Thierry Denoël

Prostitution : qu’est-on prêt à accepter ou pas ?

Thierry Denoël Journaliste au Vif

Après des semaines de controverse, les députés français ont donc voté, ce mercredi 4 décembre, par 268 voix pour contre 138, la proposition de loi visant à pénaliser les clients des prostituées. Pour être définitivement adopté, le texte sera examiné au Sénat d’ici à la fin du mois de juin 2014.

Faut-il sanctionner le client ? Faut-il interdire carrément la prostitution ? Faut-il « l’encadrer », en l’organisant depuis l’autorité publique même, comme c’est le cas à Anvers, avec l’espace Villa Tinto, et comme ce devrait l’être à Seraing, dès 2016 ? Le débat est à l’image du « métier » concerné : vieux comme le monde. Mais il est d’autant plus brûlant, depuis des années, que la lutte contre « les réseaux », contre « la traite êtes humains » figure parmi les priorités, au moins déclarées, des différents gouvernements occidentaux. Et que, à côté des celles et ceux qui ont décidé, volontairement, librement, de vendre leur corps, un nombre qui semble bien plus important y sont contraint(e)s, empêtré(e)s dans les filets d’organisations criminelles.

En France, une majorité d’élus considèrent donc que sanctionner le client – 1 500 euros en cas de flagrant délit ; 3 750 en cas de récidive, « stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels » possible comme alternative à l’amende – « inverse la charge pénale : les personnes prostituées sont des victimes, on ne doit pas les traiter comme des délinquantes ». C’est que, jusqu’ici, c’est le racolage qui était interdit par la législation française (la nouvelle loi abolit cette interdiction). L’auteure de la proposition de loi pénalisant le client, la ministre des Droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem, a toujours affirmé que son intention personnelle est de « faire disparaître » la prostitution, et que cette étape-ci fait partie des moyens d’y arriver. Pourquoi faire diparaître la prostitution ? Pour « protéger l’immense majorité des prostituées qui sont d’abord des victimes de violence de la part des réseaux, des proxénètes », dit la ministre.

Bien. Il n’empêche qu’on ne saisit toujours pas bien l’utilité de la nouvelle loi, dans cet esprit de lutte contre les réseaux, compte tenu du fait qu’il existe déjà, en France, une loi contre le proxénétisme (passible de 7 à 220 ans de prison, avec des amendes allant jusqu’à 3 millions d’euros) et partant du principe que, si on traque le client mais qu’on autorise toujours la prostitution, l’acte sexuel contre paiement garde de beaux jours devant lui mais de façon beaucoup plus clandestine qu’aujourd’hui, avec toutes les dérives, tous les risques, tous les trafics, qui prolifèrent, toujours, dans les « secteurs » contraints à la clandestinité.

Autrement dit : garder les prostitué(e)s + pourchasser le client n’égal pas, nous semble-t-il, mieux lutter contre les réseaux et les proxénètes. Au contraire, même.

En Belgique, la prostitution n’est pas une infraction. Mais le Code pénal punit, comme en France jusqu’ici, le racolage et le proxénétisme. Différentes tentatives de sanction du client ont déjà eu lieu, poussée par des députés. En vain. L’ère est davantage à un durcissement de la règlementation des lieux où la prostitution s’effectue, comme à Schaerbeek, pour citer un exemple tout récent : . les activités sont concentrées dans un nombre plus réduit de quartiers, pour mieux limiter les risques de « désordre public » et de mainmise de réseaux ou de maquereaux isolés.

Pas sûr pour autant, au-delà des résultats engrangés par cet aspect « visible » des choses, qu’il y a moins de victimes, moins de contraintes, moins de violences, partout où, évidemment, réseaux et maquereaux ont caché, cachent et cacheront « leurs marchandises » et leurs clients. Si la prostitution est clandestine, c’est parce que le pouvoir politique est incapable de concilier la lutte contre l’exploitation sexuelle et la réglementation d’une prostitution impliquant des relations sexuelles entre adultes consentants. Sans parler de la duplicité de l’Etat qui ne reconnaît pas légalement la prostitution, mais qui taxe les femmes qui s’y adonnent. Celles-ci travaillent dès lors au noir ou déclarent une profession indépendante fictive pour rentrer dans le système de la protection sociale.

Et donc, comme le résume Espace P (association pour la défense des droits des personnes qui se prostituent, leur entourage et leurs clients), « La première vertu d’un débat serait de se baser sur des critères modernes, avec ce que la société est prête à accepter ou pas. Une fois ceci défini, on pourrait enfin jouer franc-jeu. Ce serait beaucoup mieux pour celles et ceux qui travaillent comme des indépendant(e)s, et aussi pour les victimes. »

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