» Le téléchargement, une évolution irréversible « 

Faut-il contrôler le téléchargement sur Internet ? Deux propositions de loi (une Ecolo et une MR) sont avancées (1). Mais faut-il laisser le débat aux politiques ? Le Vif/L’Express a choisi de donner la parole aux internautes et aux artistes, les premiers concernés par la problématique. Et ils ne sont pas si opposés…

C’est clair : les internautes ne semblent pas près de lâcher le moindre millimètre de leur pré carré virtuel.  » Le Net est un média de communication libre, le seul pour ainsi dire « , affirme viféclair sur le forum de www.levif.be, en ajoutant que légiférer en matière de téléchargement, c’est la porte ouverte à une mainmise sur le Net. Outre des craintes pour le respect de la vie privée, les internautes refusent de payer plusieurs fois des droits d’auteur.

La taxe Reprobel est un argument souvent invoqué.  » Quand j’achète un portable, je paie une taxe destinée aux droits d’auteur pour le lecteur-enregistreur intégré. Si j’achète un CD ou un DVD et que je veux m’en faire une copie pour usage personnel, je dois aussi payer une taxe pour le CD original puis pour le support vierge « , écrit oldmonkey. C’est vrai aussi pour les clés USB, relève skwal.  » Je m’étonne qu’on n’ait pas encore pensé à taxer les souris pour donner une participation à Gaïa « , ironise jeffry.

Plusieurs s’interrogent aussi sur l’exécution d’une loi de style Hadopi.  » Le chargement peer to peer est dépassé. La loi Hadopi a déjà montré ses limites « , selon jeffry.  » Une telle loi ne peut venir que de la droite, car elle ne sert que les intérêts des sociétés d’édition de musique. Alors qu’une licence globale servirait à rétribuer uniquement les artistes « , écrit gandalf.  » Quels droits prétend-on défendre, ceux des industries de la culture ou des artistes ?  » se demande benag144.

Le système de licence globale, proposé par Ecolo, ne séduit toutefois pas tout le monde.  » Si je télécharge de la musique comme un malade de manière totalement légale et libre de droits, je consomme mes gigabits en les payant à mon fournisseur d’accès. Je ne vois pas en quoi je dois me faire taxer pour ces téléchargements… « , s’étonne OSX360.

Un internaute fustige aussi les cachets des artistes :  » Pourquoi la majorité des personnes qui téléchargent illégalement n’éprouvent aucun remords ? écrit cory2003. Tout simplement à cause des salaires exorbitants que certains artistes encaissent sans trop se crever.  »

Le point de vue des artistes

Côté artistes, on sent une certaine résignation. Nous avons interrogé trois chanteurs belges connus, dont les ventes sont tout de même loin d’atteindre celles d’un Johnny Hallyday (400 000 CD) ou d’un Raphaël (1 million). A l’évidence, le téléchargement illégal influence leur chiffre d’affaires et leur métier.  » Si nous vendions 9 000 CD il y a trois ou quatre ans, lorsque le téléchargement a commencé à prendre de l’ampleur, nous en vendons 3 000 aujourd’hui « , constate David Bartholomé, du groupe Sharko.  » Le téléchargement illégal me fait perdre environ 10 % de ventes chaque année « , révèle Daan qui a tout de même obtenu, fin janvier, l’Ultratop Download Award, soit le trophée qui récompense l’artiste belge le plus téléchargé sur des sites légaux.  » Je ne me rends pas vraiment compte des dommages, reconnaît Saule. Sans doute, aurais-je vendu davantage de CD sans le téléchargement illégal, mais je m’estime déjà heureux de ce qui m’arrive. « 

Le manque à gagner est principalement comblé par les concerts que les artistes multiplient.  » Avant, je faisais des albums pour vendre mes concerts, aujourd’hui c’est le contraire « , sourit Daan.  » Nous louons une camionnette plus petite pour partir en tournée « , raconte David Bartholomé.  » C’est clair que c’est grâce aux concerts que je gagne vraiment ma vie, mais je ne cherche pas à pallier un manque de recettes sur les ventes de CD, affirme Saule. J’adore le live. C’est là que je prends le plus mon pied ! « 

Quant aux solutions pour contrer le téléchargement illégal : aucun n’est pour la répression, contrairement aux grosses machines de la chanson française qui ont soutenu Hadopi.  » A quoi servira de couper l’accès Internet d’une famille dont le gamin de 14 ans a téléchargé le dernier Tokyo Hotel  » ? interroge David Bartholomé S’il faut faire quelque chose, ce n’est pas à ce niveau-là, mais plutôt au niveau des fournisseurs d’accès à Internet.  » Séduit par la licence globale, le leader de Sharko ?  » Davantage que par une loi Hadopi, répond-il. Mais le projet Ecolo ne dit pas comment une taxe globale serait répartie entre artistes. Selon quels critères ? Les ventes ? Les écoutes en streaming sur le Net ? Il faudra en engager des fonctionnaires pour comptabiliser tout ça ! « 

Pour Daan,  » le téléchargement est une évolution irréversible. On ne changera pas le cours du temps, dit le chanteur flamand. Il faut accepter cela comme un fait technique accompli et s’adapter. L’industrie musicale a connu une période dorée en passant du vinyle au support CD. A l’ère d’Internet, elle doit se métamorphoser. Se concentrer sur les concerts. Avec Internet, les jeunes sont de plus en plus passionnés par la musique. Ils n’achètent pas de CD mais viennent nous voir sur scène. Internet permet aussi de nous faire connaître au-delà de nos fans habituels. J’ai découvert que j’avais un public à Moscou. C’est formidable. « 

 » Il y a vingt ans, on enregistrait énormément de vinyle sur des cassettes audio, se rappelle Saule. Ce n’est pas tout à fait la même chose que le téléchargement, mais le principe est le même. Je crois que les fans qui adorent vraiment un chanteur achètent encore leur CD.  » Cela fait aussi partie de l’évolution du marché du disque :  » Je soigne plus qu’avant les pochettes de mes CD, confie Daan. Les 30-40 ans aiment les beaux objets et ils ont plus d’argent que les ados pour s’en acheter.  » Rien n’est perdu !

(1) Philippe Monfils (MR) compte déposer une proposition de loi sur le modèle Hadopi français, avec une version plus souple. Benoît Hellings (Ecolo) propose, lui, un système de licence globale, inédit en Europe, à savoir une perception sur l’abonnement à l’Internet haut débit, redistribué aux artistes (Le Vif/L’Express du 5 février).

THIERRY DENOëL

L’industrie musicaledoit se concentrer sur les concerts

 » internet nous fait connaître au-delà de nos fans habituels « 

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