S’offrir l’éternité

Le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles honore l’art du portrait. Aux cimaises, un très bel aperçu de son essor fabuleux dans les Pays-Bas de la Renaissance. Que nous racontent ces visages ? Rencontre avec ces nantis ou membres de la haute bourgeoisie… dont le souvenir traverse les siècles.

Encouragé par certaines cultures, interdit par d’autres, l’art du portrait occupe une place particulière dans l’histoire de l’humanité. Et si, au royaume du selfie, laisser une image de soi est d’une affligeante banalité, on oublie souvent que des siècles durant, transmettre le souvenir de sa personne n’était pas sans difficulté.

Au cours du Moyen Age, le portrait était en priorité lié à la commémoration dans le contexte de monuments funéraires. Par sa persistance matérielle, l’oeuvre répondait au désir de mémoire éternelle. Pour beaucoup,  » rendre les absents présents et ressusciter les morts  » révélait, chez de simples mortels, une tendance à la vanité et à l’orgueil. Pour cette raison, le droit de se faire portraiturer a longtemps été réservé à une poignée de privilégiés : aux saints, aux souverains et aux plus hauts membres de la noblesse. Mais dès le XVe siècle, les bourgeois veulent partager ce  » privilège « . Parallèlement à l’économie, l’art du portrait connaît une croissance exponentielle. Il suffisait maintenant d’avoir de l’argent pour se faire tirer le portrait.

Se développant assez habilement en quatre actes, le parcours de Faces Then distille une cinquantaine de portraits exceptionnels qui rendent justice à cette forme d’art aussi fascinante que négligée. Leur réalisme n’a rien à envier à la photographie. De stupéfiants exemples de maîtres tels que Quentin Metsys, Joos van Cleve, Simon Bening, Ambrosius Benson, Joachim Beuckelaer et Catharina van Hemessen… Cet accrochage, qui révèle la diversité du genre, se focalise tantôt sur les différents types de portraits, leurs fonctions (préservation du souvenir, illustration de l’histoire familiale, témoignage d’une profession…) et les centres les plus influents de production (Anvers, Bruges, Bruxelles, Amsterdam, Utrecht, Haarlem…).

Acte I – LES TRADITIONS SE CONFRONTENT

Entrée en matière avec de nombreux tableaux de messieurs sévères (et d’un âge certain) montrant que le portrait se développe comme un genre autonome à partir du XVe siècle. Il faut néanmoins attendre le XVIe siècle – et l’affluence d’une clientèle bourgeoise qui dope les commandes – pour qu’il devienne réellement populaire. Tous ne sollicitent pas notre attention : certains regards sont vides ou absents. D’autres sont lourds de sens. Et déjà, sourire aux lèvres, on observe que si les artistes visaient la ressemblance, ils n’ont pas épargné leurs modèles. Les imperfections sont légion : des nez comme des truffes, des grains de  » beauté « , des rides, des mains massives, des profils burinés… Autant de détails qui insistent sur les spécificités physionomiques de l’individu. Par ces quelques exemples, on mesure à quel point la vision des peintres des Pays-Bas était radicalement opposée aux conceptions artistiques de la Renaissance italienne (qui recherchaient l’idéalisation pour insister sur le caractère universel de l’être humain).

Dans cette première salle, le Portrait d’un homme vu de profil – pièce emblématique signée Quentin Metsys – présente, comme son titre l’indique, un homme de profil. Un schéma issu de l’Antiquité qui rappelle les portraits frappés sur les pièces de monnaie. Mais rapidement, le profil sera abandonné au profit du trois quarts. Cette vue permettait aux peintres de percevoir les visages comme des surfaces et d’en modeler le relief en définissant les zones d’ombres et de lumière. Un exemple du genre est l’Autoportrait de Simon Bening.

Acte II – PREMIÈRE SYNTHÈSE

Si les artistes du XVe siècle misent tout sur la ressemblance physique, ceux du XVIe siècle se montrent encore plus exigeants : ils veulent donner vie à leurs modèles en les chargeant de personnalité, en leur offrant des poses et des gestes inusités. Souvent, les mains jouent un rôle particulier : elles offrent des moyens d’expression illimités. Seul  » hic « , elles étaient difficiles à représenter fidèlement. Du coup, certains usent de subterfuges plus ou moins habiles pour tenter de les masquer à l’aide d’accessoires comme des livres ou des gants. Les peintres emploient également tout un répertoire de symboliques : un doigt pointé vers le sol était synonyme d’insistance, une main ouverte avec la paume ouverte vers le haut symbolisait le pouvoir persuasif d’un fin orateur.

Dans son Portrait d’un homme barbu au béret noir, Ambrosius Benson présente son modèle soulevant son béret de la main gauche en guise de salut. Ce geste suggère que l’oeuvre avait une fonction de nature communicative. Ce portrait fut sans doute envoyé à une lointaine fiancée ou à un partenaire en affaires.

Acte III – LE POINT CULMINANT ?

Jusqu’alors, les artistes se concentrent sur un objectif : cerner et traduire l’individualité du personnage représenté. Mais cette perspective se modifie avec l’arrivée de peintres comme Anthonis Mor, Willem Key et Maarten van Heemskerck. Une génération qui apporte une très belle contribution artistique : ces portraitistes du XVIe siècle innovent en tentant de fusionner idéalisme et réalisme, en offrant à leur visage un rendu détaillé et une beauté universelle.

À travers tous ces tableaux sont semés quantité d’attributs faisant appel à nos connaissances. Chef-d’oeuvre du portrait flamand de la Renaissance, l’Autoportrait de Joos van Cleve transmet bien plus de messages qu’il n’apparaît. Se détachant sur un fond bleu ciel qui contraste avec la sobriété de son riche costume, un personnage regarde vers l’extérieur de l’image. Deux anneaux d’or à sa main gauche indiquent sa fortune. Mais le plus intéressant réside dans l’oeillet qu’il tient de la main droite. En vertu d’une coutume qui invitait une jeune fiancée à dissimuler un oeillet dans sa robe afin que son futur époux puisse l’y découvrir, cette fleur symbolisait les fiançailles ou le mariage. Curieusement, Joos van Cleve s’abstient d’intégrer le moindre indice de sa profession (palette, toile ou pinceau), préférant insister sur son statut social. Un fait étonnant : les peintres étaient habituellement contents de vanter leurs compétences artistiques et intellectuelles.

Un autre ne s’est pas privé. Dans son Autoportrait, Anthonis Mor tient manifestement à faire comprendre au spectateur qu’il est un prodige. Et bien davantage ! Gonflé par l’assurance, il s’affirme comme un homme d’importance. Il pose devant son chevalet armé de pinceaux et de sa palette. Sur la toile encore vierge, un poème qui vante ses qualités. Un pictor doctus, un artiste érudit. Un des exemples les plus remarquables du genre.

Acte IV – RÉALISME APPARENT

Longtemps réservé aux classes les plus privilégiées, le portrait immortalise progressivement des érudits et des artisans. Au XVIe siècle, la demande ne cesse d’augmenter. Le réalisme est toujours la caractéristique fondamentale. Et encore une fois, les artistes ne se gênent pas pour représenter des silhouettes corpulentes, des ventres proéminents. Les attributs conservent leur rôle déterminant, comme dans le Portrait de Reinerus Frisius Gemma de Maarten van Heemskerck. Mais la véritable star de cette dernière salle se trouve à quelques pas. Le Portrait d’une dame âgée avec son chien de Frans Floris de Vriendt se distingue par un traitement totalement inhabituel : une virtuosité technique combinée à une frontalité sans précédent. Fascinant.

Amusant !Pendant toute la durée de l’exposition, un Photomaton – installé dans le hall Horta – permet aux visiteurs de se faire tirer le portrait (gratuitement) sur un fond inspiré par les oeuvres présentées dans Faces Then ou Faces Now (l’exposition conjointe, lire l’encadré ci-dessous).

Faces Then, au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Jusqu’au 17 mai. www.bozar.be

Par Gwennaëlle Gribaumont

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