Comment les cabinets d’audit recrutent sur les campus

Dans les business schools, le LuxLeaks n’a pas entaché l’aura des PricewaterhouseCoopers (PwC) et autres prestigieux cabinets d’audit. Sur les campus, leurs attaques de séduction massives contribuent à en faire les employeurs les plus convoités.

Ils sont venus, ils sont tous là. Un peu avant Noël, les Deloitte, Ernst&Young, KPMG, PwC – les fameux  » Big Four  » – et autres géants de la consultance se sont donné rendez-vous à HEC-ULg lors des  » Job days  » annuels. Comme des nuées d’abeilles noires, les étudiants en tenue professionnelle exigée se pressent autour des stands à la rencontre de leurs employeurs de demain. On pose des questions, on dépose son CV, on fait le plein de prospectus, gadgets et Post-it estampillés. Plus loin, dans une ambiance nettement plus studieuse, des entretiens de recrutement ont lieu en face to face. A la clé ? Un stage, une invitation à venir se présenter au siège de l’entreprise… et parfois même un emploi dès septembre prochain.

Pour les jeunes ingénieurs de gestion et les diplômés en sciences économiques, relativement épargnés par la crise de l’emploi, démarrer sa carrière chez un  » Big Four  » reste le Graal.  » Les boîtes d’audit et de conseil leur permettent de se former, notamment à l’international, ce qui est très important pour la suite de leur carrière « , explique Bruno van Pottelsberghe, doyen de la Solvay Brussels School of Economics & Management. Michel De Wolf, doyen de la Louvain School of Management, attire l’attention sur le contact direct avec le monde de l’entreprise que procurent ces cabinets :  » Un jeune consultant chargé de l’audit externe d’une société pourra plus tard être recruté par cette même société si elle cherche à engager un contrôleur de gestion interne et l’a jugé compétent.  » Quant à Wilfried Niessen, doyen de HEC-ULg, il insiste sur la situation géographique particulièrement propice de Liège :  » Beaucoup de nos étudiants sont attirés par les cabinets présents au Luxembourg voisin qui offrent des salaires extrêmement attractifs.  »

 » L’éthique, ce n’est pas notre métier  »

Le LuxLeaks ? A Liège comme ailleurs, on considère que le dernier  » scandale financier  » est un bien grand mot pour qualifier des pratiques légales – c’est-à-dire appuyées par une législation luxembourgeoise taillée sur mesure pour l’exil fiscal. Tout au plus un malentendu issu des raccourcis faciles des journalistes. Et qu’importe si, du propre aveu du président de la Commission européenne et ancien Premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker, ces pratiques légales vont à l’encontre de la justice fiscale et des  » normes éthiques et morales « .  » L’éthique, ce n’est pas notre métier « , réplique sans embarras Géraldine Hassler,  » career development manager human capital  » chez PwC Luxembourg.

Le matin même, au cours de sa séance de présentation aux étudiants, le cabinet d’audit a même évoqué le LuxLeaks –  » sur le ton de l’humour « .  » Nous rappelons toujours que nous agissons dans le strict respect des règles « , poursuit-on tout sourire chez PwC, premier cabinet épinglé par le consortium international de journalistes pour ses rulings fiscaux. Il faut dire que dans ce petit monde, on croit beaucoup aux superpouvoirs de la communication. Un coup d’oeil au stand orange et blanc de PwC suffit à en convaincre. Ses balançoires suspendues le long d’un comptoir en demi-cercle où l’on s’échange des tablettes donnent le  » la « .  » C’est par l’image que l’on parvient à se distinguer des autres gros cabinets. Aujourd’hui, ce n’est même plus une question de communication mais de connectivité : il faut être en connexion avec cette génération Y auprès de laquelle nous recrutons et qui a grandi avec les réseaux sociaux, les nouvelles technologies « , enchaîne Géraldine Hassler.

Car la crème des cabinets de conseil et d’audit entend bien s’adjoindre la crème des étudiants. Et multiplie donc les occasions d’accroître sa visibilité sur les campus. Cours, tables rondes, ateliers, conférences, Job days… : si les contacts étroits avec le monde professionnel font partie intégrante du modèle des business schools, ceux-ci n’ont eu de cesse de se renforcer et de se diversifier ces dernières années.  » Nos entreprises partenaires organisent aussi des soirées informelles, des concours, des événements « , note Sabine Hauser, responsable Career Development à HEC-ULg. Les tournois de beach- volley très en vogue à la Solvay Brussels School of Economics & Management sont ainsi sponsorisés par PwC.  » Nous leur offrons les bières et les servons nous-mêmes « , s’enthousiasme Géraldine Hassler. Une culture de l’événement qui perdure dans la vie professionnelle.  » Nous sommes des équipes très jeunes et organisons donc pas mal d’activités en dehors du travail, des drinks… C’est aussi un facteur attractif pour les diplômés « , souligne-t-on au stand Deloitte Luxembourg.

 » Nous recherchons les talents  »

Pour s’intégrer dans le milieu, l’esprit de compétition et l’aisance sociale gentiment arrosés sont hautement recommandés.  » Nous ne sommes pas en manque de recrues mais nous sommes à la recherche de talents, déclare Bruno Di Bartolomeo, associé chez Ernst&Young Luxembourg, venu rencontrer des étudiants. Nous essayons d’abord de voir si le candidat a une idée concrète de la réalité du métier ou s’il est un peu idéaliste.  » Autre cible de choix des recruteurs : les jeunes femmes. Les études montrent que leur faible mobilité les dessert de manière discriminatoire en milieu professionnel.  » Nous n’avons aucune difficulté à attirer des candidats mais aujourd’hui, nous cherchons surtout à les retenir. C’est pourquoi nous essayons aussi d’attirer des femmes dont on sait qu’elles sont plus fidèles à leur entreprise « , confie- t-on chez PwC. Et pour les séduire, rien de mieux que le refrain de la  » work-life balance  » qui sonne si doux aux oreilles de la jeune génération.

Parmi les étudiants et les professeurs, des voix discordantes commencent à se faire entendre. A HEC, le master en gestion à finalité  » management des entreprises sociales  » – qui s’est imposé non sans difficulté au sein de l’institution voici quatre ans – attire aujourd’hui entre 5 et 10 % des étudiants.  » Ceux qui choisissent ce master sont souvent déjà conscientisés. Ce sont des étudiants qui optent pour une autre voie ou qui sont venus spécifiquement à HEC pour faire cette spécialisation « , pointe Virginie Xhauflair, chargée de cours à HEC-ULg, et membre du Centre d’Economie Sociale, l’initiateur de ce master.

Mais est-il vraiment raisonnable de réserver la réflexion éthique au petit nombre d’étudiants qui se destinent à l’entrepreneuriat social ? Comment faire évoluer le monde de la consultance si les jeunes diplômés s’y engouffrent parfaitement sûrs de leur bon droit ? Premier pas : un cours obligatoire de  » business ethics  » devrait être mis en place l’année prochaine à HEC-ULg pour l’ensemble des étudiants. Reste à s’entendre sur la définition qu’on donne à ce terme.  » Beaucoup considèrent que si on se conforme aux normes, ce qu’on appelle la compliance, on est dans l’éthique ! Sans se poser la question de l’intérêt général, par exemple… Il est important de mettre en place des mécanismes qui permettent d’élaborer une réflexion critique, ce qui manque peut-être dans les business schools « , estime Virginie Xhauflair. A moins que l’absence d’esprit critique – et à défaut, le cynisme – soit encore perçue comme un atout dans un monde qui voudrait faire de l’éthique un métier mal payé plutôt qu’une réflexion partagée.

Par Julie Luong

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