Alain Flausch L’art de déplaire

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

A 60 ans, l’homme qui a dépoussiéré la Stib avec les méthodes du privé est attaqué de toutes parts. Patron intransigeant, mal aimé de son personnel, il a pris des positions qui ont suscité un tollé dans le monde politique bruxellois.

Dix-huit heures, au Royal Atrium, dans le centre de Bruxelles. Le siège social de la Stib se vide comme un paquebot arrivé au port. Un ascenseur et quelques coursives plus loin, nous traversons des bureaux high-tech désertés, où pas un ordinateur, pas un dossier, pas un crayon n’est laissé sur les tables. Au c£ur du labyrinthe, nous retrouvons, dans une salle de réunion, Alain Flausch, maître des lieux. La journée du directeur général des transports publics bruxellois a été chargée, mais il a accepté d’accorder un long entretien au Vif/L’Express. Critiqué de toutes parts, mis sur la sellette par la majorité olivier au pouvoir dans la capitale, le patron de la Stib s’explique et revient sur son parcours chahuté à la tête de l’entreprise publique.

 » Ces dernières semaines ont été éprouvantes, vivement les vacances !  » glisse Flausch dans un soupir. Le grand moustachu au look immuable rejoindra, dès juillet, l’île des Cyclades où il a une villa et un bateau.  » J’ai une passion, la Grèce, confie-t-il. Je m’y rends chaque année depuis un quart de siècle. J’ai été bercé par la culture grecque dès mon enfance. Mon père, préfet des études à la Ville de Bruxelles, était helléniste, et ma mère, historienne de l’art. J’ai toujours hanté les vieilles pierres, les églises et les musées. J’aime aussi la musique baroque et l’opéra. « 

Une note interne explosive

Toutefois, avant de rejoindre les rives enchanteresses de la mer Egée, l’homme qui, depuis onze ans déjà, règne sur les réseaux de métro, de trams et de bus de la capitale doit affronter l’ire des parlementaires bruxellois, ulcérés par une note interne explosive de la Stib. Rédigé en novembre 2010 par un membre de la direction développement, Jean-Michel Mary, un protégé de Flausch, ce document de travail a été récemment dérobé et envoyé aux médias. Aussi confuse que maladroite, l’analyse prospective présente les mandataires politiques bruxellois, notamment d’origine non européenne, comme des personnalités prudentes, de peu d’envergure. En conséquence, l’auteur suggère de rattacher la Stib au niveau fédéral, seul capable, selon lui, d’assurer le développement du réseau régional, via des partenariats publics-privés.

 » Les tensions devraient s’apaiser « 

 » C’est une simple opinion « , remarque le directeur général. Elle a néanmoins scandalisé les élus PS, Ecolos et CDH, qui ont réclamé des sanctions et des comptes au management de la Stib.  » Les tensions devraient s’apaiser « , pronostique Flausch. Bête noire des syndicats, mal aimé de son personnel, ce Bruxellois au franc-parler et au caractère impulsif a connu, durant son mandat, tant de zones de turbulences que l’agitation actuelle ne semble pas l’avoir affecté outre mesure.  » Gare aux amalgames ! prévient-il. Je n’ai pas validé cette note et n’ai jamais prôné la privatisation de la Stib, comme on le prétend aujourd’hui. Pour autant, la piste des partenariats avec le privé ne doit pas, me semble-t-il, être négligée si la Région bruxelloise manque de moyens financiers pour construire de nouvelles infrastructures, de nouveaux dépôts. « 

Une prise de position  » politique « 

La coalition de l’olivier appréciera. Elle était déjà sortie de ses gonds il y a quelques semaines en découvrant des propos tenus par Flausch dans le quotidien espagnol El Pais. Le directeur général de la Stib, qui s’exprimait en tant que président de l’Union internationale des transports publics (UITP), laissait entendre que les villes espagnoles, allemandes et autres gérées par les conservateurs investissaient davantage que d’autres en infrastructures pour les transports publics. Qualifiée de  » prise de position politique « , cette déclaration a valu à Flausch une volée de bois vert. Un couac malvenu pour le patron de la Stib, qui tentait, au même moment, de convaincre les ministres bruxellois d’augmenter son salaire annuel et de lui verser ses arriérés de bonus.

 » Restaurer la sérénité s’impose, estime Flausch. Je suis quelqu’un de passionné, mais je déteste l’émotion débridée, non raisonnée entre partenaires, tout comme les basses petites querelles. Tout le monde peu commettre des erreurs, mais là, on me cherche des puces !  » Le bourgmestre d’Etterbeek, Vincent De Wolf (MR), se dit persuadé qu’on veut  » dégoûter Flausch pour le remplacer par un camarade « . Le directeur général ne confirme pas. Il laisse même entendre, à demi-mot, que dans les hautes sphères du PS bruxellois, on évite plutôt de mettre de l’huile sur le feu, alors que, dans les rangs Ecolo, certains, plus remontés, ont réclamé sa démission.

Claquer la porte

Le mois dernier, Flausch lui-même s’est dit prêt à claquer la porte, voyant dans le refus de faire passer sa rémunération annuelle de 170 000 à 230 000 euros un manque de reconnaissance du travail accompli. Quand on lui rappelle le montant des salaires des patrons du port de Bruxelles ou d’Actiris, fixés à 100 000 euros brut par an, il réplique qu’on ne peut comparer ces administrations avec son entreprise de 6 800 employés. Lui évoque alors les 500 000 euros annuels du patron de la grande s£ur SNCB.  » Mon job n’est pas une sinécure, clame-t-il. Je ne me suis pas enrichi en venant à la Stib ! « 

Juriste de formation, Flausch a remplacé, en 2000, Jacques Devroye à la tête des transports publics bruxellois.  » Jacques Simonet, alors ministre-président régional, est allé chercher ce top manager du privé pour briser l’hégémonie socialiste dans une boîte où, à l’époque, un seul cadre était encore étiqueté libéral, se souvient un administrateur de la Stib. Tous les directeurs généraux précédents étaient des produits de la maison, qui avaient gravi les échelons jusqu’au sommet et connaissaient bien le personnel. Flausch, lui, venait de l’extérieur et n’était, de toute évidence, pas un utilisateur acharné des transports en commun. Il n’a d’ailleurs pas renoncé à la voiture pour effectuer le trajet entre son domicile d’Uccle et son bureau, au siège de la Stib. « 

Bien décidé à rendre l’entreprise publique plus efficace, Flausch y a fait le ménage.  » Il est urgent de moderniser une administration sclérosée, pas du tout orientée clients « , martelait-il à l’époque. Ce discours a vexé de nombreux travailleurs, dont ceux qui, avant l’arrivée du nouveau boss, avaient commencé à faire bouger la société. Le patron de la Stib a alors mis de côté la plupart des anciens dirigeants de la maison.  » Il s’est entouré de jeunes cadres ambitieux, au comportement méprisant à l’égard des agents « , lâche un syndicaliste. En outre, son adjoint Kris Lauwers (CD&V) et lui snoberaient le conseil d’administration de la Stib, privé d’informations précises sur la société.  » Leur défiance à l’égard de la plupart des administrateurs est telle qu’ils interdisent au personnel d’avoir des contacts avec eux « , affirme une source interne.

 » On discute encore trop « 

 » Négociateur intransigeant, le patron a une vision stratégique « , réplique un proche de Flausch.  » Mais il n’écoute que lui et se met vite en colère « , complète un agent.  » Il y a des attitudes insupportables qui m’énervent, reconnaît volontiers le directeur général. Il faut, certes, recueillir tous les avis avant de prendre une décision, mais je suis le capitaine d’un grand navire, qui ne peut changer sans cesse de cap. On discute encore beaucoup trop à la Stib. On me dit autoritaire ? On oublie que, dans le privé, la direction est autrement plus impériale ! « 

OLIVIER ROGEAU

 » On me cherche des puces « 

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