Le blocus imposé par l'Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, Bahreïn et l'Egypte a contraint la compagnie qatarienne à revoir sa stratégie. © Belgaimage

Ciel plombé sur le Golfe

Soumise à un coûteux blocus par ses voisins, la compagnie nationale qatarienne joue l’offensive. Sa place de numéro un régional est à ce prix.

Imaginons que pour relier Bruxelles et Madrid, Brussels Airlines ne puisse plus traverser l’espace aérien français. C’est le type de mésaventure que subit actuellement une des meilleures compagnies du monde, Qatar Airways qui, du jour au lendemain, s’est vue empêchée de survoler quatre pays, l’obligeant à de longs détours. Résultats : surcoût en carburant, chute de 9 % du nombre de passagers et une perte de 38 millions d’euros en un an. La cause ? Le blocus imposé le 5 juin 2017 par l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, Bahreïn et l’Egypte, qui reprochent au richissime émirat de soutenir le terrorisme, en réalité de leur faire de l’ombre tout en étant trop proche de l’Iran chiite, l’ennemi juré.

 » En moyenne, le temps de vol est rallongé de vingt minutes, de plus d’une heure vers certains pays d’Afrique. Vers le Soudan, c’est carrément trois heures, soit presque autant que de voler de notre capitale Doha vers Londres « , explique Akbar Al Baker, PDG de Qatar Airways, que Le Vif/L’Express a rencontré en marge du forum diplomatique de Doha, en décembre dernier. La compagnie avait anticipé un tel scénario, car les tensions ne sont pas nouvelles. Dès que la sanction est tombée, l’ancien aéroport a été remis en service et un pont aérien avec la Turquie a permis d’assurer l’approvisionnement du pays.  » Quarante-huit heures après le début de ce blocus illégal, on avait déjà acheminé 10 000 tonnes de biens essentiels par journée. En neuf mois, tout s’est normalisé.  »

Développement vers l’Asie et l’Afrique

Fort de 160 destinations, le réseau a été réorganisé :  » Nous avons été contraints d’abandonner 18 vols très lucratifs vers les pays du blocus, que nous avons remplacés par 24 nouvelles routes vers l’Europe de l’Est et la Russie, l’Extrême-Orient, l’Afrique, Atlanta, et tout cela en dix-huit mois. La croissance est de nouveau là. Nous venons de lancer des vols vers Mombasa (Kenya), Göteborg (Suède), Da Nang (Vietnam)… L’Asie est actuellement notre priorité.  » Logique, car l’aéroport international Hamad de Doha est principalement un hub qui connecte les passagers d’Europe et d’Afrique avec l’Asie. Akbar Al Baker est également le grand patron de ce tout nouvel aéroport, considéré dans un classement récent comme le meilleur du Moyen-Orient.

L’Afrique n’est pas en reste.  » Elle dispose d’un potentiel énorme et se trouve mal desservie, poursuit Akbar Al Baker. C’est le prochain continent en croissance, et notre réseau va s’y déployer dans les vingt-quatre mois.  » Une ligne vers Accra (Ghana) sera ouverte en 2019, ainsi qu’une autre vers le Cameroun.  » Plusieurs Etats nous ont demandé d’opérer chez eux et, rien qu’aujourd’hui, j’ai reçu des propositions de deux pays.  » Actuellement, Qatar Airways conseille le Nigeria, qui cherche à relancer une compagnie nationale.  » Nous avons dit aux autorités nigérianes qu’elles doivent au préalable se doter d’un aéroport aligné sur les normes internationales. Nous leur avons indiqué comment structurer un hub car ce pays veut être connecté au monde et pas seulement à l’Afrique.  »

Mais pas question d’entrer dans la gestion des compagnies, comme Etihad, la compagnie nationale des Emirats arabes unis , l’a fait en déboursant près d’un milliard de dollars pour maintenir à flot Alitalia et Air Berlin. Et cela en vain.  » Nous, on ne fait que placer notre argent, par exemple dans Cathay (Hong Kong), Air Italy, Latam (Brésil) et bientôt dans d’autres compagnies. Nous ne voulons pas nous impliquer dans leur développement, sinon nous perdons de vue le nôtre. On est juste assis dans notre bureau et on attend les dividendes « , déclare Akbar Al Baker sans sourciller.

Akbar Al Baker, CEO de Qatar Airways, à la tête d'une flotte de 234 avions.
Akbar Al Baker, CEO de Qatar Airways, à la tête d’une flotte de 234 avions.© FJDO

Bannie par ses voisins, Qatar Airways joue l’offensive :  » Nous avons 234 avions actuellement, et nous en avons commandé 300, pour 92 milliards de dollars « , lâche Akbar Al Baker, sans fanfaronner sur ce montant astronomique. Il met également en avant la flexibilité de sa flotte, là où ses concurrents n’ont souvent que deux types d’avion. La compagnie dispose ainsi de neuf modèles d’Airbus, dont une dizaine d’A380 à double étage et des Boeing de trois types, dont une trentaine de 787 Dreamliner. C’est une des flottes les plus récentes au monde, les appareils ayant cinq ans d’âge en moyenne. La flotte renouvelée inclura des Airbus A350 et des Boeing 737 MAX, quatrième génération de cette lignée mythique.

Une concurrence déloyale ?

La compagnie a toutefois dû faire face à l’augmentation des prix du carburant :  » Ces douze derniers mois, le kérosène a augmenté de près de 50 %. Nous avons une marge de sécurité, mais une surtaxe n’est pas exclue si ça se poursuit. Y compris pour le cargo, dont nous sommes le plus gros opérateur en tonnes par kilomètre.  » Les compagnies du Golfe sont souvent accusées de concurrence déloyale et de bénéficier de subventions royales.  » Subventions ? Nos concurrents sortent toujours le même argument, réagit le CEO. Ce n’est pas vrai. Mon gouvernement n’est pas une banque.  » Il n’empêche qu’en 2015, un rapport commandité par des compagnies américaines a pointé que Qatar Airways aurait reçu en dix ans l’équivalent de 15 milliards d’euros de subventions, et bénéficié de prêts qui n’ont jamais dû être remboursés.

Qatar Airways n’est pas à l’abri non plus des jeux commerciaux ourdis par ses partenaires. Akbar Al Baker se dit mécontent du traitement réservé à sa compagnie au sein de l’alliance Oneworld, qu’elle a rejointe en 2013 :  » Certains membres ont cherché à bloquer notre croissance « , accuse-t-il, citant American Airlines, qui a mis fin au partage de codes, et l’australienne Qantas, qui négocie des arrangements avec Emirates, la compagnie aérienne basée à Dubaï.  » On décidera en février si on reste ou pas dans l’alliance. Mais on peut très bien continuer seuls, grâce, notamment, à nos investissements stratégiques dans d’autres compagnies.  » Dont 20 % dans IAG (International Airlines Group), la holding née de la fusion entre British Airways et Iberia.

Dans le collimateur du CEO, il y a également l’Oaci, l’Organisation de l’aviation civile internationale, un organisme de l’ONU :  » Elle est devenue trop politique et trop faible pour s’opposer à des blocus. L’espace aérien au-delà de douze kilomètres est international, et l’Oaci ne devrait pas accepter que des Etats l’utilisent à des fins politiques pour bloquer des compagnies, mais le président du conseil de l’Oaci (NDLR : un Nigérian) regarde de l’autre côté. L’ONU devrait exiger l’interdiction de ce genre de pratiques, car c’est une violation de la Convention de Chicago (NDLR : qui a instauré l’Oaci en 1944). Le ciel ne devrait pas avoir de frontières.  » Mais l’horizon du blocus reste pour l’instant bouché.

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