© Image Globe / JULIEN WARNAND

Le pari de la N-VA : ébranler l’empire du CD&V

Sauf exceptions, les chrétiens-démocrates et les nationalistes flamands se présenteront chacun de leur côté aux élections communales de 2012. Un choix qui révèle l’ambition de la N-VA de s’imposer à long terme comme un grand parti populaire et conservateur, au détriment du CD&V.

C’est par un simple communiqué – dix lignes, pas plus – que la Nieuw-Vlaamse Alliantie a annoncé qu’elle concourra sous ses propres couleurs aux élections communales de 2012. Une banalité trompeuse : avec cette décision, c’est tout un cycle de l’histoire politique récente qui s’achève. La page des cartels électoraux unissant sous une même bannière la N-VA et le CD&V est à présent bel et bien refermée (définitivement ?). Cette alliance structurelle installée en 2004, et qui a peut-être chamboulé le destin de la Belgique, n’avait déjà plus cours à l’échelon fédéral et régional. Au plan local, en revanche, les nationalistes flamands et les chrétiens-démocrates continuaient à travailler à l’unisson dans maintes communes. Ce ne sera bientôt plus le cas. La consigne de la direction de la N-VA vient de tomber : « Dans autant de communes que possible, la N-VA participera de façon indépendante aux élections de 2012. Nous encourageons nos sections locales à tout faire pour installer la N-VA sur la carte politique au plan local. » Le temps des cartels avec le CD&V, c’est fini.

Dès lors, tous les regards se tournent vers Anvers. Avec près de 500 000 habitants, le deuxième plus grand port d’Europe et une industrie chimique colossale, la métropole n’est pas seulement la première ville du nord du pays. C’est le véritable poumon économique de la Flandre. La lutte pour le mayorat s’y annonce décisive. Le Vlaams Belang, autrefois tout-puissant sur les bords de l’Escaut, ne menace plus de s’emparer de l’hôtel de ville. Mais un choc de titans devrait opposer Patrick Janssens, ex-président du SP.A et actuel bourgmestre de la ville, et Bart De Wever, président de la N-VA et nouvelle coqueluche de la population flamande. Que fera le CD&V ? Le parti dirigé par Wouter Beke, Kris Peeters et Yves Leterme ne possède guère de stars à Anvers. Mais comment se positionnera-t-il ? Les chrétiens-démocrates pourraient nouer un accord de majorité avec Bart De Wever, et porter ainsi un coup fatal au socialisme anversois, historiquement très fort. Ou, au contraire, choisir de contrecarrer les rêves de conquête de leur ancien allié nationaliste.

A Anvers comme dans d’autres grandes villes (Gand, Malines, Saint-Nicolas…), la N-VA compte bien siphonner l’important réservoir de voix du Vlaams Belang, le parti d’extrême droite étant aujourd’hui en pleine déconfiture. Ailleurs, dans cette myriade de communes semi-urbaines qui composent la verkaveling Vlaanderen (la Flandre des lotissements), les nationalistes espèrent surtout réussir un premier ancrage local. Mais avec l’ambition d’amorcer en 2012 une véritable révolution, et l’espoir de la concrétiser dès 2018 : s’imposer de façon incontestable comme le grand parti populaire flamand, la voix de la Flandre profonde, et mettre définitivement en pièces l’ancien empire du CD&V (ex-CVP).

Ce faisant, la N-VA anticiperait une future Flandre indépendante, où elle ne se positionnerait plus avant tout comme nationaliste, mais comme un parti conservateur, de gestion. Prudents, les dirigeants de la N-VA se gardent pour l’heure d’exprimer cette ambition. Mais leur choix de faire cavalier seul en 2012 confirme en pointillé cette stratégie, d’ailleurs audacieuse, tant l’enracinement local du CD&V paraît solide (lire l’interview du député Stefaan Vercamer page 20).

Ici et là, des cartels ne sont cependant pas exclus. Comme à Ypres, où le Premier ministre Yves Leterme a annoncé dès octobre 2010 qu’il conduirait à nouveau une liste commune CD&V – N-VA lors des prochaines élections communales. D’autres localités pourraient s’inscrire dans cette voie. « Mais la ligne générale est très différente de celle de 2006, note Carl Devos, politologue à l’université de Gand. En 2006, tant au CD&V qu’à la N-VA, la règle était : constituez des listes de cartel partout où c’est possible. Pour 2012, c’est : faites un cartel seulement là où c’est nécessaire. »

Cette décision intervient au moment où les relations entre CD&V et N-VA se sont nettement refroidies, loin de l’axe stratégique (re)constitué par les deux partis après les élections fédérales de juin 2010. En janvier dernier, la N-VA et le CD&V avaient l’un comme l’autre torpillé la note du conciliateur royal Johan Vande Lanotte. Mais, au printemps, leur connivence a paru se déliter à nouveau. Leur choix de ne plus faire cause commune en 2012 laisse-t-il augurer un divorce plus profond, qui pourrait bientôt éclater au grand jour ? « Non, tempère Carl Devos, la décision de la N-VA ne concerne que les élections communales. En déduire que, du coup, le CD&V pourrait monter au gouvernement fédéral sans la N-VA, c’est aller beaucoup trop vite en besogne. Il ne faut y voir aucun signe avant-coureur de ce qui va se produire quand Elio Di Rupo déposera sa note. » Tout devrait se jouer au moment, imminent, où le socialiste déposera une note devant servir de base à la formation du prochain gouvernement fédéral. « Le soi-disant front flamand N-VA – CD&V – Open VLD, c’est aujourd’hui un front très faible, pour ne pas dire inexistant, analyse Carl Devos. Mais si les trois partis devaient réagir de la même façon par rapport à la note Di Rupo, ce front pourrait alors se matérialiser très vite. » Ni aveugle ni angélique, le formateur Elio Di Rupo a bien cerné les périls qui pourraient bientôt l’assaillir. Il se donne… 5 à 10 % de chances de réussir sa mission.

François Brabant

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