Trop de francophones !

A Bruxelles, les écoles néerlandophones accueillent de nombreux élèves d’une autre langue. Les parents espèrent en faire des bilingues. Mais leur nombre, trop élevé, cause des problèmes… aux néerlandophones

Anaïs (trois ans et demi), fille de parents francophones, fréquente l’école maternelle néerlandophone Mooi-Bos, à Woluwe-Saint-Pierre. Tous les jours, elle est totalement plongée dans la langue de Vondel. Dans son école, maternelle et primaire, 90 % des élèves ont pourtant deux parents francophones. Seuls 10 % ont au moins un parent néerlandophone. L’école Mooi-Bos n’est pas une exception. Selon le dernier recensement de l’enseignement néerlandophone à Bruxelles, en février 2005, à peine 11 % des élèves qui fréquentent l’école maternelle sont néerlandophones. Ceux issus d’une famille francophone sont trois fois plus nombreux (34,6 %), tandis que les enfants de familles mixtes (un parent néerlandophone) et les allophones (dont les parents ne sont ni francophones ni néerlandophones) représentent respectivement 19,8 % et 34,6 %. A l’école primaire, les proportions sont comparables : 15,5 % de néerlandophones, 30,9 % de francophones, 23,3 % d’enfants de familles mixtes et 30,3 % d’allophones.

Comment expliquer cette présence, massive, de francophones et d’allophones dans les écoles néerlandophones de la capitale ? Petit retour sur le passé. Dans les années 1960, les écoles flamandes se vident : beaucoup de néerlandophones envoient leurs enfants dans l’enseignement francophone pour en faire des bilingues. Au début des années 1970, pour enrayer ce phénomène, la Commission culturelle flamande de l’agglomération bruxelloise lance une grande campagne pour séduire les parents néerlandophones, en mettant l’accent sur le bilinguisme. Les écoles enregistrent peu à peu de nouvelles inscriptions : d’abord des néerlandophones, puis des enfants issus de familles mixtes. Suivront ensuite les francophones et les allophones. Et le mouvement ne s’arrête plus ! Cette année, les sections maternelles ont connu une progression de 4 % par rapport à l’an dernier.

La raison du succès est simple. Plus que jamais, surtout à Bruxelles, il faut être bilingue pour trouver un emploi. La capitale compte, en effet, 22 % de chômeurs, dont 90 % sont unilingues francophones. Les parents estiment donc que l’immersion linguistique est le seul moyen efficace de faire de leurs enfants des bilingues. 98 % des francophones qui entrent dans l’enseignement néerlandophone dès la maternelle intègrent ensuite une école flamande en primaire. Et 4 % d’entre eux à peine passeront dans le secondaire francophone.

Résultats encourageants

La faible proportion d’élèves néerlandophones pose des problèmes en classe. Comment accueillir en première maternelle des gamins qui ne comprennent pas un mot de néerlandais ? A la Sint-Gillisschool, le jour de la rentrée, les enseignants s’expriment en français pour réconforter quelque peu l’enfant, mais, après, tout se passe en néerlandais. Petit à petit, les enfants captent les mots mais les enseignants doivent évidemment faire preuve de beaucoup de patience. Depuis une dizaine d’années, cette école, située dans un quartier défavorisé de Saint-Gilles, n’inscrit plus aucun néerlandophone. Il n’y en a plus. 80 % des élèves sont d’origine étrangère. Pour eux, le néerlandais est leur troisième langue.  » Les parents ne maîtrisent généralement pas le néerlandais, explique Anne-Marie Mox, directrice d’école. Ils ont donc des difficultés à suivre la scolarité de leurs enfants.  » En outre, les écoliers ont très peu de possibilités de pratiquer le néerlandais hors de l’école.

La Commission communautaire flamande (VGC) investit beaucoup dans l’encadrement des écoles pour garantir un niveau élevé. Elle organise, entre autres, des formations spéciales pour les enseignants. Et les efforts portent leurs fruits. Selon une étude du Centre linguistique de la VUB, le niveau de néerlandais des élèves en 6e primaire, soit après neuf ans d’accompagnement intensif, est comparable à celui des écoliers en Flandre.

Dans les écoles, les élèves sont encouragés à utiliser le néerlandais, mais l’utilisation du français n’est généralement pas sanctionnée ni taboue.  » Les émotions sont parfois trop fortes. Il est normal que les enfants s’expriment alors dans leur langue maternelle « , explique Luc De Coninck, directeur de l’école primaire Sint- Jan Berchmanscollege, au centre de Bruxelles. Les écoles communiquent cependant le plus souvent en néerlandais avec les parents. Mooi-Bos exige qu’au moins l’un des deux parents francophones comprenne bien le néerlandais. Cela dit, certaines écoles utilisent parfois le français, dans l’intérêt de l’enfant, pour faire passer un message. Quant au français, les élèves francophones ont une avance sur leurs camarades néerlandophones.  » Ils surestiment quelquefois leur habileté en français et font davantage de fautes à l’écrit « , constate Luc De Coninck. Les professeurs, eux, doivent faire preuve d’une très bonne maîtrise du français. A Mooi-Bos, les cours sont donnés en différents niveaux : pour les francophones, l’accent est ainsi mis sur l’écriture. Les groupes sont souvent mélangés pour donner l’occasion aux néerlandophones et aux allophones de pratiquer la langue parlée. Ces derniers n’en profitent pas seulement pendant les cours, ils apprennent aussi énormément en jouant ensemble.

Depuis quelques années, à la veille des inscriptions, il n’est pas rare de voir des parents néerlandophones passer la nuit devant les portes de l’école de leur choix pour pouvoir y inscrire leurs enfants. Selon le décret flamand de 2002 sur l’égalité des chances dans l’enseignement, tout enfant a, en effet, un droit d’inscription absolu. Premier arrivé, premier servi, donc ! Les conséquences étaient parfois dramatiques : des parents ne pouvaient plus inscrire le cadet dans l’école de l’aîné, et des néerlandophones ne trouvaient plus de place dans une école néerlandophone comptant une majorité d’élèves francophones…

Places réservées

Une première adaptation du décret a octroyé la priorité aux frères et s£urs des élèves déjà inscrits. Et un nouveau règlement entrera en vigueur pour l’année scolaire 2005-2006 à Bruxelles. Désormais, les écoles pourront accorder la priorité aux néerlandophones si leur nombre est inférieur à 26,8 %. L’année scolaire prochaine, les 117 écoles flamandes de Bruxelles inscriront donc les élèves selon un système commun.

Toujours pour l’année scolaire prochaine, un nouveau décret, voté le 16 juin dernier en Commission de l’enseignement de la Communauté flamande (il devrait être voté en séance plénière le 10 juillet), modifiera encore les règles : c’est la plate-forme locale de négociation (LOP) qui déterminera le pourcentage réservé aux néerlandophones. Les écoles pourront décider d’une période d’inscription prioritaire pour les néerlandophones avant les inscriptions générales. Toutes les inscriptions seront alors définitives. Pour donner le temps à la plate-forme de se préparer, les inscriptions pour l’année 2006-2007 ne commenceront que le 9 janvier 2006.

Et les parents qui campent la nuit devant l’école ? Pour eux, il n’y aura pas de solution directe. Leur choix se porte sur des écoles  » élitistes  » et inscrivent déjà un bon nombre de néerlandophones. Mais, comme le confirme Julien Junius, directeur de l’enseignement à la VGC, d’autres écoles néerlandophones sont aussi de très bonne qualité. Souvent, à 300 mètres de l’école prisée se trouve une autre école qui accueillera leur enfant…

Wim Schalenbourg

Le niveau de néerlandais des élèves en 6e primaire est comparable à celui des écoliers en Flandre

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