© Frédéric Pauwels

« De Wever maîtrise remarquablement son succès »

Il a rangé le lance-flammes pour le dire de préférence avec des fleurs. Coup de chapeau à l’adresse d’Elio Di Rupo, président du PS et préformateur malheureux : « Le francophone que je suis n’est pas honteux de ce qu’il a accompli. » Mention fort honorable pour Bart De Wever, l’homme fort de la N-VA : « Cultivé, agréable, qui a cette capacité rare d’écouter l’autre. » Mais qui est-il donc pour positiver de la sorte dans la crispation politique ambiante ? C’est Louis Michel, ténor d’un MR obstinément maintenu sur la touche depuis six mois d’impasse politique. Patte de velours et griffes rentrées : le député européen distribue certes les mauvais points mais sans carboniser les acteurs impuissants de la crise.

Le Vif/ L’Express : Bref retour un an en arrière : vous auriez imaginé le cas de figure politique dans lequel se retrouve le pays ?

Louis Michel : Non, pas du tout. Même si je me doutais que l’on aurait à affronter une grande réforme de l’Etat. Qu’il faudrait procéder à une remise à plat du système fédéral belge.

Nous y voilà, avec un Bart De Wever politiquement incontournable : faut-il désespérer de conclure quelque chose avec le président des nationalistes flamands ?

Ce que je peux vous dire, c’est que les différentes phases de la négociation m’ont semblé le mettre de plus en plus en appétit.

Ses interlocuteurs francophones auraient-ils ouvert l’estomac du président de la N-VA ?

Dès qu’ils font un pas vers ce que demandent les Flamands, les francophones ont le réflexe de considérer ces avancées comme des concessions, de vraies petites révolutions. Or la N-VA ne les considère pas comme une réponse structurelle à ses attentes. Pour les Flamands, plus d’autonomie est bon pour tout le monde.
Les négociateurs francophones s’y sont-ils mal pris jusqu’ici ?
Durant sa mission de préformateur, Elio Di Rupo s’est comporté avec Bart De Wever de manière parfaite, en interlocuteur tout à fait correct et élégant. Mais, et c’est regrettable, cette relation de confiance a été rompue, car polluée par des indiscrétions et des postures politiques de certains partenaires.

Vous pensez à qui ?

Je ne pense pas…

Le MR n’y est-il pas pour quelque chose ? Votre dîner au côté de Didier Reynders, en compagnie de Bart De Wever, en pleines négociations, a fait jaser…

Le MR n’y est pour rien du tout ! Les partis francophones [NDLR : PS, CDH, Ecolo] décident de nous exclure des négociations. On ne nous consulte pas, on ne nous informe pas, on nous humilie en nous disant : « A la niche ! » Et, en plus, ces partis voudraient qu’on s’interdise d’accepter une rencontre avec Bart De Wever, l’homme avec lequel ils négocient depuis plus de cent jours ? Cela relève du terrorisme mental !

Bart De Wever gagne-t-il à être connu ?

C’est un homme cultivé, un tacticien hors pair, un communicateur capable d’user de manière géniale des médias, un orateur extrêmement efficace. Et un homme agréable dans le contact humain : j’ai été très frappé, et c’est un fait rare, par l’impression qu’il vous donne de vous écouter attentivement. Est-ce sincère ? Mystère. Mais il ne vous interrompt pas, il laisse l’autre aller au bout de sa pensée. Intéressant : je suis comme cela aussi. Je supporte rarement les énergumènes qui ne savent pas écouter. Dommage que Bart De Wever mette de telles qualités au service d’une cause nationaliste…

Battu au scrutin, le MR méritait-il d’être mieux traité par les autres partis francophones, voire d’être associé à la formation d’un gouvernement ?

Serait-ce tellement inconvenant d’embarquer dans un gouvernement le premier parti en Région bruxelloise, la deuxième force politique de Wallonie et de la Communauté française ? L’opposition ne va jamais de soi : en 2007, le PS, battu aux élections, s’est retrouvé au gouvernement fédéral par la volonté de Madame Milquet. Quand on est à la veille d’une profonde réforme de l’Etat, il est bon d’associer toutes celles et tous ceux qui y participeront. Pour bétonner son démarrage.

Ce n’est pas le raisonnement qui a été suivi…

Je pense qu’Elio Di Rupo a mal apprécié ceci : en avançant dans la direction de Bart De Wever, en acceptant d’emblée certaines demandes de la N-VA, il a cru pouvoir boucler rapidement un accord. Estimant dès lors inutile, voire contre-productif, d’associer les quatre partis francophones, y compris le MR.

Quelle aurait donc pu être la touche MR à ces discussions ? Donner une sorte de label libéral, sur le plan communautaire mais aussi socio-économique. Notre rencontre avec Bart De Wever nous a précisément confirmé que le socio-économique était une question lancinante à ses yeux. Le président de la N-VA le sait : l’immense majorité de ses électeurs accorde bien moins d’importance à BHV qu’aux économies budgétaires. On sous-estime sa préoccupation de préserver cet électorat, nouveau et massif : cette classe moyenne travailleuse pour qui le socio-économique est prioritaire.

Ce que demande la N-VA n’est-il donc pas nécessairement bon à jeter, du point de vue libéral francophone ?

Il est difficile de suivre Bart De Wever dans sa demande d’une autonomie fiscale qui va tout de suite très loin, sans que l’on puisse vérifier ses effets éventuellement pénalisants. Mais en matière socio-économique, nous avons des proximités plus grandes avec la N-VA qu’avec nos amis socialistes. Bart De Wever porte des projets et des conceptions qui ne me choquent pas, au contraire.

Un gouvernement fédéral sans la N-VA : hors de question ?

Isoler la N-VA après sa victoire impressionnante, c’est préparer le terrain à une situation plus explosive lors de prochaines élections.

C’est pourtant la voie que prône Olivier Maingain. Le président du FDF rêve-t-il tout haut ?

Je ne porte pas de jugement de valeur sur l’opinion d’Olivier Maingain. En politique, il y a ce qu’on espère et ce qu’on peut faire. La faisabilité politique de ce scénario est presque égale à zéro et ne serait pas sans risque énorme pour le CD&V et l’Open VLD.

LA grande, l’ultime réforme de l’Etat, vous y croyez franchement ?

Pas nécessairement. Mais une telle réforme pourrait démontrer qu’elle peut générer le redressement de la Wallonie. Pourquoi signifierait-elle nécessairement un appauvrissement ? Une autonomie approfondie pour les entités fédérées peut, doit et sera une opportunité à saisir ! Arrêtons de pleurer tout le temps sur le lait répandu ! Une nouvelle culture est en train de poindre en Wallonie, quelque chose revit dans le subconscient collectif wallon.
Faut-il y voir la patte de l’olivier PS-CDH-Ecolo ?

Sûrement pas ! La présence des libéraux au pouvoir en Région wallonne pendant plusieurs années a fait la différence. Serge Kubla notamment, quand il était ministre de l’Economie, a donné un coup de barre dont on ne mesure que maintenant les effets : cette remise à l’honneur du goût du risque, d’entreprendre. Le premier plan Marshall, initié par les libéraux et les socialistes, a ouvert la voie à cette nouvelle culture que portent aujourd’hui, bien mieux qu’auparavant, des gens comme Rudy Demotte ou Jean-Claude Marcourt [NDLR : respectivement ministre-président et ministre de l’Economie PS au gouvernement wallon]. Sachant d’où il vient, Elio Di Rupo n’a pu aussi accomplir son parcours qu’en misant sur l’excellence, le travail, le mérite. Sur des vertus qui ne sont pas nécessairement socialistes.

Le PS aurait-il donc changé en bien à vos yeux ?

Une culture socialiste en Wallonie a projeté une image qui ne reflétait peut-être pas totalement la réalité, mais qui, en tout cas, ne correspond pas à la culture flamande. On ne change pas une image comme cela.

« La Belgique finira par s’évaporer dans un espace européen » : et si De Wever avait raison, après tout ?

Je n’y crois pas, mais tout dépendra de la réforme de l’Etat à réaliser. Il ne manque pas d’esprit de solidarité envers la Wallonie, en Flandre. La majorité des Flamands ne veulent pas d’un séparatisme bête et méchant. Mais, à tort ou à raison, ils ont eu le sentiment que la Wallonie était gouvernée à gauche depuis des années, que cela coûtait très cher et engendrait des transferts Nord-Sud excessifs sans entraîner de prise de responsabilités. Cela, les Flamands n’en veulent plus. Si la Wallonie s’adapte mieux aux réalités de la mondialisation et devient plus réaliste dans sa gouvernance, le problème de l’avenir du pays disparaîtra de lui-même. Et c’est une thèse avec laquelle Bart De Wever peut vivre, je crois. N’est-ce d’ailleurs pas étonnant ? Tant que les libéraux étaient au pouvoir en Wallonie, le pays n’a pas connu de graves problèmes communautaires. Parce que notre présence rassurait, apaisait les craintes.

« Commençons par définir ce que nous voulons encore faire en commun » : la recette du MR pour sortir le pays de l’impasse n’est-elle pas dangereuse ? La liste à fixer avec les Flamands risque d’être courte…

Au moins pourra-t-on vérifier si tout le monde est d’accord de consolider le niveau fédéral, de le rendre capable d’assumer ses missions. Depuis 2007, les vieilles recettes de négociations ne fonctionnent plus. La grande divergence se situe à présent entre le fédéralisme consumériste et le fédéralisme responsable.

Le président du PS, qui a été également préformateur, aurait-il raté ce tournant ?

Sa méthode, mais peut-être aurions-nous fait de même, a été d’entrer dans un processus qui présentait le risque de faire des cottes mal taillées sur tout. De conduire ainsi à des mécanismes très complexes à mettre en oeuvre sur le plan organisationnel, ainsi qu’à un flou artistique. Cela étant, le préformateur n’a pas manqué de courage. Son action a au moins eu la vertu de conscientiser les francophones sur la nécessité de devoir prendre leurs responsabilités. En tant que francophone, je ne suis pas honteux de ce qu’Elio Di Rupo a accompli. Il est intéressant que des francophones puissent ainsi montrer qu’ils sont de grands politiques.

PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE HAVAUX

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