Le CD&V réinvente la  » participopposition « 

Un pied dans la majorité fédérale, un pied en dehors : le vice-Premier social-chrétien Kris Peeters a mené une curieuse fronde, cet été. Avec lui, le CD&V semble s’inspirer de la stratégie d’Ecolo au début des années 2000. Qui avait engendré une catastrophique défaite électorale…

Mais à quoi joue donc le CD&V ? Un pied dans la majorité fédérale, un pied en dehors : le parti social-chrétien flamand semble réinventer la  » participopposition « , ce concept créé au début des années 1990 par le secrétaire fédéral d’Ecolo, Jacques Bauduin. A l’époque, les écologistes francophones minaient le gouvernement Verhofstadt depuis leur quartier général à coups de communiqués tranchés et d’assemblées générales sans fin. Mal à l’aise au sein de la suédoise, ruminant ses états d’âme, le vice-Premier ministre CD&V, Kris Peeters irrite de plus en plus ses partenaires avec ses sorties médiatiques et ses injonctions erratiques. Tout en projetant une image floue dans l’opinion publique.

 » Honnêtement, cet été, la stratégie de Kris Peeters a été incompréhensible, pour ne pas dire carrément débile « , grince une source libérale au sein de la majorité. La mini-crise qu’il a provoquée en parlant d’une  » rupture de confiance  » après l’accord sur le tax-shift laissera des traces, d’autant qu’elle puise ses racines dans des relations humaines fortement dégradées entre les trois vice-Premiers flamands du gouvernement. Seule la relation étroite entre le Premier ministre, Charles Michel, et le président du CD&V, Wouter Beke, a permis de sauver la mise.  » De toute façon, il n’y a guère d’alternative « , souffle-t-on, fataliste, au sein du CD&V.

 » Peeters moins stratège que Beke  »

Un été pourri. Tandis que ses collègues s’égayaient en Europe, Kris Peeters est resté au pays tout le mois d’août pour ruminer sous la canicule la  » trahison  » du tax-shift. Deux heures à peine après avoir bouclé le glissement fiscal, le 23 juillet, l’ancien ministre-président flamand fut outré de découvrir sur le site d’informations Newsmonkey la  » liste des horreurs  » qu’il défendait à la table de négociation, d’une taxation du capital à une contribution accrue de solidarité.

Il s’agissait d’une fuite signée Alexander De Croo, vice-Premier Open VLD, certifie le vice-Premier CD&V sans le nommer. Il nous déclare alors, péremptoire, mais avec le sourire :  » Nous jouons en Premier League. Bien sûr, on joue durement au football, mais il y a des règles qui ne doivent pas être transgressées. Si on négocie un accord au sein du kern et que l’un des vice-Premiers transmet à la presse des éléments de négociation d’un autre vice-Premier, c’est inacceptable. It’s never seen before… Un tel comportement met l’équipe en danger parce que la confiance n’est plus là. Le chef de gouvernement doit intervenir.  »

Charles Michel a passé de longues heures à apaiser la rancoeur de celui à qui il a  » volé  » le poste de Premier ministre, l’été 2014. Lors du Conseil des ministres de rentrée, ce 28 août, le CD&V a en outre obtenu une forme d’apaisement : conformément à ce qu’il demandait, la hausse de la TVA sur l’électricité, prévue lors du tax-shift, sera bel et bien intégrée dans le calcul de l’index. Et le Premier ministre d’exulter –  » La confiance est là…  » – tandis que le président du CD&V, Wouter Beke, s’empressait de défendre dans les journaux flamands une réforme fiscale qui s’inscrit parfaitement dans le programme du parti :  » L’accord sur le tax-shift est la réforme la plus importante depuis le Plan global de Jean-Luc Dehaene dans les années 1990 « , insiste-t-il. Son vice-Premier avait affirmé que cela prendrait  » des semaines  » pour rétablir la confiance : soudain, il s’est retrouvé tout nu.

 » Kris Peeters est un émotionnel, dont les réactions sont souvent épidermiques, commente une source très bien informée au sein de la suédoise. Il est certes charismatique, son passé de ministre-président flamand et sa notoriété servent au CD&V. Mais il est beaucoup moins bon stratège que son président de parti. En soutenant le tax-shift, Wouter Beke souligne que cette réforme correspond à 80 % au programme du CD&V. Il sort de cette logique idiote qui consistait à insister sur les 10 ou 20 % de points non obtenus. Beke sait que ses électeurs vont finir par croire Kris Peeters s’il insiste en permanence sur le fait que le verre est à moitié vide… Or, le CD&V doit montrer qu’il est un parti qui compte.  »

 » Le CD&V, parti de la loyauté  »

Depuis le début de la législature, le CD&V se positionne à la gauche de la coalition : quête inlassable de concertation sociale, désir de justice fiscale, emportement contre la politique sécuritaire et les militaires dans les rues… Dave Sinardet, politologue à la VUB, l’a qualifié de  » nouveau PS « . Une tactique digne de cette  » participopposition  » inventée par les écologistes sous Verhofstadt ?  » La situation actuelle est précisément l’inverse de celle qui prévalait alors, souligne Jean Faniel, directeur du Centre de recherche et d’information politique (Crisp). A l’époque, le parti Ecolo exprimait son malaise avec la politique gouvernementale après l’élection d’une nouvelle équipe de secrétaires fédéraux (NDLR : Philippe Defeyt, Jacques Bauduin et Brigitte Ernst), tandis que ses ministres, Isabelle Durant et Olivier Deleuze, essayaient de jouer le jeu au sein de la coalition. Ici, c’est visiblement Kris Peeters qui a un problème. Ce ne doit pas être évident pour lui : il est le premier ministre de l’Emploi issu du monde patronal et doit en même temps être le relais principal de la CSC, qui met la pression. Cela ne veut certes pas dire qu’il n’y a pas aussi des tensions au sein du parti.  »

Le risque d’une dégelée électorale ne se trouve-t-il pas au bout du chemin ? Aux élections législatives de 2003, Ecolo avait payé cash cette stratégie erratique : après avoir tiré la prise quelques mois avant le scrutin, il avait chuté à moins de 10 % des voix.  » Ecolo avait surtout perdu les élections de 2003 en comparaison de son incroyable victoire de 1999, nuance Jean Faniel. Il avait aussi dû capituler sur des dossiers importants pour sa base, comme le nucléaire ou les sans-papiers. Ecolo était un parti turbulent qui venait à peine d’accéder au pouvoir. Le CD&V, par contre, est traditionnellement le parti de la loyauté. Il en faut déjà beaucoup pour le pousser dehors et cette fois, il sait combien ce serait périlleux.  » Même si ce n’est plus le parti dominant et même s’il rue dans les brancards pour exister dans la suédoise. Lorsqu’on les interroge en  » off « , les ténors du parti reconnaissent :  » En cas de chute, quelle serait l’alternative ? »

Le politologue du Crisp rejette toute conclusion hâtive : il n’y a pas une règle générale en vertu de laquelle un parti critiquant la politique menée de l’intérieur d’une majorité subirait forcément une défaite électorale en bout de course. Selon lui, l’attitude du CD&V est davantage comparable à celle, récurrente, du PS.  » Il y a toujours eu dans le chef des socialistes un mélange de grande loyauté et de forte dramatisation ou de gauchisation du discours sur certains dossiers. Ce double visage, le MR lui aussi l’a déjà adopté. Cette tension entre loyauté gouvernementale et volonté de marquer sa base est souvent fréquente en période de campagne électorale.  » Avec des fortunes diverses au sortir des urnes.

Dans les rangs gouvernementaux, on insiste aussi sur le fait que le CD&V peut désormais se concentrer sur d’autres objectifs stratégiques. Dont le plan de modernisation de la justice que prépare Koen Geens.  » Un secteur qui attend des réformes importantes depuis longtemps « , acquiesce Jean Faniel. Le parti pourrait capitaliser sur un succès.  » Paradoxalement, l’épreuve du tax-shift et les difficultés rencontrées par le CD&V vont renforcer le gouvernement, espère-t-on au 16, rue de la Loi. Les déclarations très nettes de Beke sur le tax-shift vont consolider l’équipe.  »

 » Ils s’irritent en permanence  »

Humainement, pourtant, l’incident laissera des traces dans la cohésion de l’équipe. Vu le caractère très personnel du malaise exprimé par Kris Peeters, certains au sein de la majorité n’ont pas exclu, ne fût-ce qu’un court instant, un remaniement ministériel. Le CD&V est, il est vrai, miné par un casting compliqué, chacun de ses ministres étant à côté de la fonction qu’il voulait occuper : Kris Peeters rêvait du 16, il est vice-Premier ; Koen Geens se voyait vice-Premier, il est  » simple ministre  » ; Pieter De Crem était ministre, il a été dégradé au rang de secrétaire d’Etat… La perspective a très vite été évacuée par ceux qui voyaient en Geens un parfait remplaçant de Peeters.  » Le CD&V a déjà sacrifié suffisamment de ses hommes forts ces dernières années « , dit-on au sein de la majorité. Tout à tour, Marianne Thyssen, Yves Leterme, Inge Vervotte, Herman Van Rompuy ou Steven Vanackere ont quitté le navire de la politique belge. Il était exclu que Kris Peeters en fasse de même.

Mais entre vice-Premiers, cela continuera à frictionner. L’incident entre le vice-Premier CD&V et son homologue libéral flamand Alexander De Croo trouve sa source dans une méfiance réciproque qui ne date pas d’hier.  » Ils s’irritent en permanence l’un l’autre « , constate un autre vice-Premier. Cette inimitié de Kris Peeters à l’égard de l’Open VLD remonte à l’époque où il dut notamment gérer le dossier du contournement routier d’Anvers. Kris Peeters fut aussi l’un des plus réticents au moment de faire rentrer l’Open VLD dans les majorités flamandes et fédérales, en juillet 2014.

Cette inimitié n’est pas la seule. Didier Reynders, vice-Premier MR, n’a pas aidé à cicatriser la plaie en dévoilant ses états d’âme au Soir, samedi 29 août : avec le CD&V, tout est compliqué, il faut renégocier sans cesse.  » Quand on a un accord de gouvernement, le texte va au Conseil d’Etat, au Parlement, à la Chambre, et puis cela passe au bureau du CD&V, ironisait-il à sa manière. Et soudain, ça devient compliqué… Et puis, cela va au Sénat, tu arrives à la douzième station et tu peux te faire crucifier ! » La relation entre Didier Reynders et le CD&V est en réalité mauvaise… depuis le début de sa carrière. En tant que chef de cabinet de Jean Gol, quand il était vice-Premier, il a vécu la trahison de Wilfried Martens qui a viré les libéraux pour s’allier aux socialistes, à la fin des années 1980. Depuis, il a subi régulièrement les attaques de ce parti contre sa gestion aux Finances, jusqu’à cette fameuse nuit de septembre 2014 où Marianne Thyssen lui a volé ce poste de commissaire européen.

La réponse de Wouter Beke à cette attaque ? Cinglante.  » Pas de commentaires. Je fonctionne bien avec Charles Michel.  » Au sommet du MR, on ne réagit pas, mais on exprime une forme d’  » indulgence  » pour la position de Reynders. En ajoutant :  » Didier a zéro chance de pouvoir récupérer une position de premier ministrable. Si c’était son raisonnement, il est bien bête d’avoir agressé le CD&V.  » Il a beau être malmené, le parti de Kris Peeters reste le principal faiseur de roi en Belgique. Celui qui fait et défait les coalitions. Et qui l’a empêché d’être le Premier.

Par Olivier Mouton

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