Pétrole : l’arme à double tranchant

En se servant de l’or noir, vital pour son économie, l’Iran prendrait des risques

La menace d’un embargo pétrolier avait été évoquée dès octobre 2005 par les nouveaux hom-mes forts iraniens. Le revolver est toujours dans le tiroir du président Mahmoud Ahmadinejad. Téhéran peut à tout moment faire la démonstration de sa force. Ce qui n’irait pas sans créer quelques problèmes en Europe, dont l’Iran est un des grands fournisseurs – notamment de la Grèce, de l’Italie et des Pays-Bas. Compte tenu du quasi-équilibre mondial entre l’offre et la demande, l’arrêt des exportations de la National Iranian Oil Company (2,5 millions de barils par jour) se traduirait par un trou de 500 000 barils par jour sur le marché. De quoi faire grimper allègrement le prix du brut vers les 100 dollars le baril.

Rien ne dit que Téhéran soit décidé à mettre en £uvre ses menaces. Pour des raisons techniques, d’abord :  » Quand on cesse de produire, on ne sait jamais dans quelles conditions on pourra recommencer « , souligne Olivier Appert, président de l’Institut français du pétrole. Pour des considérations financières, ensuite : 83 % des recettes du commerce extérieur et 32 % de celles de l’Etat relèvent du brut, et l’Iran en dépend trop pour jouer inconsidérément au petit jeu de l’embargo.

Embargo sélectif ?

En 2005-2006, les revenus pétroliers devraient dépasser 45 milliards de dollars, soit 9 milliards de plus qu’en 2004-2005. Ce qui accroîtra notablement les réserves du Fonds de stabilisation pétrolier, qui dépassent aujourd’hui les 40 milliards de dollars. Une sacrée tirelire, dans laquelle les pouvoirs publics ont pris l’habitude de puiser des deux mains pour financer les dépenses sociales et offrir des prix subventionnés. Or, compte tenu de la démographie et d’un taux de chômage (officieux) frôlant les 30 %, le gouffre des aides et des subventions ne cesse de se creuser chaque jour, mais personne n’envisage vraiment de le combler. A peine le gouvernement a-t-il émis l’idée d’un prix du carburant qui varierait légèrement selon les revenus du conducteur. Il y a urgence : l’an dernier, la seule aide aux carburants a avoisiné les 10 milliards de dollars, auxquels il faut ajouter – faute d’un raffinage performant – 4,8 milliards de dollars d’importations d’essence (en particulier en provenance d’Inde). Thierry Coville, chercheur associé au département du monde iranien, au CNRS, commente :  » La paix sociale est à ce prix.  »

Puiser dans la cagnotte pétrolière pour satisfaire la rue n’est pas sans risque, car le Fonds de stabilisation devait servir uniquement à financer l’avenir, comprenez une partie des 320 milliards de dollars d’investissements prévus par le 4e plan entre 2005 et 2009. Ainsi l’Iran, assis sur les deuxièmes plus grosses réserves mondiales derrière l’Arabie saoudite, veut-il doubler sa production pétrolière d’ici à 2010. Il devra pour cela mobiliser entre 100 et 150 milliards de dollars d’investissements sur le marché iranien ou à l’étranger. Si l’arme de l’embargo était dégainée, elle risquerait fort de blesser également le tireur : les investisseurs n’ont jamais aimé l’instabilité politique et économique.

 » Faute d’une stratégie alternative globale, la fermeture totale du robinet est assez peu crédible « , estime Frédéric Tellier, spécialiste de l’Iran à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). C’est ce que pense également Philippe Sébille-Lopez, directeur du cabinet Géopolia :  » Leur meilleure carte serait un embargo sélectif.  » Téhéran pourrait ainsi frapper l’Europe en privilégiant dans le même temps ses clients asiatiques, les amis chinois, indiens et japonais au premier rang. Coup double, l’augmentation des prix lui permettrait de compenser la baisse de ses ventes.

Le jeu est à haut risque :  » Si le brut dépasse les 100 dollars par baril, les faucons auront encore plus de poids à Washington « , prédit un pétrolier. Et de rappeler qu’en 1953 la CIA avait largement £uvré à la chute du Dr Mossadegh, l’homme qui avait nationalisé le pétrole iranien. Depuis, il est vrai, les temps ont peut-être un peu changé…

G.D.

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