Sida : un vaccin pour soigner ?

Selon le Pr Michel Kazatchkine, chercheur réputé et directeur, en France, de l’Agence nationale de recherches sur le sida, la piste la plus sérieuse des recherches repose sur un vaccin non pas préventif mais curatif. Analyse, avant la journée du sida du 1er décembre

Le Vif/L’Express : Depuis la découverte du virus du sida, voici vingt ans, l’épidémie n’a cessé de s’étendre. Quels sont les pays les plus menacés aujourd’hui ?

Pr Michel Kazatchkine : Ceux de l’Europe de l’Est. En Russie par exemple, on estime qu’il y a environ 1,5 million de personnes infectées. Dans cinq ans, ce sera 4 millions. A l’origine, les premiers vecteurs de l’épidémie ont été les toxicomanes. Maintenant, le déni politique et le refus des autorités de reconnaître cette réalité sont la cause principale de l’épidémie. Pourtant, on sait que lorsqu’il n’y a pas cette dénégation, que les traitements sont disponibles et que la prévention est efficace, comme par exemple en Thaïlande, au Brésil ou au Sénégal, l’épidémie recule. Cela signifie que le sida n’est pas une fatalité.

Et le vaccin ? Cela fait dix ans qu’on nous dit  » dans dix ans « , et on ne voit toujours rien venir.

Pour faire très court ou brutal, je ne sais pas si on pourra, un jour, avoir un vaccin véritablement préventif. La raison est simple. Pour qu’un tel vaccin soit efficace, il lui faut reproduire ce que fait le système immunitaire : j’ai la rougeole, je guéris de la rougeole, après je ne peux plus être infecté par ce virus parce que j’ai fabriqué des anticorps spécifiques. En pratique, pour le sida on en est incapable, toutes les tentatives menées à ce jour ont échoué. Et plus on avance, plus on réalise que les concepts utilisés sont incomplets.

Alors, c’est sans espoir ?

Pas tout à fait. Certes, nous avons renoncé à éliminer complètement le virus et à empêcher l’infection. Mais il existe des pistes de recherche sérieuses autour d’un vaccin thérapeutique : si on parvenait à déclencher des réponses immunitaires au niveau cellulaire, même sans obtenir des anticorps  » forts « , les gens pourraient avoir une très bonne réponse initiale et donc se débarrasser de 95 % de leur virus. Ce type de vaccin curatif, d’une d’efficacité partielle, aurait un intérêt individuel évident. En pratique, au lieu d’avoir une maladie qui évolue en dix ans, avec des antirétroviraux proposés en moyenne sept ans plus tard comme c’est le cas aujourd’hui, nous aurions une infection évoluant sur vingt-cinq ans, et des médicaments à prendre au bout de vingt ans.

Avec, pour effet pervers possible, que la prévention se relâche. Peut-on, dans ces conditions, proposer un tel vaccin ?

Cela soulève effectivement des questions considérables. En fait, on ne sait même pas si les autorités de santé, au niveau mondial, pourraient agréer un vaccin sur un concept pareil… Cela dit, il aurait aussi un intérêt collectif, pas seulement économique, notamment pour les pays en développement. Car on sait que si l’on abaisse la charge virale des séropositifs, on diminue aussi le risque de transmission virale à l’échelle de toute la population. Des mathématiciens hollandais ont très bien modélisé tout cela. Or ce que l’on attend d’un vaccin, c’est une protection à la fois individuelle et collective contre l’épidémie. Et je prétends, moi, qu’un tel vaccin peut être mis au point d’ici à dix ans.

Ce ne sera pas trop tard ?

Vous savez, le sida est une épidémie encore jeune. C’est d’ailleurs bien ça le problème. Selon les chercheurs les plus sérieux, le pic pourrait n’être atteint qu’en 2040 ! Les hommes politiques, eux, pensent que le plus dur est derrière nous, ils tombent des nues quand on leur dit cela.

Autre exemple d’idée fausse : la recherche sur le sida ne bénéficie qu’au sida.

Absolument. En matière d’épidémiologie par exem- ple, c’est même flagrant. Si on a réagi si vite et si bien pour le Sras, c’est, entre autres, parce qu’on a tiré les leçons de ce qui s’est passé pour le VIH. On s’est dit : pas question de faire pareil, c’est-à-dire de laisser passer une épidémie sur laquelle on s’est tu dans les pays pauvres, et qui s’est développée parce que la prévention est venue très tard.

Et en dehors du Sras ?

Le sida a profondément modifié notre pratique médicale quotidienne. Ainsi, parce que les associations nous ont poussés très loin dans nos retranchements, nous avons dû développer une approche extrêmement individualisée. Aujourd’hui, le patient est suivi sur des critères biologiques (sa charge virale, ses génotypes de résistance…) mais aussi au plan psychologique et social. Cette prise en charge spécifique, personnalisée, apparaît dans d’autres pathologies, et notamment le cancer.

L’hôpital n’y était pas vraiment préparé.

C’est exact. Mais dès lors que des groupes dits marginaux, homosexuels et toxicomanes en particulier, ont émergé, dès lors que certains d’entre eux ont cultivé leur identité à partir du sida, celui-ci a bouleversé les liens de l’hôpital et du patient, de la société et de la maladie. Ce n’est pas tout qu’une personne prenne des médicaments ou qu’elle ait accès aux soins : elle doit devenir un acteur à part entière du traitement, pas un receveur passif. Là encore, les associations ont beaucoup travaillé…

Entretien : Vincent Olivier

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