La vie sous vide de Jérôme Cahuzac

Il oscille entre amertume et émotion, colère et ironie. Il n’en finit pas de ressasser le film de sa chute. A la veille de son procès, le 8 février, l’ancien ministre français, devenu un paria de la République après ses mensonges, peine à se reprendre en main.

Lundi 4 janvier 2016, tribunal correctionnel de Paris. C’est l’événement médiatico- judiciaire du début de l’année en France : l’ouverture du procès de Guy Wildenstein, célèbre marchand d’art accusé de blanchiment de fraude fiscale. Dans le public, un homme, attentif, concentré, écoute les avocats du prévenu défendre une QPC, question prioritaire de constitutionnalité, qui porte sur la difficulté de juger deux fois la même faute : Non bis in idem, dit le Code pénal français ; un même délit ne peut être jugé, ni a fortiori sanctionné, à la fois par la justice et par le fisc.

L’homme qui suit attentivement les débats, ce matin-là, est avocat, mais il n’a rien à voir avec le monde de l’art. Simplement, lui aussi va bientôt devoir défendre un client renvoyé devant la justice pénale par le parquet financier de Paris. Il est mis en examen pour fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale. Ce client, c’est Jérôme Cahuzac. L’avocat, c’est Jean Veil. Le 8 février, il défendra l’ancien ministre délégué au Budget du gouvernement de Jean-Marc Ayrault, qui a également  » oublié  » de mentionner ses avoirs à l’étranger dans la déclaration de patrimoine remplie lorsqu’il est entré au gouvernement, en mai 2012. Concernant Cahuzac, le principe du non bis in idem s’applique sur au moins l’un des chefs d’accusation qui le visent. Pour cette raison, son procès devrait être ajourné dès le deuxième jour d’audience, comme l’a été celui de Wildenstein.

Impossible pour lui de faire le deuil d’une fulgurante carrière

Ce procès, Cahuzac l’attend et le redoute en même temps.  » Ils vont faire de moi un exemple « , s’inquiète-t-il souvent auprès de ceux avec lesquels il a conservé des liens. Presque deux ans après l’aveu de l’existence de son compte en Suisse qui a fait vaciller toute la tête de l’Etat français, l’ex-ministre socialiste en est conscient : il incarne toujours le pire des menteurs, celui qui a trompé sans ciller toute la représentation nationale et Jean-Jacques Bourdin  » les yeux dans les yeux  » sur BFMTV, qui a taché de manière indélébile un quinquennat que le président avait promis  » exemplaire « . Et il redoute une sévérité excessive, point d’orgue de la moralisation de la vie publique engagée par le pouvoir après la chute d’un de ses représentants les plus emblématiques. Certaines fois, Jérôme Cahuzac semble résigné, écrasé par le poids d’une faute qu’il porte en croix ; d’autres, il s’insurge contre l’hypocrisie d’une société qui ferme les yeux sur les mensonges quotidiens de ses gouvernants et s’effarouche dès que la duperie touche à la morale :  » Quand c’est politique, c’est normal, quand c’est personnel, c’est ignoble. Mais qu’est-ce qui est pire ? « , répète-t-il depuis le mois d’avril 2013.

Complexe, narcissique, égocentrique, brillant, cultivé, il entretient son statut de victime, arrimé à sa vie brisée par le deuil impossible d’une fulgurante carrière. A ceux qui l’ont longtemps poussé vers un engagement humanitaire, loin de la France, là où ses compétences auraient été utiles et ses déboires nationaux lointains, il a toujours répondu :  » C’est trop tard.  » Nulle part, il l’affirme, on ne veut de lui ; l’Elysée, il en est sûr, a rayé son nom d’une liste présentée par une association.  » Jérôme a des hauts et des bas, témoigne l’un de ses amis. Dans les bas, il est complètement parano, évoque un complot, un pouvoir qui voudrait l’empêcher de se reconstruire et lui refuse systématiquement toute possibilité de résilience.  » Depuis deux ans en tout cas, Jérôme Cahuzac, 63 ans, n’a plus aucune activité ; il vit des retraites cumulées de ses différents mandats.

 » Je suis foutu « , lâche-t-il souvent, parlant de son  » absence de vie  » et regrettant parfois à haute voix de ne pas avoir eu le courage d’en finir lorsqu’il était en pleine tourmente. Il oscille entre amertume et colère, revisite encore et encore le passé.  » Je n’ai fait qu’une seule erreur « , assure-t-il à ses proches :  » J’ai accepté d’être ministre. Si j’avais refusé, je serais toujours député, tranquille à l’Assemblée !  » L’échec de Hollande ?  » J’en ai ma part, admet-il devant un élu PS à l’été 2014. Mais c’est François qui a tué la gauche, pas moi.  » Parfois, dans ce désert crépusculaire, perce un moment de bonheur. En mai dernier, un ami entrepreneur du Lot-et-Garonne, terre dont il fut le député, l’invite à un dîner où une centaine de personnes, militants, élus locaux, sont venus l’assurer de leur soutien : l’ancien ministre en parle encore avec des larmes d’émotion.

Quel gâchis…

Pourtant, les habitants de son ancien département d’élection sont ceux qui lui témoignent le plus régulièrement leur reconnaissance :  » Merci pour tout ce que vous avez fait à Villeneuve-sur-Lot, mes parents y vivent « , lui souffle, il y a quelques semaines, le serveur d’un restaurant parisien. Cahuzac le remercie, se détourne et se met à pleurer :  » Quel gâchis…  »  » Ici, il a été irréprochable, confirme un socialiste du département. Il nous a donné un second souffle et nous lui en serons toujours reconnaissants.  » A Paris, il arrive que des passants l’insultent. L’ancien ministre ne répond jamais – une seule fois, a-t-il confié à un ami,  » un type a été vraiment ordurier : je lui ai mis mon poing dans la gueule.  »  » Je ne sais pas si c’est vrai, soupire le confident. Avec Jérôme, maintenant, on a toujours un doute.  » Il n’est pas le seul à prononcer ces mots. D’ailleurs Cahuzac n’est pas dupe :  » Même quand je donne l’heure, on ne me croit plus « , ironise-t-il, en privé, dès juin 2013.

Le sport tient Cahuzac debout. L’homme court, boxe, skie, pédale, joue au tennis et au golf. Il part régulièrement plonger en Corse, où il possède une maison de famille et apprécie de venir s’isoler.  » Ce type a le corps d’un homme de 35 ans ! « , s’étonne encore un député qui l’a croisé avant l’été. C’est sa manière de préparer l’épreuve du procès et sa déferlante médiatique.

En septembre, il croise Dominique Strauss-Kahn à Marrakech. Il a gardé de bonnes relations avec cet autre réprouvé. Les politiques ont peu à peu disparu de son carnet d’adresses. Aucun ne l’encouragera à revenir en politique. Mais il existe d’autres vies, ailleurs. Un jour, peut-être, Jérôme Cahuzac en verra-t-il la lueur.

Par Elise Karlin

 » Ici, il a été irréprochable. Il nous a donné un second souffle et nous lui en serons toujours reconnaissants  »

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