Angela Merkel Chancelière mystère

La première femme à gouverner l’Allemagne reste peu connue de ses concitoyens. Qu’est-ce qui anime cette physicienne de l’ex-RDA, dont la discrétion et la gaucherie cachent en fait une redoutable tenacité ? Si sa victoire, comme elle, manque d’éclat, elle a prouvé qu’elle savait relever les défis et, une fois de plus, s’imposer

De notre correspondante

La première chancelière de l’histoire de l’Allemagne se prénommera donc, sauf rebondissement inattendu, Angela. A 51 ans, à l’issue de trois semaines de laborieuses négociations, elle a fini par gagner. A quel prixà Intrigues et quolibets ont ponctué sa marche vers la chancellerie et, comme Helmut Kohl en son temps, son  » père politique « , Angela Merkel a dû supporter d’être longuement sous-estimée. Etonnant destin qui porte aujourd’hui au sommet celle qui, au soir des élections générales du 18 septembre dernier, à quelques jours du 15e anniversaire de la réunification allemande, suscitait les sarcasmes de son challenger, Gerhard Schröder. Et faisait ricaner certains responsables de la CDU, son propre parti, qui ne l’ont jamais épargnée.  » Elle n’a rien d’une grande visionnaire, persifle déjà un influent chrétien-démocrate. Ce n’est pas la descendante directe de Bismarck.  »  » Angie  » les a tous eus à l’usure. Celle que l’on voyait mal endosser les habits d’un grand personnage de l’Histoire s’assoira sans doute dans le fauteuil de Konrad Adenauer, malgré ses gestes gauches et son air réservé.

Aujourd’hui encore, nombre d’observateurs ne donnent pas cher de la longévité d’un gouvernement – dont il reste à négocier le programme – au sein duquel le SPD de Gerhard Schröder a raflé la moitié des portefeuilles, et non des moindres (Affaires étrangères, Finances, Travail et Affaires sociales). Au passage, les conservateurs de la CDU seraient déjà revenus sur certains points de leur programme, inacceptables pour les sociaux-démocrates, tels que l’assouplissement des procédures de licenciement ou la limitation du pouvoir des syndicats. Mais, au vu des quinze dernières années, ce genre de difficultés ne devrait pas forcément impressionner Angela Merkel. Car, si l’Allemande de l’Est a appris une chose du monde politique ouest-allemand, c’est bien à s’imposer.

Une détermination sans états d’âme

Lorsque le chancelier de la réunification la fait entrer dans son gouvernement, en 1991, c’est pour une question d’image : elle a alors la fraîcheur de ses 36 ans et vient de l’Est. Mais personne n’imagine, à l’époque, qu’elle puisse peser d’un moindre poids face aux vieux crocodiles de la CDU.  » Quand Angela a appris que Kohl voulait la prendre comme ministre, elle a sursauté. Elle m’a dit :  »Mais ça ne va pas, je ne pourrai jamais ! » et elle est devenue toute rouge « , raconte en souriant Lothar de Maizière, chef du dernier gouvernement (élu) de l’ex-RDA, pour qui elle travaillait comme porte-parole adjointe. Elle venait alors tout juste de quitter son travail de physicienne à l’Académie des sciences de Berlin-Est. La jeune femme n’est pourtant pas du genre à refuser les défis, bien au contraire : depuis l’enfance, elle veut être la meilleure.

Fille de pasteur, aînée d’une famille de trois enfants, Angela Merkel, née Kasner, développe en effet un syndrome bien connu en RDA.  » Même peu critique à l’égard du régime, elle risquait de ne pas pouvoir faire d’études parce que son père était pasteur, raconte l’un de ses biographes, Gerd Langguth. Depuis toujours, ses parents lui répétaient :  »Si tu veux étudier, tu dois être la première. » » Angela Kasner effectue donc une scolarité sans accroc. Elle est brillante dans toutes les matières, sauf en sport, excelle en mathématiques et en russe – elle remportera même les  » olympiades de russe « , de très haut niveau, organisées en RDA et couronnées par un voyage à Moscou. Ses professeurs ne tarissent pas d’éloges sur ses qualités intellectuelles : intelligence supérieure, esprit analytique, capacité à s’organiser.  » Elle pense toujours trois coups à l’avance « , confirme le député conservateur Andreas Schockenhoff.

Au fil du temps, Merkel apprend donc à s’imposer. A sa façon, c’est-à-dire dans la discrétion, mais avec une détermination toujours renouvelée et apparemment sans états d’âme. Helmut Kohl ? Elle le fait tomber de son piédestal en 1999, lorsque la CDU est empêtrée dans des affaires de caisses noires et que son mentor politique refuse de livrer les noms des mystérieux  » bienveillants donateurs « . Alors secrétaire générale du parti, Merkel publie un article dans le quotidien conservateur Frankfurter Allgemeine Zeitung appelant à prendre ses distances à l’égard de celui qui la surnommait autrefois  » la gamine « . Kohl, contraint de mettre un terme à sa carrière publique, ne s’en remettra jamais. Wolfgang Schäuble ? Elle laisse démissionner celui qui avait pris la présidence de la CDU après Kohl, l’homme en fauteuil roulant, lui aussi impliqué dans le scandale. Plus tard, méfiante à l’égard d’un poids lourd du parti qu’elle ne peut contrôler, elle bloquera ses ambitions, notamment à la présidence de la République allemande. Friedrich Merz, grand espoir de la CDU ? Parce qu’il ne lui est pas assez loyal, elle l’expulse de son poste de chef du groupe parlementaire pour prendre sa place. Il finira par se retirer de la vie politique. Edmund Stoiber ? Sentant le putsch arriver contre elle, alors qu’elle est devenue entre-temps présidente du parti, elle offre au Bavarois, en 2002, la candidature à la chancellerie. Stoiber échouera de peu contre Schröder et Merkel pourra reprendre son tour. Au soir des élections du 18 septembre, enfin, un Gerhard Schröder extrêmement arrogant lui lance, sur un plateau de télévision, qu’elle ne sera jamais la chancelière d’une grande coalition. Angie semble vaciller. Mais, deux semaines plus tard, c’est elle qui s’impose dans le jeu délicat des négociations sur un futur gouvernement gauche-droite et lui qui finira par sortir du jeu.

Si Angela Merkel est aujourd’hui assurée de devenir chancelière, elle reste toujours une inconnue en Allemagne. Quelles sont ses valeurs ? Pour quoi se bat-elle ? Difficile de l’établir clairement. Celle qui a été élevée à l’Est, mais pense à l’Ouest, a l’art d’entretenir le flou sur ses convictions profondes – un travers fréquent chez les  » Ossis « , habitués à ne jamais dire ce qu’ils pensent, ironisent les Allemands de l’Ouest. Sur le plan économique, on la dit libérale, ce qui est assez logique pour une citoyenne est-allemande allergique à l’idée d’un Etat trop interventionniste. Du reste, dans son propre parti, d’aucuns lui ont reproché d’avoir négligé la problématique sociale au cours d’une campagne électorale jugée trop éloignée des préoccupations de l' » Allemagne d’en bas « . Mais, dans le même temps, la fille de pasteur a grandi dans un monde où la défense des plus faibles faisait partie des priorités. Pour beaucoup, elle ne peut être aussi étrangère à ces réalités qu’on ne le dit. Du reste, ses camarades d’école décrivent la jeune Angela comme une première de la classe, certes, mais toujours prête à donner un coup de main. En bonne protestante, elle acceptait, dit-on, que les cancres jettent un coup d’£il sur son travail, à condition qu’ils comprennent ce qu’ils recopientà Enfin, beaucoup de ses anciens compagnons de route ont été étonnés qu’elle entre à la CDU en 1990. Car ils la croyaient à gauche.

Trop réservée, Angela Merkel n’a pas réussi à se faire aimer de l’homme de la rue, qui la trouve sans c£ur. Ses détracteurs la fustigent régulièrement parce qu’elle  » avance à couvert « . Il est vrai que, contrairement à un Gerhard Schröder qui aime à raconter son enfance difficile pour justifier ses engagements politiques et dont la femme, Doris, fait régulièrement la Une, on ne sait rien, ou pas grand-chose, de la vie privée d’Angela Merkel. Son deuxième mari, Joachim Sauer, un chimiste renommé, professeur à l’université Humboldt de Berlin, ne donne pas d’interview, se contentant de quelques rares apparitions officielles à ses côtés. Une fois par an, il l’accompagne ainsi au festival Wagner de Bayreuth, ce qui lui a valu le surnom, dans la presse allemande, de  » fantôme de l’Opéra « .

Une pragmatique longtemps sous-estimée

On ne sait pas grand-chose non plus de son premier mari, Ulrich Merkel, dont elle a divorcé à l’âge de 27 ans – un classique dans l’ex-RDA – mais dont elle a gardé le nom. Femme sans enfant, remariée, la physicienne de Berlin-Est a longtemps été considérée comme un électron libre à la CDU, parti masculin, plutôt catholique et conservateur. La  » chimie « , comme disent les Allemands, n’a jamais vraiment fonctionné.  » Il ne faut pas perdre de vue le fait qu’elle a passé les trente-cinq premières années de sa vie en RDA, explique le biographe Gerd Langguth. Elle n’a pas la même histoire personnelle, ni la même culture politique, ni les mêmes réflexes que les autres poids lourds de la CDU.  » Eux ont étudié le droit ou l’histoire et sont tombés dans les valeurs chrétiennes-démocrates lorsqu’ils étaient petits. Elle a planché sur Marx, Lénine et la physique, découvrant la vie publique sur le tard, comme un nouveau champ d’expériences.  » Elle regarde la politique comme si elle travaillait sur un ensemble de molécules « , résume Gerd Langguth. Longtemps sous-estimée, comme Helmut Kohl, Angela Merkel est à cet égard une pragmatique, comme Gerhard Schröder. Capable, comme lui, de tester un homme ou une idée et de changer d’avis si les conditions ne sont pas réunies pour l’imposer. Capable aussi d’exploiter à merveille les constellations qui lui sont favorables. Un atout pour la prochaine étape : les négociations sur un programme commun de gouvernement droite-gauche, qui devraient commencer la semaine prochaine et se prolonger jusqu’au début du mois de novembre. L’air de rien, Angela Merkel est une négociatrice redoutable. Elle ne gagne jamais aussi bien que lorsqu’elle semble reculer. En tout cas, jusqu’à présent, elle a toujours fini par l’emporter. Sans éclat et sans crier victoire.

Blandine Milcent

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