La glissade d’Israël

Très dépendante de l’extrême droite, la fragile coalition gouvernementale construite par Ariel Sharon obscurcit encore l’avenir de la région

De notre correspondant à Tel-Aviv

Soixante-huit députés sur cent vingt. Faute d’avoir réussi à séduire l’Avoda (le parti travailliste d’Amram Mitzna), Ariel Sharon s’appuiera désormais sur une coalition composée du Likoud (son parti), du Chinouï (une formation laïque de droite dirigée par le député Tommy Lapid), des nationalistes religieux du Mafdal (l’aile politique du lobby des colons), ainsi que de l’Union nationale, une coalition de plusieurs mouvements d’extrême droite prônant, entre autres, l’élimination physique de Yasser Arafat, le démantèlement intégral de l’Autorité palestinienne (AP), ainsi que le  » transfert  » de la population palestinienne des territoires occupés vers les pays arabes voisins.

Officiellement, tous les partenaires de la nouvelle coalition se sont engagés à soutenir la  » feuille de route « , cette ébauche d’un plan de paix imaginé, l’automne dernier, par l’administration américaine. Ce  » plan  » prévoit notamment le gel de la colonisation, le retrait de Tsahal des territoires qu’elle occupe en Palestine autonome, l’arrêt du terrorisme palestinien ainsi que la reprise en main par l’AP des villes évacuées. Cela, afin de permettre une reprise progressive des pourparlers entre les deux parties, censés déboucher sur la création d’un Etat palestinien indépendant en 2005. Le problème, c’est que, peu avant le scrutin du 28 janvier dernier, le Premier ministre israélien a fait savoir à la Maison-Blanche qu’il souhaitait renégocier une centaine de points évoqués dans la  » feuille de route « , ce qui risque de prendre beaucoup de temps et de vider de tout contenu ce texte pourtant minimaliste.

En outre, le Likoud est très partagé quant à l’opportunité du plan américain. Car la plupart des membres de son bureau politique, des délégués à son congrès ainsi que de ses députés font partie de sa tendance dure, soutenant le fraîchement dégommé ministre des Affaires étrangères Benyamin Netanyahu. De plus, le Mafdal refuse d’envisager ne fût-ce que l’idée de geler le processus de colonisation de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. Quant à l’Union nationale, ses leaders, Avigdor Liberman et Benny Eilon (deux colons de Cisjordanie), ont annoncé, avant même d’avoir prêté serment, qu’ils quitteraient le gouvernement sur-le-champ si la création d’un Etat palestinien  » devait être discutée  » au cours d’un Conseil des ministres. Une menace à prendre au sérieux, puisqu’ils l’ont déjà fait en 2002. En outre, le Mafdal et l’Union nationale comptent 14 sièges à la Knesset (parlement). S’ils décident de passer à l’opposition pour empêcher la discussion de la  » feuille de route « , Sharon se retrouverait aussitôt en minorité. Donc, forcé d’envisager de nouvelles élections, sauf si les travaillistes décidaient de remplacer l’extrême droite au gouvernement.

 » La solution est envisageable mais pas dans l’immédiat, estime la chroniqueuse politique Rina Matzliah. Car, pour l’heure, l’Avoda est bel et bien ancré dans l’opposition. Dans quelques mois, la situation sera cependant différente, puisque la course au leadership de ce parti est ouverte et que Mitzna est plus que contesté.  » Affaiblis et divisés, les travaillistes donnent en effet un triste spectacle. En minorité au sein du bureau de son parti, où il ne dispose que de 7 voix  » sûres  » sur 20, Mitzna ne dirige plus grand-chose en dehors de son propre secrétariat. Chacune de ses initiatives est vertement critiquée par les partisans du retour de leur formation au sein d’un cabinet d’union nationale et qui font, tel Shimon Peres, publiquement campagne contre lui.

Jour après jour, les commentateurs se délectent de cette mise à mort politique faite d’humiliations publiques (les membres du bureau de son parti attaquent Mitzna en présence des caméras de télévision) et de petites phrases assassines lâchées par Peres et par les membres de son clan. Pour la plupart des éditorialistes, les jours de Mitzna à la direction du parti travailliste sont d’ailleurs comptés.  » Les élections municipales de novembre prochain pourraient être une occasion d’autant plus idéale de s’en débarrasser que Mitzna risque de perdre le maïorat de Haïfa, dont il est le bourgmestre depuis 1993, et que son parti ne s’attend pas à des résultats mirobolants, affirme le chroniqueur Hanan Krystal. En coulisse, les candidats potentiels à sa succession s’agitent en tout cas beaucoup.  »

Que les travaillistes participent ou non au gouvernement, Sharon continuera de gérer en direct avec Washington le dossier de la  » feuille de route « . En outre, il n’a pas l’intention de modifier les options militaires définies la semaine dernière avec le ministre de la Défense Chaoul Mofhaz, et qui consistent à accentuer les opérations dans la bande de Gaza. Officiellement, Tsahal a reçu l’ordre de  » démanteler coûte que coûte l’infrastructure du Hamas  » et d’empêcher le tir, par des membres de cette organisation, de roquettes artisanales  » Kassam  » sur la ville israélienne de Sderot située dans le désert du Négev.

En douze jours, 42 Palestiniens (dont plusieurs enfants) et un soldat israélien ont ainsi trouvé la mort. Les accrochages se multiplient autour des colonies juives (on en compte de 2 à 3 par jour) mais l’armée de l’Etat hébreu donne beaucoup plus d’ampleur à ses incursions, qui la mènent régulièrement jusqu’au centre de Gaza-ville ou qui durent désormais plusieurs jours, comme ce fut le cas au début de la semaine à Beit Hanoun, un village du nord de la bande de Gaza, où le Hamas avait placé certains de ses lance-roquettes.

A en croire les propos tenus mercredi par Mofhaz au cours d’une visite impromptue organisée à Netzarim et à Gouch Katif (deux des colonies israéliennes de la bande de Gaza), cette politique devrait se poursuivre dans les semaines à venir et, sans doute, durant l’offensive américaine sur l’Irak, que le responsable israélien de la Défense situe  » à la mi-mars « .  » Nous n’excluons pas de reconquérir des morceaux de la bande de Gaza, car la sécurité des Israéliens passe avant tout le reste « , a-t-il notamment déclaré.  » Nous devons écarter le danger des « Kassam », quel qu’en soit le prix.  »

Serge Dumont

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