Mais que vaut l’art à petit prix ?

Dans un monde idéal, l’art devrait être accessible à tous… Un désir illusoire ? Pas du tout. Pour preuve : l’art discount. Un phénomène contagieux en passe de réussir son pari : démocratiser l’art !

Pour rompre définitivement avec les préjugés de l’art élitiste et hors d’atteinte budgétaire, de nouvelles foires et galeries veulent favoriser l’accès à l’art du plus grand nombre avec des £uvres à bas prix, le plus souvent entre 50 et 5 000 euros. De fait, actuellement, l’achat  » coup de c£ur  » impulsif oscille entre 1 000 et 1 500 euros. Au-delà, l’acheteur commence à s’inquiéter et à réfléchir en termes d’investissement.

Inabordable ?

En dépit des apparences, le marché de l’art ne se résume pas à quelques ventes vertigineuses et hypermédiatisées. Si les Etats-Unis ont longtemps confirmé leur hégémonie en matière d’enchères affolantes, l’Europe est la championne toutes catégories de l’art abordable. Selon le site de référence Artprice – et contrairement aux idées reçues – près de 80 % des transactions de l’art se font en dessous de 5 000 euros. Soit 44 % de peintures, 24 % de dessins, 21 % d’estampes et 11 % d’autres techniques ; pas moins de 68 % des pièces sont uniques (sur toile ou sur papier). A peine 10 % de ces ventes concernent l’art contemporain. Le reste se partage entre les maîtres anciens, l’art moderne, les £uvres du XIXe siècle et de l’après-guerre. D’un coup, deux préjugés tombent à l’eau :  » petit prix  » n’est donc pas synonyme ni d’art actuel, ni de tirages multiples.

Des plus éclairés aux vrais intuitifs, les clients de ce marché se montrent bien contrastés. A côté des connaisseurs avertis qui souhaitent compléter leur collection en touchant à la scène graphique contemporaine, on dénombre quantité de néophytes. Amateurs peu nantis mais sensibles à l’art, ceux-là se mueraient volontiers – si leur situation pécuniaire le leur permettait – en véritables collectionneurs. Dans une atmosphère loin du snobisme et du climat guindé qui auréolent souvent l’art contemporain, acheter une £uvre à moindre coût représente un moyen peu risqué de se frotter au marché.

Tremplin pour talents de demain ?

L’un des mérites des innombrables foires et galeries alternatives, c’est avant tout le défrichage que le milieu – condescendant et très codifié – ne prend plus la peine d’effectuer. Les nouveaux artistes y trouvent une visibilité qu’ils ne rencontrent pas nécessairement dans le circuit traditionnel. Beaucoup souffrent en effet de ne pouvoir compter sur le soutien d’une enseigne établie. En se bradant, tous espèrent se faire repérer par une galerie prestigieuse susceptible de défendre leur travail. Une garantie d’atteindre les hautes sphères de l’art contemporain. Et pour cause : on sait que des marchands renommés ne dédaignent pas prendre le pouls de ces nouveaux foyers de talents… Certains y font carrément leur marché. Dès lors, pourquoi les jeunes devraient-ils s’interdire de rêver ? Ils ne sont d’ailleurs pas les seuls… Tous les acheteurs nourrissent l’ambition gratifiante de dénicher un artiste émergent qui prendra de la valeur. On se met alors à rêver à de belles plus-values et à des hausses spéculatives importantes, avec une seule et unique arrière-pensée :  » Et si j’avais du flair ? Si je tenais là le futur Mondrian ou Picasso ? » L’espoir de voir une £uvre achetée pour une poignée d’euros se muer en formidable investissement est tout aussi ténu que celui de gagner à la loterie. Mieux vaut donc choisir une pièce qui vous plaît.

L’art discount, si démocratique soit-il, ne recouvre-t-il pas une certaine désacralisation, une banalisation consumériste même de la création ? Certains redoutent ce piège et s’inquiètent des dérives, comme celle consistant, dans le chef de vendeurs sans scrupules, à imposer aux artistes des formats, un cahier des charges très précis, jusqu’à un code chromatique à respecter impérieusement. Jusqu’où un artiste doit-il se brader, se brimer ?

Vendre à petits prix implique une production à grande échelle et l’inspiration, naturellement, fait vite défaut. Pour débusquer des perles sans vous ruiner – et vous constituer une petite collection de qualité – il vous faudra bien chercher, faire preuve d’une grande curiosité et d’une patience à toute épreuve.

GWENNAËLLE GRIBAUMONT

EN SE BRADANT, LES ARTISTES ESPÈRENT SE FAIRE REPÉRER

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