Se préparer au divorce

de dorothée klein

Il y a du changement dans l’air. Les Belges n’ont pas attendu la convocation de plusieurs ministres d’Etat par le roi pour mesurer la gravité de la situation politique. Le vent semble tourner en Wallonie et à Bruxelles. Ce n’est certes pas la première crispation communautaire. Mais, cette fois, en dépit de leur attachement au royaume, un nombre croissant de francophones accusent le coup. Comme s’ils étaient blessés par une certaine condescendance flamande. Ils sont en effet de plus en plus nombreux, ces lecteurs de journaux, ces auditeurs et ces internautes, à exprimer un certain fatalisme. Ou s’agit-il plutôt d’une prise de conscience, d’une volonté de voir désormais la réalité en face et de poser les bonnes questions ? Quel est l’avenir de la Belgique si un nombre grandissant de Flamands exigent toujours plus d’autonomie ? Ne faudrait-il pas envisager la vie en solo ? Et quelles en seraient les conséquences au quotidien ?

Le  » coût de la séparation  » est difficile à évaluer. Le pays est petit, les communautés, enchevêtrées. Comment se partager la dette ? En fonction du nombre d’habitants des Régions ou de la part de celles-ci dans le PIB belge ? Les hypothèses divergent et ne sont pas neutres. Ainsi, des économistes flamands ont estimé les transferts Nord-Sud à plus de 10 milliards d’euros. Un montant revu à la baisse, à 5 milliards, par des économistes francophones.

Il n’empêche, les spécialistes s’accordent en général sur quelques points : les Wallons trinqueront davantage que les Flamands et les Bruxellois ; les sans-emploi, les pensionnés et les malades seront frappés plus lourdement que les travailleurs. En cas de scission, les prestations sociales pourraient être réduites de 15 à 20 %. Pour Bea Cantillon, professeure à l’université d’Anvers, si on supprimait les transferts, les revenus des Flamands augmenteraient de 7 % tandis que ceux des Wallons diminueraient de 4 %. Dans le sud du pays, le taux de pauvreté progresserait de 13 % à 18 % : il y aurait quelque 170 000 nouveaux déshérités, soit plus de 600 000 au total.

Scénarios catastrophes ? Peut-être. Les projections sont incertaines, les variables, nombreuses. Un exemple : la Belgique implosera-t-elle en trois parties ? Ou la Wallonie et Bruxelles, élargie à sa périphérie, s’uniront-elles en une  » petite  » Belgique,  » alimentée  » par l’impôt des 250 000 Flamands qui y gagnent leur vie !

Le Vif/L’Express est conscient des limites d’un tel exercice. Il a néanmoins voulu dévoiler des chiffres qui dérangent. Le but n’est pas de cultiver la désespérance. Mais de rompre avec une politique de l’autruche. Se préparer au divorce, ce n’est pas vouloir le divorce. C’est prendre en considération les ressources dont on dispose et apprendre à faire avec, en arrêtant de vivre au-dessus de ses moyens. Cela peut provoquer un électrochoc salutaire, une volonté de se retrousser les manches, de mener les réformes qui s’imposent et d’en finir, une fois pour toutes, avec les maux endémiques de la Wallonie.

Les francophones en ont la capacité. Quand il était ministre des Affaires sociales, Rudy Demotte (PS) a fait la chasse aux dysfonctionnements dans les soins de santé. Depuis, les néerlandophones sont moins nombreux à réclamer la régionalisation de cette matière. Un exemple à suivre. Car, paradoxalement, pour les francophones, envisager de vivre séparés en £uvrant au redressement socio-économique est sans doute la meilleure manière de convaincre les Flamands de faire encore un bout de chemin avec eux.

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