L’innocence violée

Dans le monde, 300 000 enfants prennent part de façon active à des actions militaires. Victimes ou bourreaux, les enfants ne sont jamais épargnés par les conflits armés. Après The Interpreter de Sydney Pollack, le film Blood Diamond d’Edward Zwick nous le rappelle sans fausse pudeur. L’action se déroule en Sierra Leone. Mais le fléau des enfants soldats ne se limite pas à ce petit pays coincé entre le Liberia et la Guinée-Conakry. Plus à l’Est, lorsque le  » père de l’Indépendance « , Milton Obote, reprend, en 1980, le pouvoir à Idi Amin Dada, l’Ouganda est gangrené par des guérillas. Le sud du pays est contrôlé par la  » National Resistance Army  » (NRA) de Yoweri Museveni. Convaincu que la NRA est dirigée par des Tutsi, Obote incite la population à les expulser. Les exactions se multiplient contre cette ethnie minoritaire mais influente, et beaucoup de Tutsi, par désespoir, rejoignent les troupes de Museveni.

De gré ou de force. Ainsi, China Keitetsi est enlevée par la NRA quand elle a 9 ans… Affectée à une unité de commando spécial avec ses jeunes s£urs et frères d’armes, elle sert de chair à canon dans les opérations jugées trop dangereuses pour ses supérieurs. Combats sanguinaires, massacres de prisonniers ou de villageois ; l’AK 47 à l’épaule ou l’Uzi au poing, à l’âge où nos enfants rois grignotent des chips devant The Simpsons, China grandit au milieu des bains de sang, de l’odeur des cadavres et des viols que font subir les officiers à leurs propres soldates…

Aucune guerre ne se fait en dentelles. Les guerres civiles encore moins. Combattante de 15 ans, China vit en enfer. Physiquement. Moralement. Fille de notable issue d’une famille recomposée, passée chaque jour à tabac par un père soucieux de plaire à une belle-mère cruelle, elle n’a, pour sauver sa peau, qu’une seule option : refouler sa soif de vengeance. Devenue incapable d’affection, impuissante à exprimer ses désirs comme ses répulsions, habile à masquer sa peur, l’armée, paradoxalement, sert vite à China de mère de substitution et sa kalachnikov, de personnalité de façade. La chute de l’ange : pour elle, tuer devient un geste naturel quotidien. Seuls ses camarades de combat lui offrent un peu de chaleur humaine. Tant qu’ils restent en vie…

Enceinte d’un lieutenant-colonel, China, qui échappe par miracle au sida et à la maladie d’Ebola, malgré son jeune âge, prend du galon dans la police militaire. Profitant du peu de liberté que lui offre son grade de commandant, elle fuit l’Ouganda. Mais il lui faudra dix ans de tourments pour rejoindre l’Europe. Grâce aux Nations unies, elle vit désormais des jours plus paisibles au Danemark. Quant à ses nuits… Dans ses cauchemars, cette lancinante question à Museveni :  » A présent que tu es arrivé au sommet du pouvoir et que tu as assouvi tous tes désirs, connais-tu seulement mon nom ? » En 2006, l’ancien chef de la NRA a été réélu avec 60 % des voix…

La Petite Fille à la Kalachnikov – Ma vie d’enfant soldat , Editions Complexe, 265 pages. Le récit est publié en partenariat avec le Groupe de Recherche et d’Information sur la Paix et la Sécurité et Unicef-France.

Jean Sloover

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