11 euros 50

Ça fera 11 euros 50, Monsieur « . Après vous être délesté d’un billet et de quelques piécettes, vous retournez, tant bien que mal, à votre fauteuil qui, comme de bien entendu, est situé trois wagons plus loin. Vous slalomez entre quelques jeunes gens la tête obligatoirement recouverte, selon leur degré de perméabilité aux technologies de pointe, d’un casque de walkman/lecteur de fichiers MP3/ console de jeux/lecteur de DVD. Vous évitez de justesse les jambes de ce grand Hollandais qui s’étire après avoir passé deux heures à taper un rapport sur son laptop. Vous enjambez Whisky, le chien de la dame du fauteuil 82, voiture 6. Et, ce faisant, machinalement, vous convertissez la somme que vous venez de payer et vous vous dites que 11 euros 50, ça a tout de suite l’air moins cher que 460 de nos anciens francs, mais que ce n’est quand même pas donné.

Enfin revenu à votre place (après avoir obligé votre voisine, côté couloir, à se lever pour que vous puissiez vous glisser côté fenêtre), vous négligez un peu le paysage de la Douce France qui défile à vos pieds (de toute façon, ça fait déjà trois heures qu’il défile à vos pieds et, comme vous ne descendez qu’à Aix, il aura encore le temps de défiler deux bonnes heures). Et vous décidez d’analyser ce que l’employé de la Compagnie des Wagons-Lits vous a fourni. Le résultat est loin d’être grandiose : outre le sandwich pompeusement baptisé  » Duo Poulet/crudités  » qui, une fois sorti de son emballage en plastique, a un goût de carton (mais on suppose que c’est toujours mieux que le contraire), il y a un yaourt avec sa couche obligatoire de concentré de fruit (servi dans un petit pot style terracotta, ça doit faire très tendance) et une boisson gazeuse avec beaucoup d’eau, pas mal de sucre et quelques gouttes d’arôme. Ah, et un espresso qui vient de sortir d’une petite pastille glissée dans la machine à espresso. Et c’est tout ? Et c’est tout : vous auriez aussi pu prendre une serviette, mais vous avez oublié.

Alors, tout en mâchonnant votre sandwich, vous vous demandez ce qui oblige l’employé de la voiture  » restauration légère  » ( » Nous souhaitons la bienvenue aux voyageurs montés en gare de Lyon et leur signalons qu’une voiture restauration légère se trouve après la voiture 4 « ) à vous vendre ce Duo Plastique/carton au prix du caviar de contrebande. Différentes explications s’offrent à vous, que vous chassez les unes après les autres. Serait-ce parce qu’il est très rare de trouver des poulets qui acceptent d’être propulsés à 300 à l’heure (même dans les frigos de la voiture  » restauration légère « ), et que ce qui est rare est cher ? Serait-ce parce que la SNCF fait payer plein tarif aux poulets qui montent à bord des TGV et que, comme le poulet n’a pas de Carte Bleue sur lui, c’est vous qui devez lui offrir son ticket ?

Enfin, une fois terminée l’absorption des restes de ce malheureux gallinacé qui a dû passer ses quarante jours de vie dans un grand hangar où il était parqué avec quelques milliers de ses congénères, vous sentez le sommeil venir : la première sieste des vacances, un petit moment de bonheur un peu égoïste mais bon. Avant de sombrer, vous vous dites quand même que, la prochaine fois, avant de prendre le train, vous vous préparerez des tartines à l’omelette.

Albert Rosen, par courriel

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