Un nouveau génocide, un siècle après 1915 ?

La destruction du patrimoine assyrien témoigne de la volonté des terroristes de l’Etat islamique d’éradiquer toute présence chrétienne d’Irak. Et dans le même temps, le martyre des chrétiens de Syrie continue. Entreprise génocidaire ?

 » Cette tragédie est loin d’être seulement un enjeu culturel : c’est un enjeu de sécurité majeur. On voit bien comment les terroristes utilisent la destruction du patrimoine dans une stratégie de terreur, pour déstabiliser et manipuler les populations, et assurer leur domination.  » En tentant, dès la fin du mois de février, d’alerter la communauté internationale, Irina Bokova, la directrice générale de l’Unesco (l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture) a pris la mesure de la gravité des destructions des joyaux de la civilisation assyrienne par le groupe terroriste Etat islamique.  » A coups de hache, de masse et de marteau piqueur « , les islamistes ont détruit des pièces d’une valeur inestimable du Musée de Mossoul, deuxième ville d’Irak conquise en juin 2014, avant de s’en prendre, quelques jours plus tard, au patrimoine à ciel ouvert de Nimroud, capitale pendant 150 ans de l’empire assyrien qui prospéra du IXe au VIIe siècle avant Jésus-Christ. La cité de Khorsabad, qui lui succéda, aurait, elle aussi, subi les foudres des fous de dieu.

Une ampleur sans précédent ?

Les terroristes de Daech avaient déjà procédé, sur les territoires qu’ils contrôlent en Irak et en Syrie, à une épuration confessionnelle, plaçant les chrétiens et les autres minorités religieuses devant un faux choix : se convertir à l’islam ; s’ils n’y consentaient pas, survivre comme des citoyens de seconde zone, ou fuir. L’éradication des vestiges de la civilisation chrétienne assyrienne s’inscrit dans la même ligne. Il est vraisemblable que les affidés d’Abou Bakr al-Baghdadi soient résolus à effacer toute trace de la période pré-islamique de la région. Ils ne sont pas les premiers djihadistes à perpétrer semblable crime de guerre, passible de la Cour pénale internationale. En mars 2001, les talibans afghans avaient réduit en ruines les Bouddhas de Bâmyân ; en 2012, les djihadistes du groupe Ansar Dine avaient profité de leur éphémère occupation du nord du Mali pour raser les mausolées aux saints musulmans de Tombouctou. Le saccage du patrimoine assyrien apparaît cependant inédit par son ampleur.

Joseph Yacoub, professeur honoraire de l’Université catholique de Lyon, voit dans ces destructions patrimoniales  » une volonté d’éradiquer la mémoire des communautés chrétiennes, physiquement et culturellement « . Ethnocide et génocide se conjugueraient pour éliminer les dernières présences chrétiennes en Mésopotamie.  » On assiste au même processus qu’en 1915 lors du génocide arménien et assyro-chaldéen par les troupes du gouvernement Jeunes-Turcs « , souligne le spécialiste (lire page 64). L’intervention, même limitée, de la communauté internationale, qui a constitué une coalition pour bombarder les positions de l’Etat islamique depuis août 2014, et l’élan de solidarité de la diaspora créeraient un contexte pourtant sensiblement différent. Sursaut salutaire ? La réaction des puissances occidentales concernées aux atteintes au patrimoine antique apparaît pour le moins timide. Raison pour laquelle les associations assyriennes de Belgique ont sollicité le soutien de l’Union européenne lors d’une manifestation le 9 mars à Bruxelles. Parmi les revendications, un appui à la création, dans la plaine de Ninive, d’une région autonome chrétienne et yézidie au sein d’un Etat fédéral irakien et un soutien militaire.  » Plutôt que l’envoi de troupes militaires étrangères dont on se souvient de l’échec dans un passé récent, pourquoi ne pas aider à la formation et à l’armement de groupes armés chrétiens ? Beaucoup de jeunes d’Irak et de la diaspora sont prêts à combattre au sein des Unités de protection de la plaine de Ninive existantes « , explique Naher Arslan, un des organisateurs.

Enlèvement à grande échelle

S’il le fallait encore, les derniers développements de la situation des chrétiens en Syrie cette fois témoignent de l’urgence d’une aide. Les forces de l’Union démocratique kurde (PYD, alliée du Parti des travailleurs du Kurdistan de Turquie, PKK) et les groupes armés assyriens ont été impuissants à contrecarrer la dernière offensive de l’Etat islamique qui a permis la conquête des villages chrétiens de la rive droite du Khabour, fleuve du nord-est syrien, et quelques-uns de la rive gauche. Quelque 250 chrétiens assyriens ont été enlevés, environ 5 000 ont fui vers les localités refuges de Hassaké et de Qamishli. Le sort de la plupart des otages restait incertain en milieu de semaine alors qu’une vingtaine ont été libérés, grâce à l’intervention de dirigeants de tribus sunnites locales et vraisemblablement contre rançon ; ce qui tendrait tout de même à prouver que la possibilité de négocier avec les islamistes, fussent-ils les plus radicaux, existe.

Ironie de l’Histoire, insiste Joseph Yacoub, les chrétiens du Khabour sont les enfants des déportés des massacres de 1933 en Irak, eux-mêmes rescapés du génocide de 1915 en Turquie sous l’empire ottoman et réfugiés dans un premier temps en Iran…

Par Gérald Papy

 » Le saccage du patrimoine assyrien apparaît inédit par son ampleur « 

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