Les hépatites et leurs mystères

A, B, C… Elles se déclinent en suivant l’alphabet et s’arrêtent (provisoirement) au G. Pourtant, le  » I  » leur conviendrait :  » I  » comme indifférence, ignorance, injustice. En effet, mal connues ou méconnues, insuffisamment dépistées et traitées, les hépatites provoquent aussi le rejet de ceux qui en souffrent

Le gros problème, c’est sa dépression. » Voilà textuellement ce que m’a dit son médecin, quelques semaines à peine avant le décès de ma mère. En réalité, atteinte d’une hépatite C, elle était gonflée, incapable de bouger, couverte d’escarres. Elle accumulait les handicaps liés aux terribles conséquences qui frappent les personnes dont le foie n’est plus capable de fonctionner. Trois mois auparavant, mon père était décédé de la même maladie. La seule source possible de leur contamination provenait d’une même origine : un pédicure dont les instruments trempaient quelques minutes à peine dans un liquide rosâtre, entre deux clients. Mon père et ma mère sont morts dans de très dures souffrances et l’incompréhension totale de ce qui les frappait.  »

Le récit d’Anne est révélateur : en entourant ses parents malades, elle a, aussi, été confrontée à un problème de santé publique bien plus grave, en Belgique, que celui du sida.  » L’hépatite C est dix fois plus fréquente, dix fois plus contagieuse et elle tue dix fois plus « , constate le Pr Michael Adler, chef de clinique d’hépatologie à l’hôpital Erasme (Bruxelles). Pourtant, on n’en parle presque jamais.

Autour des hépatites, les mystères planent. Certes, les virus qui provoquent ces atteintes du foie caractérisées par la destruction de ses cellules ont finalement été identifiés, même si cela n’a pas été sans peine. Jusqu’aux années 1990, on parlait encore d’une hépatite  » non A « ,  » non B « , dont on connaissait tout ou presque… mais que l’on n’était pas encore parvenu à isoler pour lui donner le nom de  » C « . En tout cas, ces particules virales donnent encore bien du fil à retordre aux chercheurs et aux spécialistes, toujours en quête de traitements plus performants que ceux dont ils disposent ( lire en p. 54).

Les hépatites, combien de victimes ?

Les secrets de ces maladies ne s’arrêtent pas à leur cause : actuellement, comme le confirme le ministère de la Santé, le nombre de personnes atteintes en Belgique d’hépatites n’est même pas connu avec précision (on parle de 60 000 à 90 000 cas d’hépati- te C). Parmi elles, on compte certes des toxicomanes et des voyageurs. Mais aussi des hommes et des femmes qui ont été contaminés par une transfusion sanguine, un don d’organe, après une intervention médicale, un tatouage, un piercing ou parce que leur mère leur a transmis ce virus. Souvent, ils ne présentent aucun symptôme. Ils ignorent donc tout de leur problème, faute d’un dépistage. Dès lors, parfois, leur maladie progresse silencieusement et, surtout, en toute impunité.

Autre  » surprise  » : les modes de transmission de ces pathologies sont bien connus. Mais, dans notre pays, ils n’ont jamais fait l’objet de grandes campagnes d’information nationale. Quant aux traitements proposés aux malades, ces dernières années, ils ont grandement progressé. Mais il a fallu batailler ferme pour obtenir leur remboursement. Aujourd’hui encore, dans certains cas, tous les malades ne peuvent en bénéficier. Les hépatites seraient-elles, finalement, des maladies maudites ? Et ceux qui en sont porteurs, des parias ?

Après la peau, le foie est l’organe le plus lourd de notre corps. Il est, surtout, l’un des plus essentiels et indispensables à la vie. Ce véritable laboratoire remplit quelque 500 fonctions différentes. Elles vont du stockage du fer, des vitamines et du sucre au contrôle des graisses ou à la production de bile qui aide à digérer. Il permet aussi d’éliminer les substances toxiques ou de réguler les niveaux et les concentrations de la plupart des substances chimiques du sang. De plus, il assure un rôle essentiel dans le système immunitaire et les défenses de notre corps contre les infections.

 » En Belgique comme en Europe de l’Ouest, l’ennemi principal du foie, c’est l’alcool « , rappelle le Pr Jean Henrion, chef du service de gastro-entérologie à l’hôpital de Jolimont (La Louvière) et président du BASL (Belgian Association for the Study of the Liver, la société scientifique qui réunit la centaine d’hépatologues belges).  » Comme aux Etats-Unis, où il toucherait environ 20 % de personnes, le Nash (ou stéato-hépatite non alcoolique ou, encore,  » maladie du foie gras « , une pathologie liée à l’obésité, à l’hypertension, au cholestérol, à des triglycérides trop élevés) provoque, chez nous aussi, des lésions hépatiques en nombre croissant « , ajoute le Pr Adler. Mais les autres grandes causes des dégâts causés au foie proviennent de médicaments ou… de virus. Comme ceux des hépatites.

Les A, B et C sont les plus connues.  » La D ne pose de problème que lorsqu’elle s’associe avec la B, explique le Pr Henrion. La E est très rare dans nos pays occidentaux, sauf chez certains voyageurs, et elle se montre surtout nocive et dangereuse pour les femmes enceintes. La F… n’existe pas : des chercheurs avaient cru l’identifier, avant de constater leur erreur. La G ressemble à la C et s’y assemble, sans l’aggraver. Enfin, les chercheurs japonais ont donné les initiales de patients (SEN et TT) à des virus rares qui pourraient provoquer certaines formes d’hépatites post-transfusionnelles.  »

A, B ou C, et bien des soucis

Dans nos pays, les hépatites A, B et C suffisent largement aux soucis des médecins et des malades qui, pour certains, s’interrogent sans fin pour tenter de comprendre d’où leur vient cette infection potentiellement dangereuse.

 » Identifiée la première, l’hépatite A touche essentiellement les enfants. Elle est liée à des conditions d’hygiène déficientes : elle se transmet en effet par voie féco-orale, c’est-à-dire par de l’eau ou des aliments contaminés (comme les crustacés) ou, encore, via des mains souillées « , rappelle le Dr Yves Horsmans, chef du service de gastro-entérologie aux cliniques universitaires Saint-Luc (Bruxelles). On ne l’attrape qu’une seule fois dans sa vie. Actuellement, dans notre pays, ce sont les voyageurs qui risquent le plus d’être contaminés.

Généralement peu sévère, elle passe souvent inaperçue : les deux tiers des personnes atteintes n’en ont rien su, soit parce qu’elles n’ont présenté aucun symptôme, soit parce que les signes de leur maladie se sont confondus avec ceux d’une grippe. Les autres ont pu déclencher un ictère ( » une jaunisse « ) et d’autres, une forme plus dangereuse de la maladie.

Les personnes âgées de 80 à 90 ans sont pratiquement toutes immunisées contre l’hépatite A : elles ont rencontré le virus durant leur enfance, en raison de moins bonnes conditions d’hygiène. En revanche, actuellement, seuls 40 % des plus de 50 ans possèdent des anticorps capables de les protéger contre cette maladie.  » Or, quand une hépatite A aiguë survient chez l’adulte sous une forme fulminante (entraînant la destruction du foie), elle est bien plus grave que chez l’enfant « , souligne le Pr Henrion. Ce n’est donc pas par hasard si les spécialistes conseillent chaudement aux adultes non immunisés, s’ils aiment les voyages ou s’ils exercent des professions à risques (comme, par exemple, les pompiers volontaires), de se faire vacciner.

Contrairement à l’hépatite A, l’hépatite B fait figure, en Belgique, de problème de santé publique.  » Il s’agit de la première des maladies sexuellement transmissibles, rappelle le Dr Horsmans. Outre la voie sexuelle, ce virus hautement contagieux passe également de la mère infectée à son enfant mais, aussi, par voie parentérale, c’est-à-dire par des aiguilles ou des instruments infectés.  » Cela concerne donc autant des usagers de drogues qui échangeraient des seringues ou des pailles que tous ceux qui ont affaire à la médecine, à des pratiques paramédicales ou esthétiques (piercing, tatouage, coiffeur…).

Là encore, très souvent, la maladie, très contagieuse (3 risques sur 100 d’être contaminé avec une aiguille souillée), passe inaperçue ou se vit comme un épisode grippal. Mais elle se présente parfois sous forme d’un ictère, de nausées ou de problèmes gastriques. Dans moins de 1 % des cas, elle entraîne une hépatite fulminante, avec un risque mortel important et les nécessités d’une greffe de foie. Cela explique pourquoi, là encore, les spécialistes recommandent vivement la vaccination, tant chez les enfants que chez les adultes.

 » En fait, 10 % des malades deviennent des porteurs chroniques de la maladie (mais c’est le cas de 90 % des enfants infectés avant l’âge de 6 mois !), précise le Dr Horsmans. Mais ne dramatisons pas : pour une bonne partie de ces malades et sauf en cas de problème d’immunodéficience, cela ne posera pas de problème. Ils deviennent des ôporteurs inactifs » (porteurs ôsains »). Chez eux, entamer des traitements curatifs n’est d’ailleurs pas forcément une bonne idée. En revanche, pour les autres, le risque de développer une cirrhose puis, pour certains, un cancer du foie (hépatocarcinome) ne peut être exclu.  » Y compris chez des enfants de 15 ans.

 » Pour survivre, le virus a besoin d’un hôte chez lequel il se multiplie, complète le spécialiste. Il n’a donc pas forcément intérêt à tuer le malade, ce qui signerait sa propre mort. Mais le système immunitaire du malade peut chercher, lui, à se débarrasser de ce virus. Il va donc détruire les cellules atteintes : le foie enclenche alors un phénomène cicatriciel. Cette cicatrice se traduit par ce qu’on appelle une fibrose. Or cette dernière ouvre le chemin vers une cirrhose (ici, non alcoolique).  »

Actuellement, l’hépatite B est aussi celle qui pose le plus de problèmes de traitement, car, selon les cas et la forme du virus, plusieurs stratégies sont envisageables. Ainsi, par exemple, l’absence de transaminases, c’est-à-dire d’enzymes que l’on retrouve dans le sang des malades et qui montrent que le foie est en souffrance, n’indique pas forcément qu’il faut se passer de thérapie…

Les médicaments donnés par voie orale n’ont aucun effet secondaire. En revanche,  » ils présentent l’inconvénient d’être peu efficaces, avec environ 20 % de succès à un an et, aussi, le risque de provoquer des résistances du virus « , précise le Dr Horsmans. Mais, compte tenu des lourds effets secondaires liés aux autres thérapies, ils sont cependant souvent proposés en premier lieu. La thérapie à base d’interféron pégylé, qui vient de recevoir l’agrément de l’Agence européenne du médicament, devrait cependant modifier les traitements de l’hépatite B : elle ne provoque pas de résistance et son efficacité est supérieure à celle de l’interféron conventionnel.

Du mauvais sang

L’hépatite C, plus mortelle chez nous que le sida, mobilise tout particulièrement l’attention des spécialistes ( lire en p. 57). Transmise essentiellement via le sang (le risque de contamination sexuelle semble faible), elle est asymptomatique dans plus de 90 % des cas. Et, bonne nouvelle, elle s’élimine spontanément chez environ 20 % de personnes. De 70 à 80 % des malades deviennent porteurs chroniques du virus avec, pour 25 % d’entre eux, des risques de cirrhose, puis d’hépatocarcinome (3 % de risque par an, donc 30 % sur dix ans).

 » Une femme infectée à 20 ans et qui ne boit jamais d’alcool sera confrontée au risque de développer une cirrhose trente à quarante ans plus tard. Un homme touché à 40 ans et qui s’accorde 3 ou 4 verres par jour mettra dix ans, en moyenne, pour évoluer vers ce stade, précise le Pr Henrion : l’âge de l’infection, le sexe, l’alcool, l’obésité, le diabète de type 2 et ce que montrent les biopsies du foie font partie des éléments qui aident à pronostiquer l’évolution de la maladie  » ( lire en p. 53 ).

Avec l’arrivée de nouvelles possibilités de traitement, les stratégies de lutte contre le virus de l’hépatite C ont été complètement revues.  » De plus en plus, les porteurs chroniques nous demandent d’être débarrassés de leur virus afin de ne plus vivre en permanence sous sa menace « , constate le Pr Henrion. Plusieurs possibilités existent alors.

En fait, le virus de l’hépatite C peut se présenter sous différentes formes : c’est ce qu’on appelle les génotypes. Or tous ne répondent pas de la même manière au traitement.  » Sauf exception, explique le Dr Horsmans, pour les génotypes 2 et 3, nous proposons systématiquement le traitement car, en vingt-quatre semaines, il donne respectivement 80 et 90 % de succès. Mais, en Belgique, dans 60 % des cas, les personnes infectées via des transfusions sont porteuses d’un autre génotype, le 1. Pour eux, le traitement doit durer 48 semaines et le taux de succès s’élève à 45 % (60 % pour un génotype 4). Quant aux génotypes 5 ou 6, ils répondent encore nettement moins bien à la thérapie.  » De plus, certains malades, pour lesquels ce traitement (très coûteux) pourrait être bénéfique, clament les spécialistes, n’ont pas (encore ?) droit à un remboursement.

En réalité, après avoir été très enthousiastes face aux possibilités de traitement qui s’ouvraient enfin, les spécialistes font preuve d’une grande prudence face à ces médicaments. Ils savent, en effet, à quel point leurs effets secondaires posent problème.  » Certains patients se sentent en pleine forme. Avec ces produits, ils se retrouvent sur le flanc, remarque le Dr Horsmans. Dans de rares cas, ils ont provoqué des décès. Ils entraînent parfois aussi des maladies dermatologiques, des troubles de l’humeur, des dépressions, voire des suicides.  » Les hépatologues suivent donc de près ces malades, qui auront bien besoin également du soutien et de la compréhension de leur famille et de leur médecin traitant. La prescription d’antidépresseurs (peut-être systématique, à l’avenir ?) fait également l’objet de discussions.

 » Parfois, lorsque les analyses montrent de bons résultats dès la douzième semaine, les effets secondaires des traitements semblent moins lourds « , remarque le Dr Horsmans. Et puis, quand la thérapie n’a pas eu les effets escomptés, les hépatologues rappellent aux malades que,  » durant le traitement, le foie a au moins été mis au repos, ce qui retardera d’autant les complications de la maladie « , souligne le Pr Henrion.

L’année 2015 devrait voir émerger le pic épidémique des contaminations d’hépatite C provenant des transfusions d’avant 1990. D’ici là, les hépatologues espèrent que leur arsenal thérapeutique se sera enrichi de nouvelles molécules. En attendant, ils tentent déjà de mieux gérer les effets secondaires des traitements actuels ( lire en p. 54). Et puis, ils conseillent parfois à leurs patients de ne pas clamer trop fort ce dont ils souffrent : mal connues, les hépatites sont trop souvent liées, dans l’esprit du grand public, à l’abus d’alcool. Les malades sont également stigmatisés parce qu’ils auraient  » des maladies de drogués « . Vivre avec un virus, les craintes qu’il suscite et les séquelles qu’il provoque parfois, cacher à son employeur, à ses voisins ou même à ses proches ce dont on souffre, se voir refuser l’accès à des traitements ou à des assurances : c’est cela, aujourd’hui encore, le lot de bien des personnes atteintes d’hépatite B ou C, ces trop mystérieuses maladies.

P.G.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire