La traque des rebelles hutu

Passée à l’action contre les miliciens hutu rwandais, l’armée congolaise a récupéré des positions sans rencontrer de résistance. Mais les civils et déplacés du Nord-Kivu jugent l’offensive contre-productive et craignent pour leur sécurité. Reportage.

La guerre, vraiment ? La traque des FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda), les miliciens hutu rwandais que le gouvernement congolais s’est engagé à neutraliser, a commencé au Nord-Kivu, mais ces opérations n’ont pas encore donné lieu à des combats. Les rebelles ont quitté leurs positions de Mweso, Bwiza, Kwitabi ou Matchumbi sans qu’il y ait eu d’affrontement avec l’armée nationale.  » Nos cibles nous échappent, admet un haut gradé des FARDC, les forces armées congolaises. Les rebelles fuient sans résister.  » Evitant la confrontation, ils se replient en forêt ou se fondent dans la population civile. Présents dans la zone depuis vingt ans, les FDLR ont tissé des liens avec les locaux, jusqu’à épouser des femmes congolaises.

 » Comment les militaires vont-ils faire pour distinguer les civils des combattants ?, s’inquiète un notable de Mweso. Dans ces villages, les uns et les autres parlent la même langue. Faire la différence entre eux est presque impossible.  » Un officier congolais confirme :  » La protection des civils sera un défi majeur au cours de nos opérations.  » Pour identifier les FDLR dissimulés parmi les civils, l’armée nationale a lancé des appels aux populations, afin qu’elles cessent toute collaboration avec l' » ennemi  » et fournissent des informations sur les infiltrés.  » Les militaires nous ont prévenus : si nous continuons à collaborer avec les rebelles, nous serons arrêtés « , rapporte un habitant de Bwiza, localité où les miliciens hutu étaient installés depuis 2008. Les informations récoltées par les troupes congolaises ont permis de capturer quelques FDLR, dont trois officiers du mouvement. Au risque d’exposer la population à des représailles.

Et si les rebelles revenaient…

 » En fuyant Mweso, les rebelles ont pillé le village de Kashanja, se lamente un témoin. Pourtant, cela faisait deux ans que nous vivions avec eux sans heurts : ils cultivaient simplement leurs champs. Depuis quelques jours, 8 ou 9 soldats de l’armée nationale se sont établis ici. C’est peu. Si les rebelles décident de revenir, ces militaires ne pourront pas nous protéger.  » Dominique, déplacé de guerre à Kitchanga, a la mine renfrognée.  » Ces nouvelles opérations militaires contre les FDLR vont pérenniser notre présence dans ce camp insalubre « , peste-t-il. Son ras-le-bol est compréhensible : depuis plus de sept ans, il est forcé de vivre dans les conditions infrahumaines d’un camp de plusieurs milliers de déplacés.  » De plus, craint-il, d’autres frères congolais encore dans les collines vont venir grossir les camps, s’ils ne se font pas tuer avant.  »

Le sort des populations congolaises n’est pas le seul enjeu de ces opérations militaires. Quelque 25 000 civils rwandais vivent en exil au Nord-Kivu, dans les mêmes zones que les combattants FDLR. Malgré leur nombre, ces réfugiés ne bénéficient d’aucun statut, d’aucune protection internationale. Ils n’ont jamais été recensés par le Haut-Commissariat aux réfugiés depuis la destruction meurtrière des camps, en 1996. Un conseiller diplomatique à Goma s’étonne que l’institution onusienne ait récemment  » redécouvert  » ces réfugiés, pourtant présents au Kivu depuis deux décennies. Un recensement biométrique devait être organisé à partir de février pour leur accorder un statut, mais l’initiative a été mise entre parenthèses suite au déclenchement de l’offensive.  » Recensés, nous avions l’espoir que notre sort s’améliore, raconte un réfugié rencontré à Bweru. Mais les armes ont pris le dessus et nous allons à nouveau devoir fuir.  »

Arrivés au Congo au lendemain du génocide rwandais de 1994, les FDLR demeurent l’un des principaux obstacles à la paix dans la région des Grands lacs. Ils posent comme condition à leur désarmement et à leur retour au pays l’organisation d’un dialogue inter-rwandais. Demande irrecevable pour le président Paul Kagame et la communauté internationale, certains rebelles portant une responsabilité dans le génocide.  » A Kigali sévit une dictature pure et dure, réplique La Forge Fils Bazeye, porte-parole des FDLR. Nous ne pouvons rentrer au pays tant que l’espace politique ne s’est pas ouvert.  »

Le consensus diplomatique actuel considère la traque militaire comme la seule option envisageable pour démanteler les FDLR. Pourtant, de telles opérations ont déjà été menées en 2009 et 2010 et elles n’ont pas anéanti le groupe armé. Si elles ont contribué à son affaiblissement, c’est au prix de lourdes conséquences pour les populations congolaises. Un nouveau rapport d’Oxfam rappelle qu’en 2009,  » pour chaque combattant FDLR désarmé, un civil a été tué, 7 ont été violés et 900 ont été forcés d’abandonner leur maison « . Reléguer les miliciens FDLR au fin fond d’impénétrables forêts n’est pas, estime-t-on dans les rangs des ONG, la meilleure voie vers une solution durable.

Par Alexis Bouvy et Chrispin Mvano, au Nord-Kivu, avec Olivier Rogeau

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