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Des directeurs dénoncent l’effet pervers du décret Inscrptions

Plusieurs directeurs des établissements de la Ville de Bruxelles affirment que le décret Simonet déstabilise des écoles jusqu’ici sans histoire, dont la mixité était autrefois mieux assurée. A présent, c’est l’inverse qui se produirait.

En règle générale, ils n’aiment pas communiquer sur leurs difficultés. Mais là, ces préfets bruxellois que Le Vif/L’Express a rencontrés en ont gros sur la patate. Au terme de la première phase d’inscriptions en 1re secondaire, ils tirent un verdict sévère du décret de Marie-Dominique Simonet. Leurs lycées, parmi les plus cotés de la ville de Bruxelles, ne figurent plus dans la liste des 62 écoles les plus courues (où la demande dépasse l’offre et où il faudra trier et classer les élèves). Une déstabilisation silencieuse qui ne fait que s’amorcer ? Ils le redoutent.

Deux ans après le décret Simonet, ces chefs d’établissement observent des départs d’élèves pour le moins surprenants. « Avant le décret, les parents scolarisaient leurs enfants chez nous, parce qu’on se situe près de leur lieu de travail. A présent, ils les inscrivent dans une école proche de chez eux, là où ils sont sûrs d’avoir une place. Il ne s’agit pas d’un choix basé sur le projet pédagogique mais sur la sécurité », déclare André Possot, préfet à l’athénée Robert Catteau. Privé de ces élèves, il voit sa zone de recrutement se réduire. « En favorisant la proximité, on crée des écoles à risques qui ne l’étaient pas auparavant », ajoute Pierre Capers. Son établissement, Emile Bockstael, situé dans le nord-ouest de Bruxelles, est l’un de ceux qui semble le plus pâtir de la proximité instaurée dans le décret. Il a perdu les élèves de la communauté juive ; il perd aujourd’hui ceux de la périphérie. « En un an, nous sommes passés de 272 demandes à 197 », précise-t-il. Ne restera-t-il donc que les élèves du quartier ? Car, malgré le niveau excellent de leurs établissements, certains voient progressivement partir les enfants des classes moyennes, qui tenteraient de rallier les classes supérieures dans les écoles les plus demandées. A l’arrivée, la mixité sociale et scolaire n’est plus aussi bien assurée qu’autrefois, dénoncent leurs préfets. A leurs yeux, elle n’apparaît pas aujourd’hui évidente sur le terrain. « Le décret Inscriptions devait renforcer la mixité. Ce n’est pas le cas. Au contraire, calqué sur la géographie bruxelloise, il accentue la ghettoïsation, à la fois ethnique et sociale », tranche Alain Simon, préfet à l’athénée Léon Lepage, au c£ur de la capitale.

Interrogée à ce sujet, la ministre de l’Enseignement rappelle que l’objectif premier n’était pas de forcer la mixité, mais de lui donner un « coup de pouce ». « La liste des écoles complètes reflète les intentions réelles des familles, même si cette réalité se révèle peu agréable à observer : c’est le prix de la transparence », répond son cabinet. Il ajoute que la saturation de certaines écoles semble davantage « liée à des données démographiques ou de quartier » qu’à leur réputation.

Où vont-ils, ces élèves que les lycées voient partir ? Captés par le « libre » ? De fait, sur les 62 établissements pleins, 51 appartiennent au réseau catholique. Ce dernier accueillait, à la rentrée 2009, 0,84 % d’élèves en plus en secondaire et 0,92 % d’élèves supplémentaires à la rentrée 2010. « Le gain reste très limité », constate le patron de l’enseignement catholique, Etienne Michel. Il se révèle un peu plus important dans le 1er degré et touche davantage la Wallonie que Bruxelles » ( lire l’encadré). Fait nouveau : le nombre d’écoles affichant un surplus gagne aussi la Wallonie (sur les 33 écoles qui ont fait le « trop-plein », 30 sont du réseau libre). Pour le cabinet Simonet, c’est la conséquence du fait que « plus de personnes se sont inscrites au cours de cette première phase ». Pour d’autres, les angoisses des parents touchent l’ensemble de la Communauté française. « Cette succession de décrets a induit l’idée qu’il y avait des « bonnes » et des « mauvaises » écoles. S’il y a des écoles complètes et d’autres incomplètes, c’est donc qu’il y a des différences, pensent les parents », commente André Possot, préfet à Catteau.

« C’est le système le moins imparfait »

Du côté du SEGEC, qui coiffe tous les pouvoirs organisateurs de l’enseignement catholique, on ne dit pas autre chose : l’objectif de mixité ne serait pas atteint. En novembre dernier, le secrétariat catholique avait mené sa propre enquête sur les premiers fruits du décret. Résultats : 81 % de ses directeurs estimaient que le décret est sans conséquence en matière de mixité sociale. Pour 13 % d’entre eux, la composition du public scolaire a même évolué vers moins de mixité. « On nous avait annoncé que la réforme irait de pair avec une augmentation de la mixité sociale et scolaire. Ce n’est pas le cas. Il n’y a pas eu d’explosion. Aujourd’hui, il faut avoir l’honnêteté de réévaluer la situation de départ, qui était de dire qu’il y avait une sélection majeure à l’entrée des écoles. Or cette analyse n’était pas correcte sur la masse scolaire », déclare Etienne Michel.

Chez Simonet, on estime qu’il est trop tôt pour mesurer les effets du décret. « Il faut se donner le temps d’analyser les cohortes d’élèves », répond le cabinet, qui se réjouit de voir la réforme aboutir à une justice individuelle. « On a permis de donner la priorité aux moins favorisés [ NDLR : ils ne sont pas freinés par le critère géographique] en leur permettant d’intégrer tous les établissements. Le système actuel est le moins imparfait de tous. »

SORAYA GHALI

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