Le culte de la beauté… fonctionnelle !

Le 3 avril 1863 naissait Henry van de Velde… Un 150e anniversaire offrant l’opportunité de célébrer cet artiste complet. A Bruxelles, une ambitieuse rétrospective éclaire dans les moindres détails ce géant de l’architecture et des arts appliqués, incontestable pionnier de la modernité.

D’une envergure sans pareille, l’oeuvre d’Henry van de Velde (1863-1957) demeure paradoxalement méconnue du grand public. Sans doute fut-il trop souvent éclipsé par le flamboyant Victor Horta. Prenant le contre-pied de la superstar de l’Art nouveau, van de Velde se forge un vocabulaire empreint de sobriété et épuré de toutes références figuratives. Il défend un design moderne et fonctionnel, agrémenté d’une ornementation purement abstraite. À son sens, beauté et utilité doivent être intimement liées. Sa devise ?  » La Ligne est une force « . Autrement dit, une forme émane d’une ligne. Cette théorie constituera le point de départ mais aussi le fil d’Ariane de son parcours esthétique, toutes disciplines confondues : meubles, argenteries, porcelaines, bijoux, reliures, architectures…

L’homme a également initié une importante évolution dans l’enseignement artistique. Père spirituel du légendaire Bauhaus, il fonda l’école de La Cambre, à Bruxelles, en introduisant le système éducatif développé à Weimar. Cette ville allemande joua un rôle important dans le développement de sa carrière. C’est là qu’il connaît, au début du XXe siècle, ses plus grands succès.

Hommage unique et  » encyclopédique  »

Suivant le cours chronologique de son existence, le parcours proposé par le musée du Cinquantenaire se découvre comme une exaltante succession de disciplines et de formes esthétiques. De la peinture, van de Velde évolue rapidement vers les arts décoratifs, le design mobilier, l’architecture. Près de 500 oeuvres mettent en lumière cette diversité et le flux créatif ininterrompu de ce  » touche-à-tout  » de talent.

 » C’est la première fois qu’une exposition de cette ampleur lui est consacrée en Belgique. Elle a été rendue possible grâce à la collaboration de la Klassik Stiftung de la ville de Weimar en Allemagne. (…) C’est là que van de Velde a gagné sa réputation. C’est d’ailleurs là que l’on trouve toujours les plus grands connaisseurs et experts de l’oeuvre de van de Velde « , précise Werner Adriaenssens, commissaire de l’événement.

Initialement présentée à Weimar, l’exposition a néanmoins été retravaillée pour afficher quelques spécificités propres à la Belgique. La version bruxelloise mettra d’avantage l’accent sur le contexte belge, entre autres à travers l’influence exercée par van de Velde sur la création de cristal Art nouveau du Val-Saint-Lambert ou encore par l’opportunité de détailler le bureau du roi Léopold III. Un ensemble montré  » en primeur absolue « .

Un ar(t)chitecte !

Outre ses objets et intérieurs Art nouveau, Henry van de Velde est principalement reconnu pour ses perles d’architecture. Première réalisation emblématique : la villa Bloemenwerf, sa maison personnelle. Plans, maquettes et photographies permettent d’en expliquer tous les enjeux. L’artiste conçoit l’habitation dans ses moindres détails… au point d’en faire une oeuvre d’art totale. Il y tient compte de la vie quotidienne d’une famille sous tous ses aspects. Père de cinq enfants, et conscient de l’organisation pointue que demandent les repas, il imagine une table au centre de laquelle il insère une plaque de céramique pouvant accueillir plats chauds et casseroles frémissantes. Véritable manifeste architectural et artistique, cette maison devient un lieu de rencontres très prisé. D’influents critiques d’art la fréquentent, des poètes et musiciens s’y produisent, des artistes d’avant-garde y échangent leurs idées.

L’exposition insiste sur ces cercles de connaissances et amitiés en déclinant des oeuvres signées James Ensor, George Minne, Edvard Munch, Paul Gauguin, Henri de Toulouse-Lautrec ou encore, Théo van Rysselberghe. De ce dernier, on retient le portrait de Maria Sèthe, l’épouse de van de Velde. Sans sa complicité intellectuelle, son dévouement amoureux et son patrimoine financier, Henry ne serait sans doute jamais devenu ce génial inventeur ! Pour preuve, le décès de Maria en 1943 sonne le glas de toute sa création artistique… Il se retire de toutes ses fonctions, émigre en Suisse et commence l’écriture de ses mémoires.

Beauté, sobriété et fonctionnalité

Écrivain prolifique, Henry van de Velde rédigea une centaine d’essais et de livres qui ont permis aux chercheurs de reconstruire sa vie de façon précise mais aussi de révéler le processus créatif à l’origine de ses oeuvres d’art. Fruit d’une collaboration entre les plus grands spécialistes, une riche publication vient de paraître aux Éditions Lannoo. Plus qu’un catalogue d’expo, Henry van de Velde – Passion Fonction Beauté se veut être une synthèse de son oeuvre et un hommage au créateur, tant par son propos que par sa forme.

À l’image de cet ouvrage, d’une sobriété toute raffinée, la scénographie de l’exposition a été minutieusement élaborée. Le mobilier a été réalisé en laque blanche, clin d’oeil à une série de meubles produits par van de Velde en 1900. Aussi, la courbe d’une moulure de plafond employée dans une habitation créée par l’architecte a été employée dans les parties inférieures des vitrines. Ce motif fait naître une illusion de flottement dans l’air et permet de porter toute notre attention sur les objets. Enfin, la hauteur relativement basse permet aux enfants d’admirer les oeuvres plus aisément. Autant d’options rappelant que les choix esthétiques de van de Velde n’étaient jamais gratuits, mais bien motivés par une réelle volonté d’utilité.

Une exposition copieuse sans être indigeste, mêlant tableaux, architecture, meubles, argenteries, bijoux, design, porcelaines… Persiste néanmoins une toute dernière question :  » Comment un seul homme a-t-il pu exceller dans autant de domaines ?  »

Henry van de Velde. Passion Fonction Beauté, au musée du Cinquantenaire, 10, parc du Cinquantenaire, à 1000 Bruxelles. Jusqu’au 12 janvier 2014. www.mrah.be

Et aussi : Henry van de Velde. Lettres d’architectes, à la Bibliothèque royale de Belgique, Mont des Arts, à 1000 Bruxelles. Jusqu’au 30 novembre. www.kbr.be

Par Gwennaëlle Gribaumont

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