Peyo l’Enchanteur

C’est la première biographie consacrée au père des Schtroumpfs. Elle fera date. Morceaux choisis

© Textes extraits de Peyo l’enchanteur, par Hugues Dayez, éd. Niffle. Les intertitres sont de la rédaction.

Des débuts difficiles

En se baladant porte de Namur, haut quartier commerçant de Bruxelles, Peyo rencontre André Franquin. Les anciens collègues de la CBA ( NDLR : Compagnie belge d’actualités qui produit, entre autres, de courts dessins animés) décident d’entrer dans un bistrot pour se raconter leurs expériences respectives. (…) Pierre ( NDLR : Peyo) raconte ses difficultés, ses échecs successifs chez Dupuis où il reçoit toujours la même réponse :  » Ce n’est pas mal, mais travaillez encore… Dans un an, ce sera encore mieux !  » Peyo se souvient avec émotion que Franquin a regardé attentivement ses dessins, lui faisant remarquer qu’ils n’étaient pas parfaitement au point :  » Je lui dois énormément, car il est allé les soumettre lui-même à Charles Dupuis… Quelques jours plus tard, j’étais engagé à Spirou ! C’était le coup de piston à l’état pur !  » Aujourd’hui encore, on peut s’interroger sur la raison qui a poussé Franquin, dessinateur si exigeant pour lui-même et pour les autres, à démarcher lui-même auprès de son éditeur pour promouvoir Peyo, jeune auteur débutant, nullement virtuose, qu’il a côtoyé à la CBA. pendant quelques semaines… Des années après son geste, Franquin donna cette réponse désarmante de simplicité :  » Je lui ai donné ce coup de pouce parce que je sentais qu’il avait envie de faire de la bande dessinée, qu’il aimait vraiment ça !  »

Les Schtroumpfs envahissent les cases du journal Spirou

Dans le Spirou du 23 octobre 1958, les lutins bleus font leur apparition. (…)  » Dans cet épisode, Pirlouit trouve une flûte enchantée – ce qui n’est pas très original comme idée, mais enfin, le tout, c’est de la faire jouer par Pirlouit – et on lui vole cette flûte. Il essaie alors d’en trouver une deuxième pour combattre le voleur… Je me pose la question : qui aurait bien pu fabriquer cette flûte enchantée ? Je me suis d’abord dit : un enchanteur, une sorcière… Et puis l’inspiration a surgi : pourquoi ne serait-ce pas un farfadet, un de ces petits êtres dont on sait qu’ils vivent la nuit, mais que l’on voit très rarement ? »

Pour dessiner cette nouvelle espèce de troll, le dessinateur agite ses souvenirs. Lors de son passage au studio de dessin animé de la CBA., il avait vu défiler des croquis de petits lutins roses coiffés d’une corolle de fleur, héros d’une histoire intitulée Le Cadeau à la fée… Le film n’a jamais abouti, mais il y a peut-être matière à creuser de ce côté-là. Reste à leur trouver un nom, à ces petits lutins. Peyo réfléchit :  » Pourquoi ne pas utiliser ce mot qui nous a tant amusés l’été dernier, Franquin et moi ? Pourquoi ne pas les appeler Schtroumpfs ? »

Nine ( NDLR : la femme de Peyo est aussi sa coloriste) est séduite par l’idée, et lorsqu’il s’agit de leur trouver une couleur, elle met la main à la pâte :  » J’ai procédé par élimination. Comme, au départ, les Schtroumpfs se dissimulent tout le temps dans les feuillages, je ne pouvais pas les faire verts, ils se seraient noyés dans le décor ! En rouge, ils auraient été trop voyants… Et en jaune, ce n’était pas très heureux. Restait donc le bleu, ce n’était pas compliqué !  » Et pourquoi pas le rose, tout simplement ? Parce que Peyo veut clairement signifier que les Schtroumpfs ne font pas partie du genre humain, et constituent une société bien distincte. Une manière supplémentaire de souligner cette différence est de les doter de leur propre idiome : les Schtroumpfs parlent  » schtroumpf « . (…)

A priori, la syntaxe de ce langage semble d’une grande simplicité : il suffit de remplacer les noms par  » schtroumpf  » et les verbes par  » schtroumpfer « . Mais Peyo a bien conscience que, pour la compréhension du lecteur, il doit être soigneusement sélectif dans son usage du mot  » schtroumpf  » :  » Quand je me suis amusé à parler schtroumpf avec Franquin, je me suis vite rendu compte que je ne pouvais pas remplacer n’importe quel mot par  » schtroumpf « , je devais toujours tenir compte du contexte. Par exemple, si je dis :  » J’ai attrapé un schtroumpf « , ça reste obscur. Alors que si je dis :  » Il ne fait pas chaud ce matin, j’ai bien peur d’avoir attrapé un schtroumpf ! « , ça devient clair. Mais il faut se méfier, parce que c’est tout de même un langage dangereux. Si vous dites :  » Mademoiselle, vous avez une très jolie paire de schtroumpfs « , il n’est pas certain qu’elle comprendra que vous parlez de ses boucles d’oreilles !  »

La Schtroumpfette et le misogyne

La même semaine où démarrent Les Douze Travaux ( NDLR : de Benoît Brisefer), Peyo revient dans Spirou avec une nouvelle histoire de Schtroumpfs, inédite celle-là : La Schtroumpfette. L’idée maîtresse de Peyo pour ce nouvel épisode est simple :  » Introduire une femme dans une communauté de cent mecs pour foutre la merde !  » dixit Walthéry. Mais comment justifier cette apparition féminine ? L’auteur trouve vite la solution : la Schtroumpfette sera une créature façonnée par Gargamel. Delporte ( NDLR : ancien rédacteur en chef du journal Spirou) contribue à la rédaction de la formule magique énoncée par le sorcier :  » Un brin de coquetterie… Une solide couche de parti pris… Trois larmes de crocodile… Une cervelle de linotte… De la poudre de langue de vipère… Un carat de rouerie… Une poignée de colère… Un doigt de tissu de mensonge, cousu de fil blanc, bien sûr… Un boisseau de gourmandise… Un quarteron de mauvaise foi… Un dé d’inconscience… Un trait d’orgueil… Une pointe d’envie… Un zeste de sensiblerie… Une part de sottise et une part de ruse, beaucoup d’esprit volatil et beaucoup d’obstination… Une chandelle brûlée par les deux bouts…  » Peyo s’en amuse beaucoup, mais se sent obligé de se dédouaner en spécifiant en bas de page :  » Ce texte engage la seule responsabilité de l’auteur du grimoire Magicae Formulae, Editions Belzébuth.  » Mais le mal est fait, comme le raconte Walthéry :  » Quand elle a découvert cette description de la Femme, Nine ne lui a plus parlé pendant quinze jours ! Je ne sais plus trop si elle faisait semblant de râler ou si elle était vraiment fâchée, mais Peyo, lui, rigolait beaucoup.  » Nine confirme :  » Je l’ai traité de misogyne, et je crois qu’il en rajoutait exprès pour me faire sortir de mes gonds ! Il avait vraiment besoin de taquiner la gent féminine.  »

Quoi qu’il en soit, force est de reconnaître que cette Schtroumpfette est insupportable, bien pire que la Castafiore ! Les critiques seront sévères, et Peyo tentera plusieurs fois de se justifier :  » On m’a traité de misogyne, de phallocrate… Honnêtement, je ne crois pas être misogyne, bien au contraire. La Schtroumpfette est une caricature sans méchanceté de la nature féminine, avec ses qualités et ses défauts. Je me suis surtout attaché à montrer que la femme nous tient par les sentiments et que, volontairement ou non, elle exerce par ce moyen une véritable autorité sur l’homme. Jacques Brel, pour qui j’ai toujours eu beaucoup d’admiration, a fort bien exprimé cela dans la chanson Les Biches. Et si vous regardez autour de vous, vous constaterez comme moi que, dans la plupart des ménages, c’est la femme qui porte la culotte !  » Et Peyo d’ajouter dans une autre interview :  » C’est très bizarre, j’ai découvert qu’on pouvait faire un condensé des défauts masculins, comme Pirlouit par exemple, sans encourir les foudres du sexe mâle… Par contre, traiter la femme en caricature, houlà ! Il faut être très prudent !  »

Le légendaire retard des dessinateurs

En 1960, Peyo a sans doute atteint sa maturité d’auteur, mais aussi son point de saturation. Pour un dessinateur qui s’avoue lent, mener de front quatre séries (Johan, Les Schtroumpfs, Poussy et Benoît Brisefer), sans compter les boulot annexes (les scénarios de Jacky et Célestin, les couvertures du journal et des albums, les illustrations pour les scouts…), devient extrêmement difficile. En outre, pendant la journée, il se laisse volontiers distraire de sa planche par la visite d’un copain ou un coup de téléphone de Franquin… Résultat : à la rédaction du journal, il devient réputé pour ses retards ! Delporte en témoigne :  » Il était toujours hors délai. Il avait tendance à dire :  » Oh, ce n’est que pour dans deux semaines, j’ai le temps !  » Et il finissait par s’y mettre vraiment quand il n’avait plus le temps, la veille de la remise de la planche, jusqu’à 5 heures du matin !  » Nine confirme :  » Comme l’imprimerie du journal était à Marcinelle et qu’il était en retard, il partait livrer ses planches en pleine nuit. Et moi, comme j’avais peur qu’il s’endorme au volant, je tenais à l’accompagner. Mais comme je ne pouvais pas laisser les enfants tout seuls, je les réveillais et les embarquais en pyjama dans la voiture. Pour finir, je m’endormais avec eux pendant le trajet, pendant que Pierre conduisait ! Je ne vois pas à quoi servait ma présence, en fin de compte, mais comme ça j’étais sécurisée !  » Thierry a d’autres souvenirs épiques de ces courses contre la montre :  » Un jour, j’accompagne mon père qui va livrer tôt le matin des planches en retard à la rédaction de Spirou. Il a travaillé toute la nuit jusqu’à l’aube, et sur le trajet nous allons chercher Yvan Delporte qui doit s’emparer des planches pour en faire des photocopies. Mais Yvan n’était pas très bien réveillé, mon père était crevé et lors de la man£uvre, nous voyons avec surprise Yvan disparaître avec la planche : sa cravate était prise dans les rouleaux de la photocopieuse !  »

Des figurines qui font le tour du monde

En 1966, le distributeur pour le Benelux des céréales Kellogg’s a l’idée d’offrir des petites figurines de Schtroumpfs en plastique souple à l’achat de boîtes de corn flakes. Une petite série de figurines est créée : un Schtroumpf standard, un Schtroumpf noir, un Schtroumpf prisonnier, le Schtroumpf à lunettes, le Schtroumpfissime… Le succès de l’opération est immédiat. Pour la soutenir, Peyo et son studio créent toute une série de gags publicitaires en une planche, qui paraissent à la fois dans Spirou et dans Tintin ! (…) Dans la famille Culliford, tout le monde trouve ça très amusant. Nine témoigne :  » Quelque part, Pierre était fier que l’on s’empare de ses personnages de cette manière. Je crois que c’était tout à fait humain, comme réaction. Moi, je me souviens très bien d’avoir acheté des paquets de poudre à lessiver Bonux pour découvrir le fameux ô cadeau Bonux  » qui se cachait dans la boîte. Alors, quand Kellogg’s a fait la même chose avec les Schtroumpfs, j’ai trouvé ça très rigolo !  » Mais l’action menée par la firme de céréales ne dure qu’un temps. Le fabricant des figurines, la société allemande Bully Figuren, conserve les moules, et demande tout naturellement à Peyo ce qu’elle doit en faire : les détruire ou continuer la production ? Yvan Delporte explique :  » Peyo est allé demander à Dupuis s’il voulait être partenaire dans l’opération, et Dupuis lui a fait une réponse du genre :  » Monsieur Culliford, nous vendons du papier imprimé, pas des jouets en plastique !  » Peyo s’est alors lancé tout seul dans la confection des figurines, et a fait préciser dans le contrat qu’il serait le seul bénéficiaire des sommes rapportées par ces produits, sans que son éditeur perçoive de droits… Bien plus tard, voyant passer les flots de dollars générés par ces innocentes figurines, Dupuis versera des larmes de sang !  »

Les Schtroumpfs traversent l’Atlantique…

Tout a commencé le jour où un représentant d’une firme américaine d’animaux en peluche est passé par l’Angleterre où il a constaté le succès remporté par les figurines des Schtroumpfs en PVC. Ce monsieur a pris le risque de les importer aux Etats-Unis, en dépit de l’absence de tout autre support. Il n’eut qu’à s’en féliciter car ces figurines sont aussitôt devenues très appréciées par les enfants américains. Dans la foulée, la même firme s’est mise à fabriquer des Schtroumpfs en peluche. Un jour, le directeur de la chaîne de télévision NBC, Fred Silbermann, se promenait en rue avec sa petite-fille. Celle-ci est soudain tombée en arrêt devant un Schtroumpf en peluche dans une vitrine et a supplié son grand-père de le lui acheter, ce qu’il a fait. Au cours des semaines suivantes, Fred Silbermann a remarqué que sa petite-fille ne quittait plus son nouveau jouet, fût-ce pour dormir, et qu’elle y était incroyablement attachée. En homme d’affaires avisé, il s’est dit qu’il pouvait être profitable d’exploiter à l’écran ce petit personnage qui semblait tant plaire aux enfants. Et comme les Américains n’ont pas l’habitude de faire les choses à moitié, une impressionnante série de dessins animés a aussitôt été mise en chantier, programmée à raison d’une heure chaque samedi matin.  »

… et s’adaptent aux spectateurs américains

Si Fred Silbermann et sa petite-fille ont été séduits par l’aspect mignon des Schtroumpfs, la poésie de leur univers va donner du fil à retordre aux scénaristes de Hanna-Barbera (NDLR : studio d’animation américain). Yvan Delporte explique :  » Certains scénaristes, habitués à la production courante des cartoons américains, étaient assez mal à l’aise avec l’esprit des Schtroumpfs. L’un d’eux disait :  » C’est tellement sucré comme histoire que, rien qu’à lire ça, j’attrape des caries !  » Un problème majeur que nous avons rencontré au début, c’était de voir ces scénaristes inventer toujours le même genre d’histoire : un Schtroumpf faisait un gros héritage et suscitait la convoitise des autres, ou alors un Schtroumpf trouvait un trésor et sa richesse subite semait la zizanie dans le village, ou encore un Schtroumpf vendait dans un esprit de lucre la recette d’une potion du Grand Schtroumpf à Gargamel… Tout tournait toujours autour de l’argent ! Et Peyo refusait à tour de bras des synopsis de ce type, en expliquant de moins en moins patiemment que l’argent n’existait pas chez les Schtroumpfs !  »

Un autre obstacle pour les scénaristes réside dans le fameux code des valeurs en vigueur chez NBC. Il stipule que les programmes destinés aux enfants doivent éviter de montrer des actions imitables. Autrement dit, on ne peut pas montrer tout geste qui pourrait devenir dangereux si un enfant tentait de le reproduire dans la réalité. Yvan Delporte cite un exemple précis :  » Les responsables de NBC ont ainsi fait supprimer une scène d’un Spécial Noël dans laquelle Gargamel, par une formule magique, enflammait l’arbre de Noël des Schtroumpfs. Ils ont estimé que si un enfant, en voyant cette séquence, avait été tenté de faire la même chose, cela aurait entraîné des conséquences dramatiques !  » Peyo, qui est moins au fait de la mentalité américaine qu’Yvan Delporte, va ainsi de surprise en surprise :  » On parle toujours des Etats-Unis comme d’un pays de liberté, mais j’ai été frappé par le fait que chacun y vit dans la crainte de ce que vont penser et dire les voisins. A la NBC, l’autocensure est poussée très loin, car ils savent que la moindre faute de goût sera aussitôt dénoncée et montée en épingle par les deux chaînes concurrentes, CBS et ABC. Ils font particulièrement attention à tout ce qui concerne la violence, la drogue, le racisme, l’image de la femme, etc. J’ai deux exemples en tête : j’avais prévu que le Schtroumpf à lunettes, qui casse les pieds à tout le monde avec sa sempiternelle morale, se fasse régulièrement assommer par un autre Schtroumpf à l’aide d’un maillet. Les responsables de la NBC ont trouvé cela beaucoup trop violent. Ils m’ont prétendu que cela pouvait donner l’idée à un petit garçon américain de prendre un marteau dans le garage de son papa et de taper sur la tête de sa petite s£ur ! Par contre, je peux leur faire tomber une enclume sur la tête parce qu’il est plus rare de posséder une enclume chez soi. Secundo : ils m’ont refusé que le Grand Schtroumpf se serve de poudres et de philtres, de peur, que dans l’esprit des spectateurs, il n’y ait assimilation à une forme de drogue. Aussi les potions ne sont-elles ni bues, ni mangées, ni reniflées. Le Grand Schtroumpf se contente de jeter de la poudre étoilée. Vous voyez que ça va chercher loin !  » (…) Le samedi 12 septembre 1981, les premiers épisodes des Schtroumpfs réalisés par Hanna-Barbera sont diffusés sur NBC. Au départ, c’est le scepticisme qui règne. Yvan Delporte se souvient :  » Le réalisateur Gerard Baldwyn m’a confié que beaucoup de gens du métier, quand les Schtroumpfs sont apparus sur le marché, ont affirmé que c’était beaucoup trop gentil, trop mièvre pour les enfants américains habitués à une approche plus nerveuse, plus trépidante… Heureusement, ces gens se trompaient et le succès est là pour nous le prouver !  » En effet, les chiffres d’audience vont atteindre des scores sensationnels : le programme récolte jusqu’à 42 % de l’audience du samedi matin, ce qui signifie plus de six millions de postes de télévision branchés sur la NBC pendant l’heure consacrée aux Smurfs, avec des pointes de 8 millions. Pareils chiffres n’avaient plus été atteints depuis huit ans par un programme pour enfants, et constituent le plus grand succès de NBC depuis vingt ans. A titre de comparaison, la série Dallas réalise à l’époque un score oscillant entre 30 et 38 %. Seul Bugs Bunny, en son temps, a réalisé un score comparable à celui des Schtroumpfs.

Surmené et mangé par ses Schtroumpfs, Peyo craque

Son ami Roba se souvient :  » Parfois, il me téléphonait en disant, des larmes dans la voix :  » Jean, je craque !  » Je lui répondais :  » Mais laisse tomber, bon sang ! Délègue !  » Mais je crois qu’il en était incapable. Il avait enclenché le moteur d’une gigantesque locomotive, qui roulait désormais à toute vitesse, entraînant une multitude de wagons de merchandising… Et il ne savait plus comment l’arrêter, cette sacrée locomotive !  » Le temps de l’insouciance où Peyo, Roba et Franquin partaient ensemble manger un spaghetti dans n’importe quelle gargote est désormais bien loin. Roba complète :  » Avec le succès, il a dû troquer sa défroque d’auteur de BD contre un costume de businessman, et il voyageait tout le temps : un jour New York, un jour Bangkok, un jour Hongkong… Résultat, on se voit évidemment beaucoup moins.  »

Acculé à produire les plan- ches du Bébé Schtroumpf en un temps record, Peyo n’a d’autre solution que d’appeler une énième fois à la rescousse les fidèles Marc Wasterlain et François Walthéry. Ceux-ci débarquent avenue Boetendael le lundi 29 octobre 1984 et réalisent les vingt planches de ce nouveau récit… en six jours à peine ! Walthéry explique :  » Chaque fois qu’il nous appelait, nous accourions ventre à terre ; nous n’aurions pas raté ça pour tout l’or du monde ! Certains collègues français nous ont traités de  » cons d’exploités  » parce que nous allions aider anonymement un type qui gagnait des millions, mais je m’insurge contre cette façon de voir car c’est lui l’auteur ! C’est lui qui a créé les Schtroumpfs, il a mérité sa fortune, et nous avons passé des années formidables chez lui !  »

Le dessinateur et l’argent

Peyo pouvait paraître à la fois très généreux et très radin. Nine ne s’explique pas complètement ce paradoxe :  » C’est curieux, il était capable d’ergoter pour des détails ! Il pouvait aller me chercher un pain et revenir en me disant :  » Mais tu ne te rends pas compte qu’un pain coûte autant !  » et m’en parler pendant huit jours… Et en même temps, il était capable d’inviter dix personnes à des agapes au restaurant, et ça c’était normal ! Il pouvait prêter sans problème de l’argent à un ami dans le besoin, mais quand il négociait un contrat, c’était au franc près. C’est ahurissant, mais c’était comme ça !  » En réalité, bien plus qu’une soif immodérée d’argent, Peyo est habité par le désir de se faire respecter. Roba ajoute :  » Il m’a un jour fait cette réflexion que s’il discute contrat avec quelqu’un et qu’il est assez bête pour se faire avoir, pourquoi pas ? C’est à lui de se défendre ! Il ne faut pas oublier qu’il a perdu son papa très jeune, et qu’il est certainement animé par une volonté de revanche sur le sort… Goscinny, qui avait bouffé de la vache enragée dans sa jeunesse à New York, avait aussi ce genre d’attitude.  » Franquin, qui n’était pas doué pour les affaires, admirait ce talent chez Peyo :  » Pierre est un bon exemple à suivre. Tout ce merchandising est venu un peu sans qu’il le veuille. Mais quand c’est arrivé, il a pris les choses en main de façon plus directe, il a très bien organisé son succès, car il est l’un des rares dessinateurs à ne pas être stupide en matière de commerce.  »

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