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Nationaliser les entreprises wallonnes ?

Michel Delwiche
Michel Delwiche Journaliste

L’Union wallonne des Entreprises entre en guerre contre le projet de décret prévoyant la possibilité d’exproprier les entreprises qui veulent cesser leurs activités. Elle sait que ce texte ne devrait jamais être appliqué, qu’il ne s’agit que d’une opération de com à destination des ouvriers du bassin liégeois, mais elle dénonce les effets dévastateurs pour l’image à l’étranger de la Wallonie, au moment même où le gouvernement wallon dépense des fortunes pour expliquer que « la Wallonie est ouverte sur le monde ».

C’est un projet inutile, nuisible, ridicule, totalement contre-productif, hypocrite et qui manque de courage politique. Ce ne sont pas les mots utilisés par les instances de l’Union wallonne des Entreprises (UWE), mais c’est bien l’esprit de leur opposition, exposée ce mardi matin, au projet wallon de décret « sur l’expropriation d’actions, d’universalités ou de branches d’activités pour cause d’utilité publique » actuellement en 2e lecture au Gouvernement wallon. Soit le décret « nationalisation ».

L’empathie ministérielle et pré-électorale

Ce projet, initié par Jean-Claude Marcourt, le ministre wallon (et PS, et liégeois) de l’Economie, vise à permettre au gouvernement wallon d’exproprier des sites de production lorsque l’entreprise décide de cesser ses activités, et refuse de les céder à un repreneur. Soit la Région reprend elle-même l’exploitation (« il n’y a aucune opposition de type idéologique à ce que la Région entre au capital ou dirige une entreprise », tient à souligner Vincent Reuter, l’administrateur-délégué de l’UWE), soit elle prend les manettes pour ensuite revendre à un repreneur.

Cela pose bien des questions, explique Jean-François Heris, l’actuel président de l’UWE et CEO d’AGC (Asahi Glass Company, leader du verre plat). « Comment comprendre en effet que la Région wallonne puisse se substituer aux administrateurs pour décider de ce qui est bon ou non pour l’entreprise? Comment imaginer qu’elle puisse prendre le contrôle d’une société pour ensuite la revendre, le cas échéant à des concurrents directs, au risque de casser le marché? Nouveau propriétaire qui saura qu’il peut, lui-aussi, se faire exproprier… »

Ce projet a manifestement été rédigé sur un coin de table pour permettre aux politiques d’exprimer leur empathie avec une opinion publique secouée par les annonces successives de fermetures d’outils dans le bassin sidérurgique liégeois. Exproprier, nationaliser ArcelorMittal, ou Caterpillar? Impayable évidemment. « On nous dit de partout que nous ne devons pas nous inquiéter, souligne Jean-François Heris, et que le décret ne devrait jamais être appliqué. Soit. Mais les dégâts en termes d’images sont épouvantables. L’AMCHAM, la chambre de commerce américaine pour l’Union européenne, l’a déjà souligné. »

Une Wallonie collectiviste ?

Pour les Etats-Unis, principal investisseur en Wallonie, le spectre de la nationalisation renvoie en effet à une image négative, « d’un autre âge, qui sera difficile à corriger », selon Dominique Godin, président de l’AWEX (Agence wallonne à l’exportation et aux investissements étrangers), pour qui la Wallonie n’a vraiment pas besoin de ce handicap supplémentaire, venant s’ajouter aux autres que sont le coût du travail et celui de l’énergie. Et qui pourrait jouer de façon déterminante, au profit des régions voisines, dans le choix d’une implantation.

Ce décret, pour l’UWE, c’est de la com émotionnelle, à destination d’un électorat qui pourrait être séduit par les positions de partis de gauche. Il y a d’ailleurs fort à parier que le cheminement du texte va encore prendre pas mal de temps, qu’on va le laisser pourrir jusqu’après les élections. Stratégiquement, ce n’est en effet pas le moment de faire marche arrière. Et tant pis pour l’image de la Wallonie à l’étranger, alors même qu’elle fait pour l’instant l’objet d’une importante campagne de promotion dans le monde entier, pour expliquer qu’elle est « ouverte sur le monde ».

Manque de courage politique: l’UWE a envoyé un courrier précisant ses positions au ministre-président wallon, aux trois vice-présidents ainsi qu’aux quatre présidents de partis francophones, mais elle n’a reçu que deux pâles accusés de réception, purement formels. Au moment même où le gouvernement wallon veut imposer aux partenaires sociaux sa propre vision de la concertation, ça la fout mal…

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