner avec le PS, mais elle ménage par ailleurs toutes les possibilités.

Parce qu’ils savent que politiquement, il leur sera impossible d’aller aussi loin, non ?

En effet. La N-VA est un parti dont l’électorat est constitué de plusieurs public. Certains le suivent surtout pour ses promesses en matière institutionnelle, donc le confédéralisme, d’autres pour sa volonté de réformes socio-économiques profondes. Pour mettre en place le confédéralisme, le PS serait probablement nécessaire, pour le socio-économique, le PS est l’entrave. Si la N-VA est forcée de gouverner avec le PS, elle mettra sans doute le confédéralisme sur la table. Sans le PS, elle mettra l’accent sur le socio-économique. Si la N-VA veut les deux en même temps, elle devra faire de grosses concessions. Ce qui n’est pas évident pour un parti dont la participation au pouvoir doit être approuvée par une majorité des deux tiers de l’assemblée interne.

Il y a aussi une contradiction entre le fait que Bart De Wever pourrait être candidat Premier ministre tout en mettant en avant des exigences à ce point importantes qu’il serait impossible pour la N-VA de monter dans un gouvernement fédéral…

Je n’en suis pas sûr. Si la N-VA n’était vraiment pas prête à monter dans un gouvernement fédéral, elle aurait affirmé que ce programme confédéral est à prendre ou à laisser et qu’il est hors de question de discuter avec le PS. Je vois au contraire un pragmatisme dans les rangs de la N-VA. La N-VA pourrait se contenter de gouverner avec le CD&V au niveau régional, mais ce serait difficile à accepter pour l’Open VLD et le SP.A qui devraient gouverner avec le CD&V au niveau fédéral. N’oubliez pas non plus qu’une petite trentaine d’accords de coopération doivent être conclus pour concrétiser le sixième réforme de l’Etat. Or, la N-VA est opposée à cette réforme et en tant que numero uno du gouvernement flamand, elle risque de l’utiliser pour bloquer et démonter cette réforme pour obtenir des étapes vers le confédéralisme. Je peux m’imaginer une situation où la N-VA sait que si elle ne participe pas au fédéral, elle risque de se faire écarter du régional.

Je crois par ailleurs que la N-VA est sincère lorsqu’elle se dit désireuse de monter au fédéral pour réaliser des réformes sur le plan socio-économique en matière de fiscalité ou de sécurité sociale parce que c’est toujours là que les grands choix stratégiques s’opèrent. Ce n’est pas du théâtre. Non, je ne crois pas que la N-VA élabore une stratégie radicale afin de ne pas monter au fédéral.

Le problème ne sera-t-il pas qu’une telle participation au fédéral devrait être approuvée par une majorité des deux tiers de l’assemblée générale du parti ?

Ce sera très difficile, c’est vrai. S’il n’y a rien ou quasiment rien, en matière de confédéralisme, cela devra être compensé par des réformes socio-économiques ambitieuses.

Ce que je vais dire est peut-être surprenant, mais une N-VA à 40%, qui n’est pas ce à quoi l’on s’attend, est pour De Wever une situation plus délicate qu’un N-VA à 30%. Parce qu’à 40%, avec une N-VA incontournable, l’aile radicale du parti risque de réclamer le confédéralisme dès aujourd’hui. Avec 28 ou 30%, la N-VA devrait rester modeste, réaliste, pragmatique. Mais même dans ce cas-là, il y aura une tentation de cette aile radicale d’utiliser le gouvernement flamand comme arme contre le fédéral et exiger des concessions.

Quel est l’objectif du congrès de cette fin de semaine?

Ce sera avant tout un show médiatique. Mais les textes pourront être amendés, en mettant l’accent sur le socio-économique et l’image sociale du parti, et il devrait y avoir des discussions au sujet des priorités. Il reste aussi des zones d’ombre. La N-VA dit par exemple qu’il faut réduire le poids de l’Etat et réduire fortement les dépenses publiques, mais comment précisément? En matière de sécurité sociale, elle propose la limitation du chômage dans le temps, mais une telle mesure ne représente que quelques centaines de millions d’euros, cela ne suffit pas pour réaliser les économies suggérées. Elle propose de réduire la dette publique à 0% en quinze ans, mais c’est impossible!

Du côté francophone, le PS affirme que le scrutin du mois de mai sera celui du choix d’un modèle de société…

Evidemment. La N-VA et le PS sont des alliés objectifs qui se renforcent l’un l’autre. Sur le plan idéologique, la N-VA veut vraiment se débarrasser du PS, mais sur le plan stratégique, elle peut le remercier. Idem pour le PS, qui peut se présenter comme le défenseur des francophones. Cette réduction du débat à une match PS – N-VA, c’est bon pour les deux partis.

Le PS met aussi en garde contre un gouvernement de droite qui, en réalité, reste de la pure fiction?

De la fiction, oui. Je pense que le CDH n’acceptera jamais de rentrer au fédéral sans le PS. Du côté flamand, la N-VA ne met pas seulement en garde contre un gouvernement de gauche, mais bien contre les partis traditionnels, ceux qui défendent le système et qui n’osent pas opter pour le changement, dominés par le PS. La N-VA veut éviter un Di Rupo 2, qui passe toujours difficilement en Flandre.

L’image du gouvernement Di Rupo s’est fortement améliorée ces derniers temps, mais l’idée d’un Premier francophone et d’un gouvernement fédéral sans majorité flamande à la Chambre reste inacceptable pour beaucoup. C’est pourquoi Wouter Beke, président du CD&V, dit clairement qu’il ne veut pas d’un gouvernement fédéral sans majorité flamande, que le ministre Koen Geens réclame un Premier ministre flamand…

On sent dans les réactions du CD&V qu’il y a toujours des flamingants. La réaction de Stefaan De Clerck, qui prônait un rapprochement avec la N-VA, prouve que certains rêvent toujours d’un grand parti de droite populaire, un Forza Flandria à 40 ou 50%, un rêve qui remonte aux années 1950. De façon plus stratégique, le CD&V sent aussi qu’il ne peut pas laisser tomber ces électeurs flamands qui pourraient se distancier d’une N-VA trop radicale. C’est indispensable pour réaliser son objectif affiché de repasser au-dessus de la barre des 20%.

D’où cette notion de « confédéralisme positif » portée par le CD&V. Qu’est-ce que c’est exactement?

C’est difficile à dire. En mettant l’accent sur le caractère « positif », le CD&V veut surtout se distancier de la N-VA, mais on ne sait pas les réformes institutionnelles concrètes que ce parti propose. C’est le seul parti qui, à côté de la N-VA, souhaite négocier sur une réforme de l’Etat après le 25 mai. Mais au-delà de ce principe général, le parti ne précise rien. Même si je peux comprendre qu’ils ne veulent pas organiser eux-mêmes la critique de la sixième réforme de l’Etat en insistant sur ce qui ne s’y trouve pas.

Du côté flamand, on sent un rapprochement CD&V – N-VA. Du côté francophone, le prolongement de l’Olivier n’est pas exclu. Cela pourrait rendre ce pays difficile à gérer?

Ce serait difficile. C’est pour cela qu’il y a actuellement une tripartite au gouvernement fédéral et c’est probablement la formule par défaut pour l’après-2014. Le PS et la N-VA devraient être extrêmement souples pour pouvoir former une coalition ensemble, ce sera extrêmement difficile.

Mais je le répète: la N-VA est plus désireuse que jamais de gouverner au fédéral pour réaliser au moins une partie de son agenda socio-économique. Le confédéralisme, je n’y crois pas, car il faut une majorité des deux tiers et je ne vois pas Ecolo et Groen dépanner comme ils l’ont fait lors de cette législature, surtout pour mettre le dossier N-VA derrière nous. La N-VA s’accrochera-t-elle à son souhait d’avancer en ce sens?

Le congrès de la N-VA pourrait apporter des réponses?

J’attendrais de ce congrès que la N-VA précise sa stratégie en phases, explique ce qu’elle entend par une acceptation du « principe du confédéralisme » ou qu’elle dise si elle est prête à gouverner au fédéral sans une majorité des deux tiers.

Ce serait dangereux pour elle de le dire, non?

Oui, mais si elle n’y répond pas, on pourra lui reprocher de temporiser, de faire de politique comme les partis traditionnels. Un peu comme le CD&V.

Cela étant, si je devais définir la stratégie de la N-VA, je ne donnerais pas ces réponses, car en étant à ce point claire, elle risque d’effrayer certains électeurs. Ou de démontrer que voter pour elle est inutile si elle pose des conditions difficiles à remplir, voire contradictoires, comme dire à la fois qu’elle veut gouverner sans le PS, mais qu’elle veut une majorité des deux tiers.

Cela sonne bien: l’électeur décide. Mais que décide-t-il, en réalité? Cela étant, ces critiques à l’égard de la N-VA valent aussi pour les autres partis. Tous tiennent des discours ambivalents pour tenter de maximaliser leur stratégie face à l’électorat flamand.

Sur le plan idéologique, on dit de la N-VA que c’est un petit de droite, néolibéral. De Wever et Hosmans prétendent être « sociaux ». Où peut-on la situer?

C’est un parti nationaliste et conservateur, ce sont ses deux caractéristiques principales. Il a des accents néolibéraux, c’est vrai, mais ce n’est pas son profil principal.

Mais il prône moins d’Etat, par exemple?

Oui et non. Au niveau fédéral, moins d’Etat, c’est vrai, parce que c’est un parti nationaliste. Mais pas au niveau régional! Il veut renforcer les affaires publiques au niveau flamand, ce qu’un parti libéral ne ferait pas.

Quant à l’aspect « social dont la N-VA se revendique, ce n’est effectivement pas un monopole des socialistes, on peut en débattre à l’infini. Mais ils ont une autre approche de ce « social » qui me fait songer au « compassionate conservatism » des conservateurs ango-saxons. C’est la méritocratie: nous sommes sociaux, oui, mais pour ceux qui en ont réellement besoin. S’ils veulent limiter le chômage dans le temps, au risque de jeter un certain nombre de personnes dans les mains des CPAS, c’est précisément parce que le minimum vital permet de mener des enquêtes beaucoup plus approfondies au sujet des revenus de ceux qui en disposent. En d’autres termes, il s’agit encore et toujours de voir si les personnes que l’on aide en ont réellement besoin.

Il s’agit de maximiser le contrôle?

Voilà. Le plan budgétaire pluriannuel d’Anvers prévoit des investissements supplémentaires dans l’enseignement public et les CPAS, ce qui leur permet effectivement de dire qu’ils ont une approche sociale, mais différente des socialistes. Donc: la N-VA est nationaliste, conservatrice, méritocrate avec des accents libéraux. Ce n’est pas un parti libéral: elle met l’accent sur la nation davantage que sur l’individu.

La N-VA me fait un peu penser aussi à la CDU/CSU en Allemagne. Sur le plan du contenu, c’est un profil davantage lisible que celui du CD&V qui prône le personnalisme et défend la bonne gestion, l’expérience au pouvoir…

Au début de son gouvernement, Elio Di Rupo avait affirmé que l’on jugerait le bilan de son gouvernement sur un résultat: une baisse de la N-VA. Mais n’est-ce pas un rêve de penser que la N-VA pourrait disparaître ou éclater d’un jour à l’autre?

Plusieurs scénarios sont envisageables. Mais si la N-VA chute un peu, même d’un petit pour cent, même en restant le premier parti de Flandre, cela modifiera la perception médiatique au niveau émotionnel. Tout le monde estimera que son repli a commencé après des années de progression et d’opposition tous azimuts. Ce serait ça le signal, exagéré mille fois dans les médias. Et je ne parle pas d’une N-VA chutant de 4%. Cela modifierait considérablement le contexte psychologique de la formation d’un gouvernement.

Mais la N-VA est un parti intelligent. C’est pour cela qu’il n’évoque pas frontalement le débat institutionnel sur le confédéralisme, mais via un combat politique et idéologique contre le PS. C’est transparent, mais aussi génial, cela porte en Flandre où l’on déteste l’étatisme et une forme d’ancien régime. Cela force aussi les autres partis à défendre le parti avec lequel ils gouvernent. L’inconvénient, c’est que cela réduit singulièrement le débat en Flandre à l’heure où il y a énormément de défis: enseignement, allocations familiales, crédits logement…

Quelle est la vraie ambition d’un De Wever?

A mon avis, gagner les élections, obtenir des postes ministériels pour des autres, puis rester où il est, bourgmestre d’Anvers. Premier ministre? Ce serait très difficile, voire impossible. Et il n’en voudrait pas. Quand le roi Philippe a fait sa joyeuse entrée à Anvers, il portait une cravate avec le lion vénitien, cela témoigne de la difficulté émotionnelle pour un président de la N-VA d’épouser les symboles belges. Ministre-président? On pense plutôt à Kris Peeters, qui a déjà dit qu’il quitterait la politique s’il n’est pas chef d’équipe, voire à Hilde Crevits, qui serait la première femme à ce poste. Mais il est vrai que pour le CD&V, ce ne sera pas facile d’emmener un gouvernement dont il n’est pas le principal parti. Geert Bourgeois pour la N-VA? Il s’est déclaré candidat, mais Bart De Wever exprime pourtant son soutien pour Kris Peetes… Cela dit beaucoup.

Liesbeth Homans alors?

C’est aussi un nom qui circule. Elle est proche de De Wever, c’est vrai. Il y a plusieurs combinaisons possibles. Mais en Flandre, la clé de tout réside au CD&V, qui est la plaque tournante de toute coalition.

Encore un détail encore qui explique combien l’équation d’après-mai 2014 sera compliquée. On fait comme si les partis réalisaient des scores identiques aux trois scrutins – européen, fédéral, régional – mais rien n’est moins sûr. Il se pourrait que des résultats très différents entre niveaux de pouvoir et entre provinces rendent la composition des majorités encore plus délicate.

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