© Frédéric Pauwels

Tour de François, acte 2 : le « coup » de Seraing

C’est dans la rue Famelette, la mal nommée, que François Brabant a porté l’estocade. Quelques minutes plus tôt, le cyclo-journaliste avait quitté le bord de Meuse pour s’engouffrer dans Seraing, attaquant bille en tête l’ascension finale, un chemin de croix de deux kilomètres, où la pente atteint souvent les 15 %.

C’est donc là, dans ces ruelles escarpées, qui sont la patrie des sidérurgistes et de leurs enfants, dans cette citadelle ouvrière, rouge de colère plus souvent qu’à son tour, parmi les voitures tunées, les drapeaux italiens et les snacks turcs, que la course s’est jouée. Et que François Brabant est allé cueillir, à l’arraché, un succès de prestige.

Les signes avant-coureurs de ce feu d’artifice ne manquaient pas. Il y eut d’abord cette descente vertigineuse de la côte des 36 tournants, à Engis, à moins de 20 kilomètres de but. Bien calé sur sa machine, après avoir mis « tout à droite », François Brabant s’est livré à un authentique numéro d’équilibriste, à plus de 50 km/h. Trajectoires parfaites, virages impeccables. Sur le bitume, le coureur, affranchi des pesanteurs, ne roulait plus. Il glissait. Un numéro.

Et puis, a commencé la longue approche de Seraing, par Flémalle. Dans ces longues lignes droites qui longent la Meuse, sur des kilomètres, François Brabant enroulait sans peine le 50×13 – bien aidé par le vent, favorable à cet instant de la course, et par son frère Gautier, venu le relayer dans le final, en équipier modèle. Après huit heures de course, le coup de pédale restait fluide, l’oeil alerte. Mains en bas du guidon ou sur les cocottes, en alternance, le leader du Vif Cycling Team semblait visiblement dans un grand jour.

A vrai dire, pourtant, plus personne ne croyait à un coup d’éclat du grimpeur namurois. Auprès des bookmakers, sa cote était au plus bas. On le croyait résigné, brisé par son prologue épouvantable de la veille, terrassé par la succession des côtes (Cokaifagne, Francorchamps, Lierneux, Barvaux), émoussé par le kilométrage infernal de cette étape. On pensait sa combativité annihilée par la chaleur, ses jambes gorgées d’acide lactique. Sans parler de cette douleur au pied gauche, dont François Brabant s’est plaint en fin d’étape auprès de la voiture médicale, ou des innombrables poids lourds qui l’ont dépassé, parfois frôlé, dans la montée vers la Baraque Fraiture, point culminant de l’étape, à plus de 600 mètres.

A aucun moment, le sort ne s’est montré clément au cours de cette 1re étape ardue, disputée entre Liège et Seraing, via une longue boucle dans les Ardennes, et un passage symbolique par Polleur, où François Brabant avait participé à sa première course en amateurs, en avril dernier. Tantôt induit en erreur par les signaleurs, tantôt piégé par les déviations, le cyclo-journaliste s’est écarté du parcours officiel à quatre reprises. A Recht, en communauté germanophone, des travaux de dernière minute en prévision du passage du Tour (mais lequel ?) l’ont forcé à un détour de 6 kilomètres. Rageant. A la sortie de Tohogne, aveuglé par son empressement à rejoindre l’arrivée, le grimpeur belge a plongé vers Durbuy, au lieu de filer vers Ouffet. Là, il ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même. Penaud, il n’a eu d’autre choix que de faire demi-tour et de remonter vers Tohogne. Ces erreurs, et d’autres, ont douloureusement retardé son arrivée à Seraing : préparé mentalement à l’idée de couvrir 198 kilomètres dans la journée, le jeune sociétaire du Vif Cycling Team a dû, en fin de compte, en parcourir près de 222, à une moyenne légèrement supérieure à 26 km/h.

Autant dire que ce matin, dans la caravane du Tour, le « coup » de Seraing suscite un mélange d’admiration et de scepticisme. Car, dans le cyclisme moderne, le panache ne paye pas toujours. « C’est clair, on s’est trompés au sujet de François Brabant. Ce gars-là est parti pour faire un podium, au moins », juge l’un de ses adversaires directs, sous le sceau de l’anonymat. « Un truc comme hier, croyez-moi, il ne le recommencera pas deux fois, estime à l’inverse un connaisseur. Aujourd’hui, le mec aura les jambes lourdes. La traversée du plateau hesbignon, où le vent souffle en permanence, va être un calvaire pour lui. Je m’attends à ce qu’il arrive tard, très tard à Tournai. »

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