Les saisons de Frédéric Fonteyne

Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Une liaison pornographique a révélé Frédéric Fonteyne. La Femme de Gilles, qu’il tourne en ce moment, pourrait être pour lui le film de la confirmation

(1) Le roman est paru initialement chez Gallimard et a été réédité par Labor.

Frédéric Fonteyne verra sa (sincère) modestie bousculée par les commentaires élogieux qu’acteurs et collaborateurs émettent dans les entretiens accompagnant le coffret DVD consacré au jeune cinéaste bruxellois. Promis pour avant les fêtes, le très bel objet contient les deux longs-métrages de Fonteyne, Max et Bobo et Une liaison pornographique, des courts-métrages réalisés auparavant et une foule de suppléments, dont des interviews de Nathalie Baye, Sergi Lopez, Fonteyne lui-même, bien sûr, et aussi ses deux complices de toujours, le scénariste Philippe Blasband et le producteur Patrick Quinet. Les  » bonus  » offriront également un premier coup d’£il au film que le réalisateur tourne en ce moment : La Femme de Gilles, une adaptation du roman (1) de l’écrivain belge Madeleine Bourdouxhe. Depuis sa parution en 1937 et les éloges de Simone de Beauvoir dans Le Deuxième Sexe, le livre n’a rien perdu de sa force ni de sa modernité dans la description d’une relation conjugale frappée par le soupçon, puis par le malheur, et située par l’auteur dans un milieu ouvrier, à l’heure où la sidérurgie faisait encore rugir ses hauts-fourneaux.

Un roman cinématographique

S’il avait tourné Max et Bobo et Une liaison pornographique pratiquement en les enchaînant (le second fut filmé avant que le premier ne sorte), Frédéric Fonteyne prit le temps de digérer le remarquable succès du film d’amour paradoxal où brillaient Nathalie Baye et Sergi Lopez.  » J’avais des envies de tragi-comédie, raconte le cinéaste, alors avec Philippe Blasband on a écrit deux scénarios, mais sans aboutir vraiment. Du coup, je ne savais plus très bien quoi faire…  » C’est par la poste que Fonteyne reçut le livre de Bourdouxhe, expédié par son ayant droit.  » A la lecture du roman, j’ai tout de suite été pris par son atmosphère intense, par la vérité intime qui s’en dégage, aussi par les aspects cinématographiques avec cette héroïne qui parle peu au départ, qui observe son mari observant une autre femme. Le jeu des regards, le travail sur le temps, la durée prouvent que l’écrivain aimait le cinéma…  »

La Femme de Gilles a pour personnages principaux Elisa, Gilles et Victorine. Les deux premiers sont mariés, Victorine est la s£ur cadette d’Elisa, et va attirer tout à la fois l’intérêt de Gilles et les soupçons de son épouse… Pour jouer ces rôles inscrits dans une époque (les années 1930) mais dont les résonances profondes sont intemporelles, Fonteyne a fait appel à une Emmanuelle Devos qu’il avait – à juste titre – admirée dans Sur mes lèvres, de Jacques Audiard, à Clovis Cornillac, dont A la petite semaine vient de confirmer le talent, et à Laura Smet, la fille de Johnny Halliday et de… Nathalie Baye. Les Corps impatients, son premier film, a révélé la présence exceptionnelle de cette jeune actrice appelée à incarner Victorine.

Pour sa première adaptation romanesque, le réalisateur a travaillé d’abord avec Marion Hänsel, elle-même spécialiste du genre. Se retrouvant  » bloqué  » au bout d’un certain temps ( » Nous étions sans doute trop proches du roman « ), il fit ensuite appel à son complice habituel Blasband (qui n’aimait pas le livre !) et mit huit jours à peine pour rédiger le scénario final.  » Tout ce qui dans le roman ne pouvait passer que par les dialogues, ou par les flash-back où Elisa se rappelle les beaux moments des débuts avec Gilles, devait disparaître pour céder la place à des équivalents visuels, des ambiances, des images « , explique un Fonteyne qui a de son métier de cinéaste une approche à la fois très précise (il sait ce qu’il veut) et ouverte (il laisse acteurs et techniciens très libres dans la manière de le lui donner). Tous louent ses qualités d’écoute et sa disponibilité, et aussi le fait qu’il regarde en permanence ses interprètes, ce qui semble aller de soi pour un réalisateur, mais n’est plus de mise chez beaucoup de metteurs en scène qui rivent leurs yeux au moniteur visualisant ce qu’enregistre la caméra, cet écran étant parfois installé dans une autre pièce que celle où la scène est tournée !  » Le cinéma est pour moi un art du présent, réagit Frédéric Fonteyne, sa vérité est dans ce moment qu’on cherche ensemble, acteurs, équipe technique et moi-même, ce moment que mon rôle est de rendre possible, émotionnellement surtout. Avec La Femme de Gilles, nous sommes dans le  » faux  » : ce sont les années 1930, on ne parlait pas comme aujourd’hui et les acteurs ne peuvent donc pas improviser comme dans Max et Bobo. Mais, avec ce faux, nous fabriquons pourtant du vrai ! C’est cela qui rend le cinéma unique…  »

Un tournage original

Le tournage de La Femme de Gilles se déroule en deux parties. La première, en septembre, a permis de filmer les scènes censées se passer au printemps et en été. La seconde, longue de six semaines, s’accomplit en ce moment et concernera les séquences d’automne et d’hiver.  » Le passage du temps est crucial dans ce récit qui s’étale sur deux ans. Et, comme il concerne une femme qui voit la nature aux alentours depuis la fenêtre de sa cuisine, la succession des saisons est essentielle pour marquer ce passage « , commente Frédéric Fonteyne, qui a par ailleurs obtenu de pouvoir travailler simultanément en studio et… en pleine nature. Originalité nécessaire, la maison dans laquelle se déroule l’action du film a été tout spécialement bâtie pour lui, mais pas dans un studio comme c’est d’ordinaire le cas (à charge de filmer les extérieurs ailleurs, ou de les montrer via des  » découvertes « , maquettes placées devant les portes et fenêtres). C’est en pleine nature que le décor a été construit, et le jardin qui l’entoure, modifié selon les changements de saisons, se prolonge dans la campagne environnante.

 » Le découpage du tournage en deux périodes nous a aussi été précieux pour d’autres raisons, souligne Fonteyne, car la préparation avait été lourde et la dureté de ce qui devait être filmé les premières semaines (en fait, le début, le milieu et la fin de l’histoire) avait de quoi rapidement épuiser comédiens et techniciens. J’ai moi-même éprouvé beaucoup de soulagement à m’interrompre et à souffler quelque peu avant d’aborder ce qui est le c£ur du film, et qui contient des choses plus dures encore…  » On sent le jeune réalisateur sincèrement pris par le film qu’il achève en ce moment, lui qui s’avoue ému par certaines prises, et dont le visage s’illumine lorsqu’il dit  » avoir parfois l’impression de tourner un western, avec ces gens qui se regardent, de ces regards qui pèsent, qui en disent bien plus que tous les mots possibles « .

Louis Danvers

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire