LA CHRONIQUE : Ghetto

Le Moyen Age avait ses jacqueries ; la révolution industrielle, ses révoltes de canuts et ses soulèvements ouvriers. En attendant peut-être d’inédites insurrections, le monde hypermoderne a ses émeutes de banlieues. La France en est coutumière : les premières datent de 1981 ! C’était à Vénissieux, dans la  » zone urbaine sensible  » dite des Minguettes. A Lyon déjà (1)… Depuis 1990, dans l’Hexagone, le phénomène est devenu chronique. Cependant, en durée comme en extension, les rébellions urbaines de l’hiver 2005 s’avèrent les plus importantes depuis son apparition : du 27 octobre au 17 novembre dernier, la République a connu son agitation sociale la plus considérable depuis Mai 68… Que s’est-il passé ? On peut bien entendu se contenter des explications provocatrices des officiels ou des clichés éculés des médias. Mais au-delà ?

En première ligne, on s’en doute, on trouve une vigoureuse réaction à ces causes sociologiques – hélas, bien connues – auxquelles, de manière classique, s’abreuve la colère populaire. Un humus toxique fait de crise socio-économique et de crise de la citoyenneté où l’échec scolaire, débouchant sur une absence de travail, suscite le sentiment délétère d’être abandonné de manière inique par la société. De devenir un  » indigène de la République « … Une République dont la devise ne serait plus le célèbre triptyque de 1789,  » Liberté, Egalité, Fraternité « , mais  » Pauvreté, Précarité, Exclusion  » : à Clichy-sous-Bois, là où l’incendie a pris naissance, un jeune sur trois est au chômage alors que les moins de 25 ans représentent la moitié de la population de la commune…

En deuxième ligne vient un ras-le-bol brutal face aux incessantes interventions de la police – comme les fameux  » contrôles au faciès  » – ressenties comme autant d’humiliations quotidiennes. Qui sait quelles horreurs se passent dans les quartiers où coexistent des forces de l’ordre mal armées contre le racisme et des bandes de jeunes dés£uvrés à la dérive ? On a pourtant parlé, diront certains, de manipulation par des caïds ou des rappeurs. De tentative d’islamisation du brasier. D’implication de  » barbus  » ou d’agitation par des groupes musulmans radicaux. Il ne reste apparemment rien de tout cela : enquêtes et témoignages (2) le confirment, le mouvement fut spontané, instinctif. A fleur de peau.

Mais pas d’angélisme : cette violence est condamnable. Et d’ailleurs fermement condamnée… Comprendre, en effet, n’est pas tolérer des actes dont les premières victimes furent souvent des membres d’une classe moyenne elle-même fragilisée. Comprendre, c’est chercher à saisir le sens éminemment politique de ce qui est advenu. Car, même sans programme, sans objectif, sans relais partisan ou syndical, la colère des émeutiers, si l’on veut tenter d’en éviter le retour, doit avant tout être regardée comme une citoyenneté par défaut. Comme un moyen vital de faire de la politique autrement. Comme le seul mode de protestation praticable en l’absence d’une capacité à construire des actions collectives autonomes, durables et pacifiques. Du moins pourrait-il en être ainsi si le cri était entendu… l

(1) La révolte des canuts, compagnons-ouvriers spécialisés dans la fabrication des soieries, qui éclate en novembre 1831, à Lyon, inaugure une ère de grands conflits ouvriers en France.

(2) Véronique Le Goaziou et Laurent Mucchielli, Quand les banlieues brûlent… Retour sur les émeutes de novembre 2005, La Découverte, 157 pages. Voir aussi le dossier  » Emeutes, et après ?  » de la revue Mouvements, numéro 44 de mars/avril 2006.

de jean sloover

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