Pierre Boulez  » Retrouver l’obscurité « 

A la veille de ses 80 ans, le maître entreprend une tournée à valeur de manifeste. Première étape : Bruxelles. Rencontre

En concert au palais des Beaux-Arts de Bruxelles, le 25 octobre à 20 heures : Stravinsky, Symphonie d’instruments à vents et Le Sacre du printemps ; Boulez, Notations I, VII, IV, III, II. Le 26 octobre à 20 heures : Stravinsky, Le Sacre du printemps, concert commenté pour jeunes, en dialogue avec le chef d’orchestre Patrick Davin. Le 27 octobre à 20 heures : Boulez, Livre pour cordes ; Mahler, Symphonie n° 7. Tél. : 02 507 82 00 ; www.bozar.be

Paris, par une belle après-midi d’automne. Aux alentours de Beaubourg, touristes, étudiants et visiteurs sillonnent, à leurs rythmes respectifs, les vastes esplanades, faisant la halte sur les bords du bassin ensoleillé, dans le glouglou des sculptures mobiles et cracheuses (Niki de Saint Phalle et Jean Tinguely). C’est là, sous l’angle de la place Igor Stravinsky, que vrombit le plus célèbre sous-marin de l’avant-garde musicale, l’Ircam (Institut de recherche et de coor- dination acoustique-musique), fondé en 1969 à l’initiative de Georges Pompidou, qui en confie la direction au compositeur Pierre Boulez. Trois étages de studios et laboratoires en sous-sol, parmi lesquels, au bout d’un couloir silencieux, le modeste bureau du maître. Il y a, décidément, du Maître Eckhart, du Lacan et de l’îdipe dans le Pierre Boulez d’aujourd’hui : détachement du savoir, accès à la connaissance par la clé poétique, vision intérieure soumise à l’obscurité…

Le Vif/L’Express : A l’occasion du 75e anniversaire de la salle Henry Le B£uf û la grande salle de concert du palais des Beaux-Arts de Bruxelles û, un lieu que vous connaissez bien, vous donnez trois concerts à la tête du London Symphony Orchestra. Avec des £uvres signées Stravinsky, Mahler et… Boulez. Qu’est-ce qui a déterminé vos choix ?

: Un programme de concert est toujours le résultat d’une discussion. Il doit répondre à trois conditions : s’insérer dans une saison (tant pour l’organisateur que pour l’orchestre), contenir une cohérence propre, être adapté à la personnalité artistique de l’orchestre. Je n’ai plus dirigé

depuis une dizaine d’années (la dernière fois que j’ai dirigé Stravinsky, c’était avec Bartabas !). Je trouvais l’occasion propice, notamment dans la perspective d’une séance consacrée aux enfants. Et, pour ce qui est de la

de Mahler, plutôt rare au concert, j’en apprécie le côté structuré (contrairement à l’idée trop répandue d’un Mahler  » anecdotique « ) mêlé à une continuité dramatique en constante progression. C’est un aspect captivant de la musique de Mahler, commun à ses trois dernières symphonies.

Vous présenterez personnelle- ment Le Sacre du printemps à un public de jeunes. Qu’allez- vous leur dire ?

, c’est l’excitation rythmique û c’est ce qui fut la plus grande surprise à l’épo- que û, et que c’est plus fort que la pop, et beaucoup plus passionnant.

Les mots peuvent-ils parler de la musique ?

, on attirera l’attention de l’écouteur sur le fait qu’il s’agit d’une suite de danses, de moments qui valent chacun pour eux-mêmes.

Au-delà de la structure de la musique, peut-on aussi parler de contenu ? Dans Le Sacre, il s’agit quand même de violence, de sacrifice, de mort.

sens. Il a son sens propre et aucun autre (contrairement au langage parlé où l’on croit comprendre quelque chose d’unique alors que, paradoxalement, les mots n’ont pas de sens commun). Ce qui est essentiel, dans la musique, c’est la force de l’

. Point. On sait que, selon que l’on emploiera des intervalles chromatiques ou diatoniques (une différence à la limite du perceptible), on sera dans la douleur ou dans la joie, que les dissonances ou les consonances introduisent la tension ou la détente, mais, dans tout cela, une chose compte : l’affirmation. Connaître la biographie de Mahler peut aider à suivre le déroulement de sa symphonie, mais ne pourra donner aucune explication sur le pourquoi de son impact.

Vous avez plusieurs points communs avec votre compatriote psychanalyste, feu Jacques Lacan, notamment votre passion pour l’écriture et votre façon d’accéder aux notions les plus abstraites par des voies poétiques. On peut aussi faire un recoupement entre votre notion d’  » affirma- tion  » et la sienne de  » désir « .

) Je ne rejette pas la comparaison. Mais, moi, je ne fais pas de jeux de mots !

Dans une récente interview, Luca Francesconi voyait dans les déboires de la musique  » contemporaine  » le résultat d’un manque de professionna- lisme : trop de morceaux furent présentés au public à l’état d’ébauche ou d’exercice d’école.

Vous avez été le défenseur acharné d’une certaine avant-garde, dans les années 1960. Où en est la polémique aujourd’hui ?

des choses, me consacrer à des actions nouvelles. Je ne prétends pas détenir la vérité mais au moins  » ma  » vérité, et tant mieux si je peux vous convaincre. J’ai toujours été un pragmatique : il faut un temps pour la création et un temps pour la diffusion, ou, si vous préférez, la communication.

Dans votre livre Penser la musique aujourd’hui, vous concluez par une paraphrase de Debussy, alias Monsieur Croche, où vous remplacez le mot  » émotion  » par le mot  » évidence « . N’est-ce pas glisser vers une objectivité assez étrangère au fait artistique ?

Pour moi, l’évidence contient l’émotion, mais avec un plus : contrairement à l’émotion, l’évidence ne peut être niée. Je m’explique : quand vous voyez un Cézanne ou un Paul Klee, vous êtes devant l’évidence, ces artistes vous forcent à les considérer.

Dans la musique, comment cette évidence se manifeste- t-elle ?

Entretien : Martine D.-Mergeay

 » Je ne prétends pas détenir la vérité mais au moins ma vérité  »

Il y a décidément, du Maître Eckhart, du Lacan et de l’îdipe dans le Boulez d’aujourd’hui

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