Les Bourses hésitent…

L’économie reprend des couleurs mais les bénéfices des entreprises ne sont pas glorieux. La valse-hésitation des marchés boursiers est donc inévitable. Mais jusqu’à quand ?

Après un rebond boursier spectaculaire au quatrième trimestre 2001, les marchés boursiers mondiaux ont renoué avec leur tendance incertaine. De manière surprenante, la hausse s’est arrêtée tandis que les premières statistiques économiques positives depuis longtemps étaient publiées aux Etats-Unis: stabilisation du chômage et de la production industrielle, reprise modérée des commandes de matériel informatique… Tandis que le scénario économique classique de sortie de récession se met en place, les marchés ont des états d’âmes et n’ont d’yeux que pour les irrégularités comptables de quelques grandes sociétés, qui ont enjolivé leurs résultats financiers.

La remontée boursière de fin 2001 était-elle un feu de paille ? Pas sûr. Nous l’avons déjà dit et redit : la valeur des actions se résume à peu de choses. Le niveau des taux d’intérêt et les attentes en matière de croissance bénéficiaire des entreprises déterminent principalement les cours de Bourse. La confiance des investisseurs vient perturber l’application stricte de modèles mathématiques d’évaluation des actions en faisant varier la prime de risque attendue des placements en Bourse. Par prime de risque, on entend le supplément de rendement que les actions doivent en moyenne délivrer à long terme pour donner envie aux acheteurs de les préférer aux emprunts sans risques.

Avec des taux directeurs à 1,75%, les marchés boursiers américains bénéficient d’un stimulant exceptionnel pour les sortir de la mauvaise passe où ils se trouvent aujourd’hui. Mais ce traitement prend du temps : les premiers effets ne se font réellement sentir sur l’économie qu’après 6 à 9 mois. Cette première étape de relance de la Bourse, la phase de  » liquidité « , est donc loin d’avoir produit tous ses effets, et le recul modéré des marchés en janvier et février n’est a priori rien d’autre qu’une correction modérée de la hausse d’octobre à décembre 2001.

Cette phase de stimulation monétaire ne se terminera que le jour où les autorités monétaires américaines inverseront la vapeur avec la première hausse de leurs taux directeurs. A entendre le discours du 26 février du patron de la Réserve fédérale, Alan Greenspan, on en est encore loin, vu l’absence de toutes pressions inflationnistes et la reprise économique modérée qu’il attend.

Deux mauvaises années

A l’autre bout de la courbe des taux d’intérêt, les rendements obligataires restent sagement aux alentours des 5% pour les emprunts d’Etat à 10 ans. Les placements alternatifs aux actions restent donc toujours aussi peu rémunérateurs. Seul atout : la sécurité. Quant à l’investisseur qui hésite à s’engager pour une aussi longue période, il doit se serrer encore davantage la ceinture et se contenter d’un petit 4% de rendement pour son épargne.

Si le front des taux d’intérêt apparaît clairement favorable aux actions, celui des bénéfices des entreprises suscite beaucoup plus d’hésitations. Tous les résultats publiés aujourd’hui sont mauvais, ce qui n’est guère surprenant vu qu’ils concernent l’activité de l’année passée. Mais deux années de marchés baissiers et les scandales récents sur les pratiques comptables douteuses de certaines sociétés renommées ont rendu les investisseurs très méfiants. Ils ne se contentent plus de belles promesses. Or le délai requis pour qu’agisse le stimulant monétaire reporte au deuxième semestre la survenance probable de cette amélioration des bénéfices des entreprises. Dans l’immédiat, les marchés flottent…

Les hésitations actuelles, normales, expriment une étape de transition vers la deuxième phase de relance des marchés, celle de la remontée des bénéfices des entreprises.

Dans l’intervalle, les hésitations peuvent se prolonger sans qu’aucune tendance claire ne s’affiche avant longtemps. Le déterminant principal à court terme reste les statistiques économiques, qui peuvent laisser présager une amélioration générale du climat conjoncturel, donc une remontée des bénéfices.

L’amorce de reprise économique depuis janvier rend-elle l’horizon à moyen terme positif ? Prudence. Malgré le recul depuis mars 2000, les actions ne sont pas bon marché. Les modèles mathématiques d’évaluation leur donnent un potentiel de hausse de tout au plus 10% avant de repasser en zone dangereuse. Encore faut-il pour celà que les taux d’intérêt ne remontent pas fortement, ce qui est souvent le corollaire d’une reprise de l’économie. Le cycle actuel étant caractérisé par une absence d’inflation, ce danger est toutefois aujourd’hui minimisé. Les taux d’intérêt ne devraient donc pas jouer démesurément les trouble-fêtes durant l’année 2002.

Reste bien sûr l’élément perturbateur et non paramétrable, celui du goût du risque et de la prime de risque exigée par les investisseurs. Si les mauvaises expériences des deux dernières années ne s’effacent pas rapidement des mémoires, la frilosité ambiante pourrait perdurer.

Après tout, cette correction boursière est la plus forte qui a été vécue depuis 15 ans, et il est difficile d’évaluer la manière dont évoluera durant les prochains mois la psychologie des investisseurs. Après s’être laissés aveugler par les phares des valeurs technologiques, pas mal d’investisseurs ont peut être relégué les actions aux oubliettes pour pas mal de temps. Le temps que les marchés reprennent une tendance positive durant plusieurs trimestres ?

Car il en va généralement ainsi du comportement de l’investisseur privé, qui achète en masse lorsque les marchés ont déjà bien monté, et revend souvent au plus bas, dégoûté d’avoir perdu tant d’argent. Les statistiques européennes de souscription dans les sicavs d’actions semblent le démontrer. Durant les cinq dernières années, les plus gros volumes de souscription ont été enregistrés durant l’euphorie des années 1999 et 2000, les pointes intervenant au premier trimestre 2000 (sommet de la bulle technologique). Septembre 2001, mois catastrophe sur les marchés, a par contre été un mois record pour les demandes de remboursement. Acheter au plus haut, vendre au plus bas, triste  » contre-adage » qui se vérifie une nouvelle fois…

Finalement, quelle attitude adopter ? Acheter tout de suite, tant qu’un peu de bénéfice peut encore être pris, ou oublier la Bourse ? Il est toujours difficile de préjuger de l’avenir des marchés, mais l’évolution boursière des prochaines années sera fort différente de celle vécue durant la dernière décennie. Le climat conjoncturel de baisse des taux et de l’inflation, entamé dans les années 1980 et poursuivi jusqu’à aujourd’hui, a constitué un puissant facteur de hausse des actions. Un stimulant qui justifie la forte appréciation des ratios traditionnels d’évaluation des actions, comme le rapport cours-bénéfice, ou le ratio cours-valeur comptable. Bien que nettement supérieurs à leur moyenne à long terme, ces ratios tiennent la route grâce aux taux et à l’inflation planchers. Mais ces planchers ne peuvent baisser indéfiniment, sauf à basculer dans la déflation et la récession, climat mortel pour les actions. Le climat macro-économique a donc donné tout son jus et ne peut plus justifier des performances boursières futures hors normes. Quelles normes ? Une progression moyenne des bourses de 7 à 10% par an, dividendes compris, soit 4 à 5% de mieux que des emprunts sans risques.

10 % de hausse

Face à de telles perspectives, la volatilité des marchés rend le timing d’un investissement primordial. Par exemple, entre la fin février et le 18 mars, l’indice Eurostoxx50 des principales valeurs européennes est passé de 3450 à quelque 3800 points. Soit une hausse de 10%, c »est-à-dire le potentiel de gain que l’on peut raisonnablement espérer sur un an. Ceci signifie-t-il qu’il est déjà trop tard pour acheter ? Non car le niveau de 3450 correspondait à une mini-phase de déprime excessive.

Mais à 3800 points, le marché doit déjà être investi sans précipitation. Les achats se concentreront dans les petites phases de repli et les éventuels excès d’enthousiasmes durant les prochains mois seront mis à profit pour réduire la voilure. Parmi les vieux dictons boursiers, l’un deux dit :  » Vendre en mai et s’en aller « . Les marchés devraient-ils se laisser aller à un excès d’enthousiasmes durant les prochains mois que le dicton pourrait prendre un certain sens. Les investisseurs attendent les entreprises au tournant de la reprise bénéficiaire, attendue au deuxième semestre 2002. Si celle-ci faisait défaut, la désillusion risquerait de faire replonger lourdement le marché.

Dominique Daoût

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