L’attrait irrésistible de l’intestin

L’intestin, notre second cerveau ? Il peut influencer notre personnalité, comme le prouve la recherche scientifique, qui tente de décrypter le dialogue entre notre ventre et notre tête.

L’intestin, organe injustement mal aimé ? Sûrement. Un vulgaire tuyau qui n’est bon qu’à se vider ? C’est ce que beaucoup d’entre nous pensent encore. Si le coeur et le cerveau ont toute notre considération, l’intestin nous fait honte. Toutefois, son rôle primordial dans la santé et le bien-être, mis en évidence par la recherche, suscite un intérêt de plus en plus vif. En témoigne le succès phénoménal d’un petit livre, Darm mit Charme (Le Charme discret de l’intestin : tout sur un organe méconnu, Actes Sud), vendu à 1,5 million d’exemplaires en Allemagne, et dont la traduction française figure depuis quelques semaines aux places d’honneur dans les palmarès des best-sellers. L’auteur de cet éloge de l’intestin, Giulia Enders, docteur en médecine de 25 ans, mêle ton humoristique et précisions scientifiques pour expliquer clairement et sans tabou ce qui se passe dans notre ventre. Avec un double objectif : rendre la médecine plus accessible et encourager les lecteurs à changer leurs habitudes alimentaires afin de ménager leur tube digestif.

 » Tandis que nous parcourons le monde en deux coups de cuillère à pot, nous passons à côté de quantité de choses formidables, déplore l’auteure. Au plus profond de nous, en effet, sous le rempart protecteur de notre épiderme, on ne chôme pas : on écoule, on pompe, on aspire, on écrase, on désagrège, on répare et on réorganise. Toute une équipe d’organes sophistiqués s’active joyeusement, tant et si bien qu’en une heure, un adulte consomme à peu près autant d’énergie qu’une ampoule de 100 watts.  » Parmi ces organes, l’intestin, long de sept à huit mètres, constitue la partie inférieure du tube digestif humain. C’est son  » chef-d’oeuvre « , s’émerveille Giulia Enders. Alors que l’estomac casse les molécules des aliments, l’intestin grêle, tuyau étroit et long (3 à 6 mètres), réduit ces molécules cassées à l’état de nutriments assimilables par l’organisme. Sa fine membrane est recouverte de plis et villosités, afin d’augmenter la surface d’échange avec le réseau sanguin.  » Grand zigzagueur devant l’éternel « , commente la jeune gastro-entérologue, notre intestin grêle  » veut nous offrir la plus grande surface possible et, pour y parvenir, il se plie en quatre pour nous « . Enfin, le  » gros intestin dodu  » ou côlon, qui héberge des bactéries, décompose ce que le corps humain n’a pu assimiler.

Un engouement pour l’intestin

D’où vient l’engouement actuel pour tout ce qui touche à l’intestin et à la digestion ?  » De plus en plus de patients parlent de leur inconfort intestinal, constate Nathalie Delzenne, professeur de métabolisme et nutrition à l’UCL. Mais on confond souvent deux états distincts : la maladie intestinale inflammatoire, qui fait l’objet d’un diagnostic précis, comme la colite ulcéreuse ou la maladie de Crohn, et le syndrome de l’intestin irritable, difficile à traiter.  » On connaît mal l’origine de ces crampes au ventre, ballonnements, borborygmes, diarrhées, constipations… qui touchent près d’une personne sur cinq.  » En dépit des récentes avancées de la recherche, il y a encore des médecins pour considérer les patients atteints du syndrome de l’intestin irritable comme des hypocondriaques ou des simulateurs « , s’indigne Giulia Enders. Les symptômes dont ils souffrent seraient liés à notre manière de vivre, mais aussi au  » microbiote « , ce que l’on appelait autrefois poétiquement la  » flore intestinale « . Une meilleure connaissance de l’interaction entre cet écosystème bactérien et son hôte humain permettra, selon le Pr Delzenne, d’envisager de nouvelles approches thérapeutiques et nutritionnelles.

N’a-t-on pas longtemps sous-estimé le rôle de l’intestin par rapport à ceux du cerveau et du coeur ?  » Il faut distinguer « , répond la spécialiste, qui codirige un groupe de recherche au sein du Louvain Drug Research Institute et est membre du consortium Louvain4Nutrition de l’UCL.  » On a toujours accordé une grande importance à la digestion. Nos grands-parents parlaient d’  »aller à selle », se préoccupaient de leur transit intestinal. Ce qu’on ignorait, c’est l’extraordinaire diversité des cellules de notre intestin. Beaucoup considèrent encore cet organe comme un simple tube qui absorbe les aliments et rejette ce qui n’est pas bon. Mais l’évolution des connaissances fait prendre conscience du potentiel métabolique gigantesque de l’intestin.  »

Au coeur de la bataille

A la différence du cerveau, organe le mieux isolé et le mieux protégé de tous, l’intestin est au coeur de la bataille.  » Il connaît toutes les molécules de notre dernier repas, attrape avec curiosité des hormones qui se baladent dans notre sang, prend des nouvelles des cellules immunitaires ou prête une oreille attentive au bourdonnement des bactéries intestinales, note Giulia Enders dans sa langue très imagée. Il est aux premières loges pour pouvoir ensuite raconter au cerveau des tas de petits ragots sur nous, dont celui-ci n’aurait sinon jamais eu connaissance.  » Pour collecter ces informations, l’intestin, qualifié par certains scientifiques de  » second cerveau « , dispose de son propre système nerveux, qui contient plus de deux cent millions de neurones. Ce système  » entérique  » alerte le cerveau via le nerf vague. Il protège l’organisme en présence d’un aliment infecté et peut percevoir et transmettre nos émotions au ventre.

 » De là à supposer qu’un intestin mal en point pourrait assombrir notre humeur de manière subtile et, inversement, un intestin bien nourri et en bonne santé booster discrètement notre moral, il n’y a qu’un pas « , admet le Dr Enders. Les personnes touchées par le syndrome de l’intestin irritable – gonflements, pressions dans l’abdomen… – seraient plus sujettes aux états anxieux et à la dépression. Le stress lui-même aurait une influence sur la météo intestinale.  » L’intestin ne gouverne pas l’individu, mais il peut influencer sa personnalité, estime le Pr Delzenne. Il y a un dialogue permanent entre le ventre et la tête, que l’on commence seulement à décrypter.  »

Une jungle peuplée de créatures étonnantes

Ces dernières années, des chercheurs ont montré une modification de la flore intestinale dans l’autisme. Le système nerveux est directement influencé par notre microbiote. Par ailleurs, l’intestin est un organe important du système immunitaire : des cellules sont nos premiers vigiles face aux éléments néfastes d’origine microbienne que nous  » abritons « . L’intestin a aussi une fonction endocrinienne : les hormones qu’il sécrète et qui passent dans le sang ont un effet sur l’hypothalamus, donc sur notre appétit. Le sentiment de satiété est une réaction hormonale de notre intestin.

 » L’intestin est une forêt, une jungle gigantesque peuplée de créatures les plus étonnantes qui soient, écrit Giulia Enders. Aucun autre endroit n’accueille une telle variété d’espèces et de familles. Et la recherche n’en est qu’à ses débuts…  »

Le Charme discret de l’intestin. Tout sur un organe mal aimé, par Giulia Enders, Actes Sud, 352 p.

Par Olivier Rogeau

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