Mobilisation générale pour Bruxelles

La sécurité à Bruxelles n’est pas encore hors de contrôle mais les signaux alarmants se multiplient. Faisant taire ses divergences, le monde politique s’est mis autour de la table.

Bruxelles brûle-t-il ? La dernière fois que la capitale s’est enflammée, c’était après la mort violente de Joe Van Holsbeeck, détroussé de son MP3, en avril 2006. Elle avait été erronément attribuée à des  » Marocains « , sur la foi d’un avis diffusé par le parquet. Quatre-vingt mille parents et enfants marchaient alors dans Bruxelles pour réclamer davantage de sécurité. Le 20 janvier 2010, c’est un tir de kalachnikov contre des policiers bruxellois, à Laeken, après la tentative de braquage d’une agence de la Western Union, qui a touché au c£ur, non des clients, mais des policiers. Dans la capitale de l’Europe, on les a vus, hors d’eux, manifester pour leur propre sécurité. Une image plutôt déstabilisante, à quelques mois de la présidence belge de l’Union européenne…

Dès le lendemain, la police de Bruxelles arrêtait pourtant les trois malfrats suspectés des faits, dont l’un, Jawad, 22 ans, est en aveux partiels. Ce succès policier n’a pas suffi à calmer les esprits. Un événement également très médiatisé s’était produit peu avant : le déplacement d’une partie des activités de l’Ecole supérieure industrielle de Bruxelles (Isib) d’un quartier malfamé d’Anderlecht vers la rue Royale. Motif : les élèves  » blancs  » se faisaient continuellement racketter par des jeunes du quartier. Un comble : l’un des racketteurs identifié a été relâché par le parquet de Bruxelles. En liberté, il aurait ensuite participé à un viol collectif.

Coïncidence malheureuse ou tendance lourde à une violence accrue dans la capitale ? Ces problèmes, ainsi que leur qualification maladroite de  » faits divers  » par Philippe Moureaux, bourgmestre de Molenbeek (PS), ont mis le feu aux poudres dans la presse et le monde politique flamand. Le déni des problèmes de sécurité à Bruxelles et le mutisme quasi complet des députés régionaux bruxellois, à l’exception de Fouad Ahidar (SP.A), dénonçant l’emprise des trafiquants de drogue dans certains quartiers, a accrédité l’image d’un personnel politique francophone coupé des réalités. Comme si un gigantesque fossé s’était de nouveau creusé entre les perceptions du Nord et du Sud.

Le 5 février dernier, Charles Picqué (PS), ministre-président de la Région de Bruxelles-Capitale (lire son interview en page 24) mettait pourtant les points sur les i à la tribune du parlement bruxellois. Un : la criminalité à Bruxelles se stabilise. Deux : les polices et budgets locaux sont alourdis par des tâches supplétives imposées par le fédéral. Trois : l’impuissance de la justice entraîne un sentiment d’impunité chez les délinquants.

De fait, les statistiques policières de criminalité pour le premier semestre 2009 montrent une stabilisation, voire une amélioration des chiffres dans la plupart des catégories de délits répertoriées par la police. Vols et extorsions (101 115 en 2007, 45 810 pour la première moitié de l’année 2009), infractions contre la propriété (14 576 faits en 2008 contre 6 347 pour le premier semestre 2009), vandalisme (13 028 en 2008, 5 589 les six premiers mois de 2009), infractions contre l’intégrité physique (11 928 faits en 2008 contre 4 631 pour le premier semestre 2009). En revanche, les délits avec armes ont augmenté.

Le défaut de ces chiffres émanant des six zones de police, globalisés à l’échelle de la Région de Bruxelles-Capitale, est classique. D’une part, ils ne reflètent que l’activité policière ; d’autre part, ils ne présentent qu’une image moyenne de la situation et ne permettent pas d’analyser plus finement les pointes locales de violences urbaines. Rien pour étayer l’insécurité ou le sentiment d’insécurité dans les quartiers bruxellois appauvris formant la  » banane  » nord-ouest, entre Laeken et Saint-Gilles. Les seuls détenteurs de l’information sont les zones de police, mais elles répugnent à les communiquer en raison de leur caractère sensible.

A défaut de tableau précis, la confusion règne

 » Le Moniteur de sécurité réalisé par le SPF Intérieur et la police fédérale donne une image plus fidèle de la réalité, constate le docteur en droit et sociologue Christophe Mincke (Facultés universitaires Saint-Louis), secrétaire de rédaction des Brussels Studies et coauteur d’une note de synthèse sur la sécurité à Bruxelles (janvier 2009). Le Moniteur de sécurité est basé sur des entretiens téléphoniques avec un échantillon représentatif de Bruxellois de 13 communes sur 19, dont Schaerbeek, Anderlecht et Molenbeek. En 2002, 36 % des Bruxellois se disaient jamais ou rarement insécurisés. En 2008, ils étaient 52 %. Ce qui les insécurise en premier lieu ? Les phénomènes liés à la circulation routière, les vols et la malpropreté.  » Toutefois, une hausse des violences physiques (en ce compris les violences conjugales) est constatée à Bruxelles, mais sans qu’elle se démarque de la moyenne fédérale au cours de la période 2008-2009 (12,08 %). D’autres résultats sont plus positifs. Ainsi, les vols avec menace et violence avaient touché 6,44 % des Bruxellois en 2002 contre 3,38 % en 2008. Ce phénomène reste néanmoins plus important que dans le reste du pays (moyenne fédérale : 1,57 %). Il y a donc bien une spécificité bruxelloise de la criminalité. Mais dans quelle mesure ?

L’absence d’accès direct aux chiffres de la criminalité est déplorée par Christophe Mincke.  » La création d’un Observatoire de la criminalité figure dans l’accord de gouvernement bruxellois. Encore faudra-t-il lui donner les moyens nécessaires pour fonctionner…  » Sans un tableau précis de la situation, quartier par quartier, impossible de sortir de la confusion actuelle.  » Le racket à la sortie de l’école, une attaque à la kalachnikov ou une infraction au Code de la route ne relèvent pas des mêmes catégories, ni le fait que les femmes se font insulter dans la rue. Ce qui est certain, c’est qu’il n’y a pas de consensus sur les règles de partage de l’espace public. « 

MARIE-CéCILE ROYEN, ROLAND PLANCHAR, THIERRY DENOëL; M.-C.R.

 » Il n’y a pas de consensus sur les règles de partage de l’espace public « 

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