Un amour de Zwin

Le Zwin est l’ouvre de Léon Lippens. L’un de ses fils, Maurice Lippens, préside le conseil d’administration de Fortis, et on l’entend souvent parler d’affaires et d’argent. Cette fois-ci, il évoque tout autre chose: le chant du rossignol, les vols

préside le conseil d’administration de Fortis, et on l’entend souvent parler d’affaires

et d’argent. Cette fois-ci, il évoque tout autre chose : le chant du rossignol, les vols d’oies cendrées… et ce père qui lui a transmis l’amour de la nature.

Mon père m’a toujours mis en garde contre le monde des affaires, raconte Maurice Lippens. Méfie-toi de ces gens-là, me disait-il, ce sont tous des crocodiles ! Les affaires l’ennuyaient. Seule la nature l’intéressait. Je me souviens… En hiver, il nous emmenait observer les grands vols d’oies cendrées. On passait des heures à écouter leurs cris rauques qui déchiraient le bleu glacial du ciel. C’était majestueux. J’en ai la chair de poule, rien que d’y repenser. Certains disaient peut-être que nous perdions notre temps. Je crois plutôt que nous l’avons gagné ! Mon père était passionné de la nature. Comme Obélix, il est tombé dedans quand il était petit… « 

Léon Lippens naît à la fin de l’été 1911, à Beernem, où ses parents possèdent un château entouré de bois. Le petit garçon grandit entre les arbres et les papillons, guidé par son père et le mari de la cuisinière.  » Ce dernier était fascinant, confie le comte Lippens. Il était à la fois chauffeur, garde-chasse… Il avait une extraordinaire connaissance de la nature. Mon père a tout appris de lui.  » Car l’employé dévoué emmène régulièrement le fils des châtelains dans ses tournées à travers bois. Il lui apprend à reconnaître les plantes et les oiseaux. Il l’incite surtout à les aimer et à les respecter.

 » Mes grands-parents étaient également propriétaires d’une villa au Zoute, poursuit Maurice Lippens. Mon père a fréquenté le Zoute dès son plus jeune âge.  » Il y découvre les oiseaux marins et une végétation sauvage en bord de mer, qui lui plaisent davantage que les bois de l’arrière-pays. A tel point qu’en 1938 Léon Lippens, jeune marié, décide de s’y installer.  » C’est le premier Lippens qui s’est établi au Zoute, précise son fils. Il n’aurait jamais pu vivre en ville. Il aimait l’air du Zoute, sa lumière… Le Zoute, c’était son biotope ! Et puis mon père était très croyant, il voyait Dieu dans la nature. Lorsqu’il admirait une petite plante, comme Guido Gezelle, il disait : Non seulement je crois en Dieu, mais je le vois !  » Pourtant, Léon Lippens fut aussi un chasseur. A l’époque et dans son milieu, la tradition est bien ancrée.  » Je crois qu’il passait plus de temps à observer qu’à tirer, estime son fils. Mais oui – oh horreur ! – il fut chasseur. Pis : il a chassé dans le Zwin ! « 

Léon Lippens observe là des oiseaux qu’il n’a jamais vus ailleurs et comprend combien ce coin de nature est précieux. Or les marais salins du Zwin étaient menacés : plusieurs plans de lotissement étaient prévus et la ligne du tram devait traverser… les dunes jusqu’à la frontière néerlandaise ! Léon Lippens, alors bourgmestre de Knokke et propriétaire avec sa famille de la Compagnie immobilière du Zoute, s’oppose aux projets d’urbanisation pour protéger 160 hectares de pleine nature et propose d’en faire une réserve naturelle.  » Ça a un peu ronchonné en conseil d’administration, raconte Maurice Lippens. Certains ont évidemment cru qu’ils allaient y perdre de l’argent. Mais je crois que mon père a été extrêmement persuasif. C’était un pionnier de la protection de l’environnement. Il disait : « Quand on voit que des oiseaux ont complètement disparu, on se dit que l’être humain risque bien de connaître un jour le même sort… Il faut protéger la nature ! » C’est comme ça qu’il a convaincu les plus réticents et qu’il a pu transformer le Zwin en réserve naturelle. La toute première réserve naturelle de Belgique, en 1952. Il existait bien quelques expériences du même genre en Grande-Bretagne, mais le projet fut complètement révolutionnaire ! « 

Lorsque le Zwin voit le jour, Maurice Lippens n’a pas 10 ans.  » Mon frère, mes deux s£urs et moi avons subi un lavage de cerveau complet. Mon père ne parlait plus que du Zwin. Pensez ! La sterne était en train de nicher ! Et il y avait déjà trois £ufs ! C’était l’agitation à la maison. Tout cela aurait pu agacer les enfants que nous étions. Eh bien, non. Nous avons tous cette même tendresse pour la nature. L’autre jour, je me trouvais avec mon frère sur un petit bateau, au milieu d’un étang, et nous écoutions le chant du bruant des roseaux. Cela nous rappelait notre jeunesse… Mon père nous emmenait attraper des oiseaux au filet pour les baguer et ensuite étudier leur migration. On se levait à 4 heures du matin, on partait avec un petit thermos… C’étaient des moments intenses de notre existence. Allez écouter le chant du rossignol à 4 heures et demie du matin. L’aube est en train de poindre. Le silence est total. Et vous avez ce seul oiseau qui chante… J’en ai les larmes aux yeux, soupire le comte Lippens, avec un petit sourire à moitié gêné. Mais c’est tellement beau ! « 

 » Plus encore que son amour de la nature, mon père nous a transmis son don de l’émerveillement. Les enfants s’émerveillent parce qu’ils ne connaissent encore rien de la vie. Puis ils grandissent et cessent de s’émerveiller. Ce n’est pas mon cas, je crois. Et c’est à mon père que je le dois. Il nous faisait aussi l’éloge d’une certaine paresse. Il nous répétait : « Arrêtez-vous. Prenez le temps d’être heureux.  » Aujourd’hui encore, je peux m’arrêter pour regarder un lever de soleil ou humer l’odeur de bois qui me rappelle des souvenirs d’autrefois. « 

Depuis, la famille Lippens a cédé le Zwin à la Région flamande.  » Il s’ensablait terriblement. Il fallait y faire des travaux gigantesques. Nous avions mis 10 millions d’euros de côté, mais cette somme n’aurait pas suffi. Alors, oui, on l’a cédé. C’était l’unique moyen de le sauver. Mais la statue de mon père continue d’accueillir les visiteurs à l’entrée. C’est son Zwin pour toujours. « 

Le livre tiré des émissions

« Mon grand-père, ce héros », signé par Christine Masuy, vient de paraître dans la collection RTBF-Racine / Histoire (168 p.)

Christine Masuy

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