Le Congo, terre de toutes les trahisons

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Kabila et son armée humiliés, Kagame blâmé pour sa complicité avec le M23, les  » parrains  » du Congo divisés… Entre lâchetés, mensonges et engagements non tenus, quelles leçons tirer de la guerre du Kivu ?

Sinistre partie de poker menteur, ces dernières semaines, dans l’est du Congo. Les rebelles du M23, qui avaient toujours nié vouloir prendre Goma, ont franchi le Rubicon, fin novembre, occupant pendant onze jours la capitale provinciale du Nord-Kivu. Les Casques bleus de la Monusco, qui avaient juré de défendre la ville par tous les moyens, ont brièvement utilisé leurs hélicoptères contre la guérilla, puis sont restés l’arme au pied, impassibles, quand le M23 a atteint les faubourgs de la cité. Plus tard, ils ont laissé les rebelles piller Goma et partir avec leur butin.

Du côté des forces dites  » loyalistes « , le bilan, après la débandade et les actes de trahison, est plus consternant encore. Le général Amisi, dit  » Tango Four « , chef d’état-major de l’armée de terre congolaise, a vendu des armes et des munitions à des groupes armés qui opèrent dans l’est de la RDC. Le trafic, révélé par un rapport de l’ONU, a contraint Kabila à suspendre le général-businessman. Pas surprenant qu’une armée dirigée par des officiers aussi corrompus et peu fiables ait refusé le combat et ait dû battre en retraite, malgré la présence des bataillons formés par la Belgique et l’Afrique du Sud et le soutien des milices Maï-Maï, groupes armés antirwandais. De même, la contre-offensive de l’armée n’a pas eu lieu, donnant l’impression que le M23, à présent installé sur des collines stratégiques proches de Goma, est toujours maître du terrain.

Les experts de l’ONU ont confirmé, début décembre, ce que tout le monde savait ou faisait semblant d’ignorer : le Rwanda et l’Ouganda ont bien aidé militairement les rebelles du M23 dans leur offensive pour prendre Goma. Les forces rwandaises ont fourni un  » soutien direct  » au mouvement dès le déclenchement des hostilités. Sept compagnies rwandaises, soit plus d’un millier de soldats, sont venues épauler le M23 sur le front de Kibumba, sans compter les militaires rwandais déjà déployés au Congo les semaines précédentes. L’armée ougandaise a apporté un  » appui logistique  » aux opérations, indique le rapport des Nations unies, fondé sur des sources diplomatiques et les témoignages d’anciens officiers rwandais, ougandais et congolais.

L’implication de Kigali et de Kampala dans la guerre du Kivu a également été mise en évidence par plusieurs enquêtes européennes. Pourtant, les Rwandais n’ont cessé, pendant des mois, de démentir les accusations de soutien au M23 portées contre eux.  » Ce rapport est une aberration, Kigali n’a rien à voir avec ces officiers issus de l’armée congolaise « , martelait la ministre rwandaise des Affaires étrangères. Le Rwanda, malgré son appui aux rebelles, proposait alors sa  » médiation  » pour régler la crise. Après la prise de Goma, les pressions occidentales sur le régime de Kagame se sont accentuées. Kigali a alors été forcé d’exiger des rebelles qu’ils renoncent à poursuivre leur offensive et évacuent la ville et Saké, autre cité conquise.

C’est surtout outre-Atlantique que le sort de Goma s’est joué. Le Rwanda, qui n’a cessé de se comporter en gendarme dans l’est du Congo depuis le génocide de 1994, bénéficie du soutien indéfectible des Etats-Unis, en particulier de celui de Susan Rice. L’ambassadrice américaine à l’ONU ne s’est jamais montrée enthousiaste à l’idée d’adopter des sanctions internationales ciblées contre des responsables rwandais. Et elle a tenu à ce que le Rwanda ne soit pas explicitement cité dans la résolution du Conseil de sécurité qui demandait, quelques heures après la conquête de Goma, aux pays qui appuient les rebelles du M23 de mettre fin à cette aide.

Le gouvernement américain est néanmoins sorti de sa léthargie, confronté à une avalanche de témoignages accablants pour le Rwanda. Les experts de l’ONU ont mis en cause le ministre rwandais de la Défense, James Kabarebe, un fidèle du président Kagame, qui aurait personnellement supervisé l’offensive du M23. Dans le même temps, le patron des opérations de maintien de la paix des Nations unies, le Français Hervé Ladsous, relevait que le M23 disposait d’équipements de vision nocturne et de canons de 120 mm flambant neufs, matériel grâce auquel les rebelles ont pu attaquer de nuit et balayer en quelques heures les troupes de Kinshasa.

Pointé du doigt par les enquêtes de l’ONU, Kigali a reculé pour éviter l’isolement diplomatique. D’autant que le Royaume-Uni, autre allié occidental du Rwanda, venait d’annoncer le gel d’une tranche d’aide au  » pays des Mille Collines « . Kigali étant, à l’instar de Kinshasa, sous perfusion financière, les pays donateurs disposent d’un important moyen de pression. Kagame sort de la crise avec un blâme, formulé par Hillary Clinton, mais il aura, une fois de plus, fait la démonstration que, sans son intervention, il n’y pas de paix possible dans la région des Grands Lacs.

Le gouvernement Kabila, lui, ne s’en tire pas aussi bien. La défaite de l’armée congolaise, humiliée, déliquescente, apparaît comme la conséquence logique de l’incurie d’un régime autiste. La veille de la chute de Goma, Kinshasa rejetait encore tout dialogue politique avec les chefs du M23, considérés comme des  » mutins à neutraliser « . Désormais, les représentants du gouvernement congolais discutent, à Kampala, avec ces mêmes officiers rwandophones, invités à la table des négociations. Des chefs rebelles qui comptent, dans leurs rangs, des criminels de guerre.

En échange du retrait du M23 – à vingt kilomètres seulement de Goma -, Kinshasa s’est engagé à  » prendre en compte les revendications  » des rebelles. Le mouvement cherche à obtenir des postes, des grades et des garanties d’impunité pour ses leaders militaires et politiques. Si Kabila, affaibli par la crise, leur donne gain de cause, ce sera perçu comme une invitation, pour tous les groupes armés de l’est du Congo, à miser sur le chaos. La cote de popularité du raïs congolais, déjà tombée bien bas de Kinshasa à Kisangani et des deux Kivus au Bas-Congo, risque de chuter encore.

OLIVIER ROGEAU

 » C’est surtout outre-Atlantique que le sort de Goma s’est joué  »

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