Cadence d’une renaissance

Francis Dannemark reprend ses marques d’écrivain dans un roman dense. Ou un long voyage qui se prête volontiers au partage des sentiments d’une vie. Place aux confidences intenses.

 » Le roman est une £uvre d’art, fabriquée avec des mots.  » Le titre, inhabituellement long, de son nouveau livre se veut  » un mini-poème en heptamètre [NDLR : vers de sept pieds], clin d’£il au rythme du train  » qui berce ses héros.  » Cet arrêt sur image dure le temps d’un trajet.  » Christopher et Emma s’y côtoient au tournant de leur vie. Ils se rencontrent et se racontent sans frein, en refaisant le monde. L’auteur avoue avoir écrit cette histoire brève,  » à la façon des peintres japonais, d’un seul trait, en retenant [son] souffle. Cette esquisse montre l’âme volatile des choses « .

Le Vif/L’Express : L’écriture est-elle un voyage ?

Francis Danemark : Les voyages m’ennuient. Je suis atypique, parfois ça me fait rire, parfois j’en souffre. Les £uvres d’art me permettent de voyager dans le temps et l’espace. Ecrire et lire marquent des moments d’arrêt et de méditation. Grâce à l’écriture, je ne perds pas totalement le nord. C’est une façon honorable de donner du sens et d’y voir plus clair. Je le conçois comme un voyage à partir de soi pour mieux revenir à soi. En chemin, on rencontre d’autres gens, idées et émotions.

Quelle est  » la magie des trains  » et pourquoi cet éloge de la lenteur à l’ère de la vitesse ?

Aujourd’hui, on se perd dans l’illusion de l’instantané, alors je souhaitais revenir à ce qu’on a perdu, à la lenteur comme disponibilité, ouverture, maturation et temps de réflexion. Ici, deux êtres se rencontrent dans un train. Que faire sinon converser et confesser des choses qui viennent du fond d’eux-mêmes ? Hypnotique, le train possède un ronronnement métronomique. C’est un grand berceau au parfum d’enfance éternelle… Il traverse la frontière entre le réel et le rêve. Ce huis clos, entre deux villes, symbolise une suspension qui combine l’immobilité au mouvement. Or c’est parfois là que se niche l’essentiel d’une vie.

Que peuvent échanger deux inconnus ?

La vie est une question de longueur d’onde. Il n’y a pas de hasard dans la vie, toutes les rencontres sont des retrouvailles. Comme si on se connaissait depuis toujours et qu’on appartenait à la même tribu. Mes deux héros font le point en bougeant, ce paradoxe est intéressant. Ils se demandent :  » Comment allez-vous, où allez-vous ?  » C’est un amour au sens le plus noble du terme : la capacité de donner de soi et de recevoir, en étant généreux et en se souciant véritablement d’autrui.

Peut-on tout quitter pour recommencer  » au bout du monde  » ?

On affirme qu’on peut tout avoir. Faux ! Qu’on le veuille ou non, grandir c’est choisir, donc renoncer. Il est difficile de tout quitter, mais c’est possible à condition que la vie s’y prête. Où qu’on aille, l’essentiel demeure au fond de soi. Le  » bout du monde  » est un éternel départ à bord d’un train électrique. Soit on sort de ce jeu circulaire, soit on repart pour un tour.

 » Un monde s’achève « , lequel s’ouvre à vos héros et à nous ?

On est dans un monde finissant, où toutes nos certitudes tombent à l’eau. La crise est l’occasion de se poser la question de ce qu’on va faire de soi dans ce vieux monde. Cette vieille Europe est civilisée, mais déglinguée. Ainsi, ce roman voyage de la capitale européenne vers sa ville la plus pauvre. Mon héros est de la race des passionnés. Or notre époque, craintive et fermée, ne s’y prête pas. Paumé, Christopher ne veut plus se battre, mais on ne peut pas passer sa vie dans le train. Il faut parfois dire stop et se réveiller, afin de prendre le temps de vivre. La fin de l’hiver n’annonce-t-elle pas le printemps ?

Du train où vont les choses à la fin d’un long hiver, par Francis Dannemark, Robert Laffont, 92 p.

ENTRETIEN : KERENN ELKAÏM

BRUXELLES-LISBONNE EN TRAIN, COMME ALLÉGORIE DE LA VIE

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