Une thérapie par la parole

Les témoignages de Sabine Dardenne et de Laetitia Delhez resteront gravés dans les annales du procès. Leur force a fait éclater le carcan formel de la cour d’assises

La vie plus forte que la mort. Les deux blondeurs qui ont échappé à Marc Dutroux s’ébattent sur le parvis du palais de justice d’Arlon. Envolées, les différences d’approche dans le dossier. Il reste deux très jeunes femmes, vingt ans et demi et 22 ans, Sabine Dardenne et Laetitia Delhez, qui rient d’avoir rivé son clou à leur tortionnaire. A la face du monde, ou presque. Leurs témoignages ont fait la Une de la presse internationale. Leurs voix ont retenti bien claires dans la salle d’audience. L’une et l’autre ont balayé les demandes de pardon mécaniques de Michelle Martin. A Marc Dutroux qui venait de lui présenter ses  » excuses les plus plates  » pour avoir abusé d’elle, sur le ton de celui qui vient de commettre une erreur embarrassante, Sabine a crié, sans le regarder :  » Pour être vulgaire, il peut crever avec !  »

Thérapie par la parole, thérapie de groupe, thérapie sauvage. Le carcan formel de la cour d’assises a volé en éclats, le 20 avril dernier. La brève inclination du buste de Me Luc Savelkoel, avocat de la mère d’Eefje Lambrecks, devant le président de la cour, Stéphane Goux, lorsqu’il quitte un moment la salle d’audience, est un pâle souvenir, presque surréaliste, de l’étiquette qui règle normalement les moindres faits et gestes dans un tribunal. Ce jour-là, on a entendu le 12e juré û une jeune femme aux questions pointues û se rebeller, au nom du jury, contre le bâclage de certains interrogatoires. On a vu la grand-mère paternelle de Julie Lejeune, à qui le président avait refusé la parole car n’étant ni témoin ni partie civile, se lever de son banc et réclamer la vérité à Dutroux :  » Il faut que tu me la dises, à moi.  » Peut-être l’accusé allait-il craquer, lui qui disait tant aimer sa propre grand-mère. Mais personne ne l’écoutait hésiter, la tête baissée. On a entendu Laetitia parler, à la barre, de  » Marc « , et celui-ci la tutoyer (  » mais si, tu avais le choix  » d’accepter ou non un café, qu’il voulait qu’elle boive jusqu’au bout), comme si leur lien de sujétion/protection n’était pas rompu. On a entendu le président Goux tenter de convaincre Jean-Denis Lejeune qu' » en Belgique, un accusé a le droit de ne pas dire la vérité « . Les anciens époux Dutroux se sont encore querellés à propos du sort de Julie et de Melissa. Marc Dutroux, soutenant sa nouvelle théorie du réseau :  » D’après ce que m’a dit mon épouse, il semble que les petites sont parties de la cache avec Bernard Weinstein et y sont revenues avec lui.  » Michelle Martin :  » Je n’ai jamais dit cela…  » Mais l’institutrice dont la voix suave monte au ciel garde pour elle ses petits secrets :  » J’ai dit tout ce que je savais à Langlois et aux enquêteurs.  » On n’en tirera rien. Pendant ce temps, on entrait et sortait de la salle comme d’un moulin : parents d’enfants disparues, jurés, victimes, tous submergés par l’émotion que confessait, de son perchoir, l’avocat général Jean-Baptiste Andries.

Parfois, les mouvements des corps sont plus parlants que des paroles. Ainsi, Me Jean-Philippe Rivière se jette à la suite de sa cliente, Sabine, parce qu’il s’aperçoit qu’elle est suivie de Me Xavier Magnée, l’avocat de Marc Dutroux, lui qui marche comme dans un songe, prisonnier de sa double contrainte : plaindre les victimes et défendre son client. Bref, c’est un grand théâtre, avec des acteurs qui jouent leur propre drame, une vie qui déborde de partout et aucun ordonnancement.

Le témoignage des deux survivantes de la cache de Marcinelle a eu un effet cathartique. Sabine, un peu nerveuse, le 19 avril, rayonnait le lendemain. Son interrogatoire a été court, sans qu’elle ait eu le temps de  » s’installer  » ni l’occasion de répondre à des questions utiles à la cause, sauf sur l’impossibilité de stocker beaucoup de nourriture dans la cache : le seau hygiénique et son cartable prenaient toute la place. La lecture intégrale de ses lettres par deux enquêteurs, le 15 avril, a peut-être constitué le sommet de ce procès hors normes. La crudité des mots, la candeur d’une petite fille saisie dans son enfance et pensant tous les jours à la mort étaient insoutenables mais utiles, démontrant la perversion de l’accusé.  » Je me plaignais tout le temps mais je ne faisais pas le poids, explique Sabine. Il se foutait de moi. En même temps, il était l’ami qui me sauvait et qui m’avait trouvé une super-planque. J’avais les deux visions…  » Elle ne savait pas qu’il avait femme et enfants :  » C’était moi sa femme, c’est lui qui l’a dit.  » Elle était aussi  » sa petite bonniche « , nettoyant les toilettes avec l’eau crasseuse de la baignoire, pour économiser.  » Il n’a jamais été question pour moi de la liquider « , a protesté Marc Dutroux, répondant à la question qui angoissera toujours la jeune femme. Les experts ont dit de toutes les victimes, hormis des jeunes Slovaques violées et de Laetitia Delhez, qu’elles n’avaient pas été, de manière continue, sous l’effet d’une camisole chimique.

 » J’étais dans le gaz « , a souvent répété Laetitia, témoignant  » à titre de renseignement « , car incapable, expliqua-t-elle, de parler  » sans haine et sans crainte « . Pourtant, son témoignage a été remarquable de vivacité et de précision. La fausse douceur de Dutroux, ses exigences d’avare, la pâleur alarmante de Sabine, sa connaissance des usages de la cache, les trois viols… Sur l’un des événements qui, d’après ses avocats, Mes Jan Fermon et Georges-Henri Beauthier, accable Michel Nihoul, elle raconte :  » J’étais dans la chambre où j’ai mangé le premier jour, au premier étage. J’ai entendu trois coups de téléphone, avec deux fois ôMichel » et une fois ôJean-Michel »et puis, je ne sais pas à quelle époque, ôÇa a marché ». Je m’endormais, je me réveillais… Impossible de dire plus.  » Plus d’une fois, lorsqu’elle était à la barre, Laetitia s’est retournée, souriante, guettant son approbation, vers sa compagne des mauvais jours. Une bulle de fraîcheur.

Marie-Cécile Royen

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