Economes, oui. Radins, non

Connu dans le monde entier pour ses idées innovantes en matière de différences culturelles, le sociologue néerlandais Geert Hofstede jette un regard sévère mais tendre sur ses compatriotes

L eVif/L’Express : Les Belges considèrent souvent que les Hollandais sont avares, grossiers et présomptueux. Ces préjugés sont-ils fondés ?

E Geert Hofstede : Ce qui peut apparaître pour de la grossièreté n’est en fait qu’un manque de respect de la hiérarchie, ce degré d’inégalité attendu et accepté par les individus. Alors que les Français et les Belges, par exemple, à l’instar de tous les latins û même la Flandre a gardé les caractéristiques des pays latins û se montrent très attachés aux hiérarchies et à leurs manifestations symboliques, les ressortissants des Pays-Bas, comme ceux de tous les pays germaniques, ont la profonde conviction que tous les êtres humains se trouvent sur un pied d’égalité. Par conséquent, personne ne mérite plus de considération qu’un autre. De ce fait, certaines attitudes au sein des relations familiales, professionnelles ou commerciales peuvent paraître grossières aux ressortissants de pays où la distance hiérarchique est élevée. Par ailleurs, le cliché de l’avarice est complètement faux. Les Hollandais sont très économes, en effet : ils n’aiment pas gaspiller. Leur art à gérer leur patrimoine leur a d’ailleurs valu le qualificatif de  » Chinois d’Europe « , tant ils organisent leurs finances à long terme. En revanche, ils se montrent très généreux en termes de charité.

Cette générosité s’explique-t-elle aussi par l’influence de la religion ?

E Elle provient plutôt de la féminité du pays. En effet, certains pays sont plutôt masculins, dans la mesure où leur culture met l’accent sur des valeurs telles que l’affirmation de soi et le matérialisme. D’autres sont plutôt féminins : ils insistent davantage sur les valeurs liées à la qualité de la vie et aux relations interpersonnelles. Les Pays-Bas dépassent presque tous les autres pays européens en matière de féminité.

Quelles traces le calvinisme a-t-il imprimées ?

E L’héritage le plus marquant du calvinisme est l’idée selon laquelle les règles peuvent être modifiées quand elles ne conviennent pas. Chacun estime donc pouvoir être maître de ses propres décisions, même dans le domaine religieux. Par exemple, s’il apparaît insoutenable pour un prêtre de vivre sans femme, il doit pouvoir se marier. Le mouvement qui défend cette conception de la prêtrise est très répandu au sein de l’église catholique néerlandaise.

Est-ce aussi du calvinisme que vient la propension des Hollandais à innover, par exemple dans le domaine social ?

E L’un des critères de différenciation des cultures est le  » contrôle de l’incertitude « . Les cultures peu enthousiastes face à la nouveauté et à l’inconnu se dotent généralement de lois strictes et de mesures de sécurité, tandis que les autres sont plus réceptives aux idées opposées aux leurs et relativisent davantage les choses. En Belgique, la crainte de l’incertitude est élevée, mais les Belges sont assez individualistes, pour ne pas tomber dans l’extrême. C’est d’ailleurs ce qui explique que le risque de l’extrême droite reste relativement limité. Aux Pays-Bas, la peur de l’incertitude est très faible et, de ce fait, les gens osent essayer de nouvelles solutions. Ils ont, par exemple, laissé entrer l’extrême droite dans le gouvernement. Les autorités ont aussi pris de nombreuses initiatives en matière sociale, au bénéfice des plus faibles.

Vous qualifiez vous-même les Hollandais d’infirmiers du monde. Pourquoi ?

E Cette caractéristique relève également de la féminité du pays : s’occuper des pauvres, élaborer un plan social, dépenser pour les démunis de la société, intégrer les minorités ou protéger la planète sont autant de préoccupations typiquement féminines, culturellement parlant. Elles sont très vives aux Pays-Bas. D’une manière générale, le Néerlandais aime les  » pauvres types  » et se préoccupe de leur sort. Par ailleurs, de par sa situation géographique, en bordure de mer et des grands fleuves, le pays s’est toujours ouvert aux populations étrangères, grâce aux voyages et au commerce. Il y a eu les Huguenots, puis les Juifs, les Belges, les Asiatiques. Amsterdam a toujours accueilli les étrangers û ils ont d’ailleurs beaucoup contribué au développement du pays au xviie siècle û et, sous l’influence de la Ville d’Or, une grande tolérance vis-à-vis des immigrés a gagné tout le pays.

Malgré leurs goûts simples, les Hollandais adorent leur famille royale. Comment s’explique cette contradiction ?

ENous n’avons pas eu d’histoire dramatique semblable à celle de la famille royale belge pendant la Deuxième Guerre mondiale, qui a affaibli l’image de la monarchie. Il faut se souvenir également que la royauté néerlandaise date du xvie siècle. Elle fait partie de l’Histoire. Cependant, le respect vis-à-vis de la royauté ne dure que tant que les rois et les reines se montrent capables d’assumer leur rôle. Nous avons connu une succession de 4 reines, ce qui est exceptionnel et particulièrement opportun dans un pays féminin. L’arrivée prochaine d’un roi ne suscitera pas nécessairement le même engouement populaire.

Qu’est-ce qui différencie encore vos concitoyens des autres Européens ?

E La quête du consensus, qui guide toutes les décisions importantes. Les Néerlandais cherchent toujours à obtenir l’accord de toutes les personnes impliquées dans un projet, une loi, un aménagement de territoire… et ce, avant de prendre la décision. Ce n’est pas toujours un succès, mais c’est une préoccupation permanente et tellement ancrée dans les habitudes qu’elle intervient à tous les degrés de la société : quartier, bureau, école, commune, province, pays. De l’extérieur, elle peut passer pour de la tolérance, mais elle consiste en réalité à chercher la meilleure solution pour tous, afin d’éviter les conflits ultérieurs.

Entretien : Carline Taymans

La quête du consensus peut passer pour de la tolérance, mais elle consiste à chercher à tout prix la meilleure solution. Car le Hollandais déteste les conflits

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