Merah et son clan, derniers secrets

Alors que l’instruction sur les tueries de Toulouse et de Montauban, en 2012 en France, se termine, le livre du journaliste Alex Jordanov retrace l’itinéraire chaotique du jeune djihadiste. Avec des témoignages inédits sur lui et sur les siens.

Les photographes appellent cela  » déboucher les ombres « . Pour réussir un portrait par grand soleil, et éviter les trop forts contrastes, ils n’hésitent pas à utiliser le flash. C’est ce que fait, à sa manière, Alex Jordanov, dans son Merah. L’itinéraire secret. Le journaliste projette une lumière crue et intense sur ce personnage surexposé (déjà une dizaine de livres consacrés aux assassinats de Toulouse et de Montauban en mars 2012). Finalement, on ne connaissait l' » assassin au scooter  » qu’à grands traits.

Les informations issues des trois années d’enquête judiciaire et d’interviews, jusqu’au Pakistan et aux Etats-Unis, dessinent le parcours, noir et violent, d’un délinquant quasi paranoïaque, d’une brutalité maladive vis-à-vis des femmes, victime de son clan mais aussi protégé par celui-ci.

Le profil de Mohamed Merah a déboussolé les services antiterroristes, à l’image de cette policière – auteure de romans noirs à ses heures perdues – chargée de son interrogatoire à son retour du Pakistan.

Toutes les informations du livre ne sont certes pas si exclusives que le titre le suggère. Mais l’ouvrage, ultradocumenté, éclaire la personnalité des nouveaux djihadistes français, des frères Kouachi à Amedy Coulibaly, responsables des attentats de Paris, en janvier.

[EXTRAITS] L’assaut

(Le 21 mars 2012, en pleine nuit, le Raid, unité d’élite de la police française, donne un premier assaut à l’appartement de Mohamed Merah à Toulouse. L’une de ses soeurs, Aïcha, qui vit en face de l’immeuble, comprend que son frère peut être impliqué. A 5 h 49, elle appelle un membre de sa famille.)

– C’est Aïcha, ça va ?

– Oui, qu’est-ce qu’il y a ?

– Tu sais le tueur en série, là, il est juste en face de chez moi. Depuis 3 heures du matin, les flics ils ont encerclé mon quartier, ils disent que c’est un garçon de 24 ans, on pense à Mohamed. Ils disent qu’ils sont deux, deux frères.

[…] L’auteur de la série d’attentats qui secoue la France depuis dix jours a déjà exécuté à bout portant sept personnes : trois militaires, trois enfants juifs en bas âge et leur professeur. Un quatrième militaire, grièvement blessé, restera désormais cloué dans un fauteuil roulant.

L’enfance

(En 2002, les éducateurs sont dépassés par la violence du jeune homme. Ils le consignent dans un rapport.)

 » A ce jour, nous nous trouvons dans la situation d’accueillir en urgence un préadolescent qui témoigne d’une souffrance, d’une instabilité physique et émotionnelle importantes, ainsi que d’une forte réactivité à toute position venant d’une femme. D’autre part, la vigilance de l’équipe est nécessaire sur le plan relationnel, compte tenu des pressions que Mohamed exerce sur les autres et de son manque de limites. (Il) veut absolument retourner chez lui, ne parlant que de son frère et de sa chienne pour laquelle il a réalisé une niche.  »

Sur la route du djihad La Syrie (juillet 2010)

Depuis qu’il est sorti de prison (il a été incarcéré pour agressions entre 2008 et 2009), Merah a la bougeotte. En 2010, il sera à l’étranger près de la moitié de l’année. A la recherche des  » frères djihadistes « . Entre son voyage en Algérie et celui en Afghanistan il va visiter pas moins de sept pays. […] En juillet, il va discrètement s’éclipser de Toulouse. Soucieux de ne pas laisser de traces, il fait acheter par sa soeur Souad un billet aller-retour pour la Syrie, sur le site Go Voyages, deux jours avant le départ de Roissy.

Les deux soeurs, Souad et Aïcha, vont accompagner Mohamed en voiture à la gare de Toulouse, non sans incidents. Très remonté à cause de leur retard, il va briser la vitre du véhicule juste avant de monter dans le train pour Paris. Il passera la nuit dans la capitale, comme souvent, dans le XVe, ira au cinéma, avant de rejoindre l’aéroport Charles-de-Gaulle en RER le lendemain. Le 17 juillet, il s’envole pour Damas sur Czech Airlines. Après une escale à Prague, il atterrit en Syrie le 18 juillet 2010. Il présente son passeport algérien au poste de contrôle. Au négociateur de la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur) il dira qu’il a, dès son arrivée, trouvé sur place  » un frère  » de Pau chez qui il va être temporairement hébergé, un certain Cédric. Une fois de plus, il est difficile de croire qu’il a trouvé  » Cédric  » par hasard en sortant de l’aéroport. Merah savait très bien où il allait en arrivant à Damas.

L’Afghanistan (novembre 2010)

(L’auteure a retrouvé aux Etats-Unis le capitaine Dyson, du 504e bataillon de la police militaire américaine. Le soldat qui a interrogé Merah à Kandahar raconte.)

 » Au début, j’ai cru que c’était un journaliste free-lance, venu chercher le scoop, se faire un nom. Passé les habituels stéréotypes, il est évident qu’un type avec un nom musulman et un sac à dos quasi vide qui débarque tout seul à Kandahar pour faire le touriste sera interrogé. Un énorme voyant rouge s’allume. On n’est pas idiots. On ne fait confiance à personne. A chaque instant dans mon esprit, j’ai de la suspicion, quel que soit le détenu que j’ai en face de moi. On se méfie de tout le monde. Mais ce n’est pas une raison pour l’arrêter.

On lui demande comment il a atterri ici, d’où il vient, où il va, quelles sont ses intentions. […] On le laisse parler. Nous, on l’écoute. Il peut nous parler de ce qu’il veut. Même si cela paraît anodin, nous avons les réponses qu’il nous faut. On n’est pas dupes. Il a sa fiche biométrique à jour au cas où il reparaîtrait impliqué dans un incident quelque part ailleurs dans le monde, au Pakistan ou en Somalie.

Nous avons immédiatement prévenu les Français. Il y a un protocole. L’information remonte la chaîne de commandement. Je ne sais pas chez qui, chez eux, c’est arrivé. Les Français sont au bout de l’aéroport. Ils ont leurs avions de combat. Ils ont des éléments de leurs renseignements militaires ici, comme tout le monde. […] Ils nous ont dit de le mettre dans l’avion pour Kaboul et que leurs collègues de Bagram (base militaire située près de Kaboul) allaient le récupérer. Après, ce n’est plus de notre ressort. On fait ce que nos alliés nous demandent de faire. La police afghane l’a conduit à l’hôtel pour la nuit, puis à l’aéroport et l’a mis dans l’avion le lendemain matin.  »

Abdelkader

(A ce jour, Abdelkader Merah, le frère de Mohamed, est le seul mis en examen pour  » complicité d’assassinat  » dans le dossier judiciaire. Alors que l’instruction se termine, le  » mentor  » de Mohamed est toujours incarcéré. Un étrange personnage…)

La mort et l’au-delà le fascinent. Il aime emmener ses recrues à la morgue regarder les morts et pratique régulièrement des  » roqias  » (des désenvoûtements), qu’il prend le soin de filmer et de distribuer sur DVD ou clé USB à de potentiels clients. Il va jusqu’à interdire à son neveu traumatisé de consulter un psychologue :

 » Un jour, on est allés pêcher et on a vu un monsieur qui s’était pendu à un arbre. On a appelé la police. Après avoir vu le mort, j’étais suivi par un psychologue.

Kader savait que j’avais été choqué. Il me disait qu’il fallait arrêter car le psychologue m’éloignait du vrai. Il se vantait d’avoir vu des morts en Egypte et d’aller en voir à la morgue. Il trouvait ça beau, il aimait la mort.  »

(En octobre 2012, une conversation entre Abdelkader et sa mère, Zoulikha, est enregistrée en prison.)

Captés dans l’intimité familiale, les propos sont d’une arrogance extrême et vont choquer policiers, magistrats et avocats des victimes :

Abdelkader Merah : – Tu vois, Mohamed est parti, que Dieu ait son âme, pour la bonne cause.

Zoulikha Merah : – Un type au consulat m’a dit :  » C’est vous la mère des hommes bons ?  » Ils étaient contents (au consulat algérien).

A. M. : – C’est ça qu’ils ont fait, les Français, en Algérie. (Rires.)

Z. M. : – Il m’a dit :  » Tu as mis au monde des hommes…  »

A. M. : – … Oui, et un chien. (Une claire référence à Abdelghani Merah, l’aîné des trois frères, qui à plusieurs reprises a dénoncé l’influence d’Abdelkader sur Mohamed.) […] Par Allah, c’est le meilleur cadeau que m’a fait Mohamed. […] Par Allah, c’est le meilleur cadeau qu’il m’a été donné et c’est sérieux.

Merah. L’itinéraire secret, par Alex Jordanov. Nouveau Monde éd., 360 p.

Eric Pelletier

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