La guerre contre Daech ? Mais quelle guerre ?

Affaiblir l’Etat islamique en Syrie et en Irak passe par la diplomatie et un soutien militaire, plus ou moins intense. Echaudés par les désastreux précédents, les Européens n’imaginent pas une invasion.

François Hollande a peut-être usé d’un langage martial digne d’un George W. Bush d’après 11-Septembre, comme le lui a reproché dans une lettre ouverte l’écrivain belge David Van Reybrouck, il n’a pas encore stigmatisé un improbable  » axe du mal  » ou déployé des troupes pour renverser un régime complice et régler son sort à un vieil ennemi de la famille, les talibans afghans et le dictateur irakien. Si la France est déclarée en guerre par les plus hautes autorités de la République, la confrontation totale contre l’Etat islamique n’est pas décidée. Loin s’en faut. Car la France n’étant pas les Etats-Unis et le vendredi noir parisien n’étant pas la destruction des Twin Towers de New York, le débat est encore possible à Paris.

Le bombardement dimanche 15 et mardi 17 novembre par dix avions de combat français de postes de commandement et de camps d’entraînement de  » l’armée terroriste  » dans son chef-lieu syrien de Raqqa sonne plus pour l’heure comme une intensification du dispositif existant que comme la première étape d’une nouvelle stratégie pour éradiquer Daech. Car ostensiblement, ni à Paris ni ailleurs, personne ne détient la solution pour ne fût-ce que contenir le pouvoir de nuisance des islamistes. L’ancien Premier ministre français Dominique de Villepin est plus pessimiste encore, lui qui estime que  » la guerre contre le terrorisme ne peut pas être gagnée « .

La question est posée de manière récurrente depuis l’émergence de Daech. Que ce soit après la décapitation d’otages occidentaux et le  » nettoyage ethnique  » des chrétiens et des yézidis à l’été 2014, après les attentats de Paris contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher en janvier 2015 ou après l’intervention russe en octobre, les Occidentaux se sont interrogés sur la tactique à privilégier sur le terrain. Et la réponse n’a jusqu’à présent varié qu’à la marge. Une coalition internationale regroupant des pays arabes et occidentaux, Etats-Unis en tête, bombarde depuis août 2014 les positions du groupe terroriste. La France, qui avait initialement limité son champ d’action à l’Irak, l’a étendu à la Syrie, en septembre, invoquant déjà les attentats commis sur son sol. Il y a quelques jours, Washington a annoncé l’envoi de forces spéciales au nord de la Syrie pour épauler les troupes locales anti-Daech. En 15 mois de coopération entre les forces aériennes étrangères et les armées locales, les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes. Outre les pertes infligées directement à l’Etat islamique, réelles mais peu chiffrées, la reprise de trois villes nourrit le bilan de la coalition. Les forces kurdes ont délogé les islamistes des villes de Kobané, au nord de la Syrie en janvier 2015, et de Sinjar, au nord de l’Irak le 13 novembre ; l’armée irakienne les a chassés de Tikrit, au nord de Bagdad, en juin 2014. De quelles armes la France et l’Europe disposent-elles aujourd’hui pour répliquer plus efficacement sur les théâtres syrien et irakien à l’exportation de cette idéologie mortifère ?

Diplomatie

L’intervention russe au secours de Bachar al-Assad, la crise des migrants qui a ébranlé l’unité européenne et les attentats de Paris, Beyrouth et Charm el-Cheikh (Moscou ayant enfin reconnu la nature terroriste de l’explosion en vol de l’Airbus de la Metrojet au-dessus de l’Egypte) ont convaincu les dirigeants concernés de l’urgence de coordonner leurs actions contre Daech. Cette pression s’est aussi traduite par des avancées diplomatiques. Les réunions des 30 octobre et 14 novembre à Vienne ont établi un agenda de sortie de crise : avant le 1er janvier 2016, établissement de la liste des groupes terroristes exclus du processus (évident pour Daech ou le Front al-Nosra, moins pour d’autres) et rencontre entre des représentants du gouvernement syrien et des oppositions ; endéans les six mois, révision de la Constitution ; dans les 24 mois, organisation d’élections libres.

Perçu comme illusoire par beaucoup, ce plan butte sur les antagonismes exacerbés par cinq années d’horreurs, sur le rôle de son premier responsable, Bachar al-Assad, et sur un calendrier irréaliste. Il aura surtout eu pour mérite de réunir pour la première fois autour de la même table des protagonistes aux intérêts parfois opposés, Etats-Unis et Russie, Iran et Pays du Golfe.

Guerre à distance

Les opérations de la coalition internationale, à laquelle est associée la Belgique, n’ont pas, on l’a vu, fondamentalement changé, depuis août 2014, la donne en Syrie et en Irak. Se pourrait-il qu’il en aille autrement ? La Russie et la France, après les attentats du Sinaï et de Paris, s’engagent à multiplier les frappes contre les positions du groupe terroriste. Les Etats-Unis, sous réserve d’autres avancées prochaines, améliorent le partage d’informations avec leurs partenaires. La Turquie, sous la contrainte, montre de meilleures dispositions à coopérer, en ouvrant notamment aux appareils alliés sa base aérienne d’Incirlik. Mais une guerre à distance, seule, ne permet pas une victoire complète contre un mouvement terroriste. Des forces spéciales déployées sur le terrain dopent l’efficacité des frappes. Des troupes au sol aguerries autorisent, dans la foulée, les conquêtes territoriales et leur stabilisation.

Guerre totale

Dans sa  » guerre contre le terrorisme « , George W. Bush a envahi l’Afghanistan (2001) et l’Irak (2003) pour y installer des régimes  » amis  » censés préserver les Etats-Unis de nouvelles attaques. Quinze ans plus tard, Kaboul est toujours sous la menace des talibans et la Mésopotamie est livrée au chaos. Le parallèle vaut pour la Libye,  » libérée  » du dictateur Kadhafi en 2011 et soumise depuis aux intérêts partisans de groupes armés, dont une branche locale de l’Etat islamique que l’aviation américaine a ciblée pour la première fois le samedi 14 novembre.

La question est posée de l’utilité d’opérations militaires menées au nom de la lutte contre le terrorisme. Les précédents montrent qu’elles ont plus ajouté du chaos au chaos que rétabli une stabilité propice au pluralisme et au respect des minorités. François Hollande peut déjà s’enorgueillir que la mission Serval qu’il a diligentée au Mali en 2013 n’ait pas été ponctuée par le même fiasco. Pour autant, le président français ne semble pas enclin à rééditer l’expérience en Syrie. Le contexte régional hypercomplexe, la puissance de l’Etat islamique que l’on a laissé prospérer, le coût beaucoup plus élevé que pour une opération au Sahel, le doute sur la possibilité du succès militaire et l’incapacité, le cas échéant, à  » gagner la paix « , tout devrait retenir les dirigeants français, belges et européens à engager des troupes au sol au contact de Daech. Le chantre de l’opposition à la guerre d’Irak en 2003, Dominique de Villepin, avance un ultime argument :  » Nous sommes dans une société démocratique qui n’a pas engagé de processus sécuritaire comme d’autres, les Etats-Unis. A l’étranger, les Américains sont bunkérisés quand les Français sont exposés aux quatre vents.  »

A l’aune de la nature et du bilan inédits de l’attaque que la France a subie en son coeur politique et culturel, François Hollande est contraint à une riposte forte et, si possible intelligente, incluant donc les populations sunnites. Une guerre aérienne intensifiée et appuyée par des troupes locales mieux entraînées et armées est aujourd’hui l’option la plus plausible.

Par Gérald Papy

Pour Dominique de Villepin,  » la guerre contre le terrorisme ne peut être gagnée  »

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