Le virage douteux de la F 1

A l’heure des économies d’énergie, les Grands Prix automobiles se justifient-ils encore ? Pour la première fois, l’empreinte du Grand Prix de Spa-Francorchamps sur le climat a été calculée à la tonne de CO2 près. Exclusif.

Max Mosley, président de la Fédération internationale automobile (FIA), a le sens de l’humour. Chaque fois qu’il est interrogé sur l’extraordinaire débauche d’énergie fossile, source de gaz à effet de serre, qu’exige l’organisation d’un Grand Prix de formule 1, il sort de sa poche deux arguments censés clouer le bec à ses interlocuteurs. Le premier est – au moins -aussi vieux que le moteur à injection électronique : toute innovation acquise dans l’équipement des bolides de course profite, d’une façon ou d’une autre, aux voitures de M. et Mme Tout-le-monde, y compris dans le domaine des économies d’énergie et dans celui de la diminution de la pollution.

Le second argument, davantage dans l’air du temps, se situe dans le droit fil des idées défendues par Al Gore, ancien vice-président américain. Depuis onze ans, assène Mosley, la Fédération automobile s’emploie à compenser les énormes émissions de dioxyde de carbone, produites par la fabrication et l’utilisation des bolides de F 1, par un programme de plantation d’arbres au Mexique. Sachant que les végétaux absorbent le gaz carbonique présent dans l’atmosphère, la F 1 serait, poursuit-il, non seulement un acteur précurseur dans la lutte contre le réchauffement du climat, mais aussi une  » activité plus propre que l’athlétisme « . Il fallait oser le dire !

Sur le premier point, Mosley n’a pas entièrement tort.  » Les budgets colossaux de la recherche en F 1 ont entraîné des effets, souvent indirects, sur l’aérodynamisme des véhicules, l’allégement des châssis, la maîtrise de la combustion, etc., admet Pierre Duysinx, professeur d’ingénierie des véhicules au Département d’aérospatiale et de mécanique de l’université de Liège (ULg). Il n’en reste pas moins que le but d’une écurie de F 1 est, d’abord, de gagner les courses, pas de développer des technologies vertes… Les constructeurs automobiles savent pertinemment que la voiture continue de tuer 40 000 personnes, chaque année, dans l’Union européenne, et que les Grands Prix exaltent les dépenses inconsidérées d’énergie. Tout ce qui peut corriger leur image est donc mis à profit.  »

Sur le second point, Max Mosley devrait franchement reconsidérer ses arguments. En effet, parmi les compensations qui permettent à une activité polluante d’afficher un  » bilan carbone  » neutre, la plantation d’arbres est celle qui suscite le plus de critiques : trop aléatoire, trop longue, voire contre-productive pour l’environnement et les populations locales des pays concernés. Les experts lui préfèrent, en général, le soutien aux énergies alternatives et aux économies d’énergie. En Belgique, les fonctionnaires fédéraux voyageant dans le cadre des grandes réunions internationales sur le climat paient déjà un supplément de 100 euros sur le prix de leur billet d’avion, contribuant ainsi au financement de tels projets.

Lorsqu’elles se réalisent en roue libre, sans le contrôle des Nations unies et hors du cadre du protocole de Kyoto, les compensations CO2 servent souvent de prétexte pour alléguer n’importe quoi (1). La compétition de ce week-end, à Spa- Francorchamps, n’échappe pas à la règle. Les auteurs de l’étude d’incidences relatives aux travaux d’adaptation du circuit estimaient, en juillet 2006, qu’une course comme celle de Spa dégagerait 18 tonnes de CO2 dans l’atmosphère. En réalité, l’impact du GP de ce week-end sera nettement plus élevé (lire l’infographie ci-dessus). Au terme d’une étude minutieuse, englobant notamment les 13 millions de kilomètres parcourus par les spectateurs (34 fois la distance de la Terre à la Lune…), de même que les coûts de fabrication et de destruction des bolides et des pneus, Pierre Ozer, chercheur au Département des sciences et gestion de l’environnement à l’ULg, arrive à un total de plus de 8 000 tonnes de CO2 : 400 fois plus ! Ce chiffre équivaut aux émissions liées au chauffage et à l’électricité de 1 750 ménages wallons pendant une année. Une précision : si le calcul d’Ozer, plutôt minimaliste, prenait en compte les tours d’essai des bolides, le total grimperait à près de 24 000 tonnes.

Le vélo : plus polluant que la F1 ?

Une pollution scandaleuse ? Oui et non. La compétition automobile est évidemment la cible privilégiée de ce genre d’estimations. Mais, avec son interminable caravane publicitaire et sa couverture médiatique permanente par hélicoptère, le Tour de France cycliste – une manifestation a priori plus sympathique sur le plan environnemental – afficherait très probablement un  » bilan carbone  » aussi déplorable, sinon plus, qu’un Grand Prix automobile. En véritables pionnières, de prestigieuses compétitions internationales semblent avoir pleinement mesuré, elles, l’importance d’une compensation carbone crédible et reconnue par le protocole de Kyoto. Parmi elles, l’actuelle Coupe du monde de rugby, en France (46 000 tonnes de carbone), et, déjà, en 2006, le Mondial en Allemagne (33 000 tonnes) et les Jeux olympiques de Turin, en Italie (120 000 tonnes).

De telles compensations ont pour effet, notamment, de majorer de 2 à 15 % le prix des billets d’avion des spectateurs. Guère plus. A noter, toutefois : rien qu’en privilégiant le transport en commun des joueurs et des délégations nationales vers les sites des matchs, la Coupe du monde de rugby, dans l’Hexagone, devrait éviter l’émission de 1 000 tonnes de CO2. Bien moins cher, pour soulager sa conscience, que le système des compensations.

(1) Lire, au sujet des  » vraies  » et  » fausses  » compensations, le travail éclairant d’André Heughebaert (Igeat, ULB) : www.ulb.ac.be/ igeat/igeat/acti_cent_01_fr.htm

Philippe Lamotte

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