Les Empereurs du Milieu

Loup, où es-tu? Voilà les Hurlus qui débarquent!

Ils se considèrent eux-mêmes comme des ouvriers du football. Ils évoluent dans le même registre: généreux dans l’effort, ils se mettent au service de l’équipe au lieu de chercher l’exploit individuel. Ils occupent aussi la même position: demi défensif, avec un léger penchant vers la droite. Avant le derby hennuyer entre La Louvière et Mouscron, Alan Haydock et Steve Dugardein se sont rencontrés amicalement sur terrain neutre.

Ouvriers du football, est-ce une définition qui vous convient?

Dugardein: Pour ma part, oui. Mais j’ai l’impression que, depuis que je me suis défini ainsi, beaucoup de personnes s’imaginent que je ne sais pas jouer au football mais seulement courir et tacler. Or, je suis aussi capable d’adresser des passes et même d’inscrire des buts.

Haydock: Dans le travail du bois, il y a des bûcherons et des ébénistes. Je n’irai pas jusqu’à me considérer comme un bûcheron, mais en football il faut des joueurs avec des qualités différentes pour former une équipe. J’aime évoluer dans l’entrejeu, où l’on ne se voit jamais accorder un moment de répit. J’ai besoin d’être actif pendant 90 minutes.

Le travail et l’engagement permettent-ils de compenser les lacunes techniques?

Haydock: Steve et moi, nous connaissons nos qualités et nos défauts, et nous jouons en fonction de cela. Nous savons que nous sommes incapables de dribbler quatre hommes dans un mouchoir de poche. Et, donc, nous n’essayons même pas. Nous n’avons sans doute pas le talent pour faire carrière dans un grand club européen, mais nous pouvons réussir une honnête carrière au niveau belge. Ce n’est pas l’ambition qui manque. A ce jour, je n’ai pas encore reçu d’offre d’un ténor.

Dugardein: C’est pareil en ce qui me concerne. Je n’ai reçu qu’une seule proposition intéressante: à 17 ans, Bruges m’a contacté. Ai-je raté le coche? Peut-être. Mais je ne me considère pas comme un footballeur limité. Sinon, je ne jouerais pas de façon ininterrompue en D1 depuis six ans et demi. Mon travail n’est peut-être pas toujours apprécié à sa juste valeur. Du moins, par certaines personnes. J’ai été apprécié par tous les entraîneurs avec lesquels j’ai travaillé. Pas toujours par le grand public, qui s’extasie plutôt sur les actions d’éclat qu’il voit à la télévision. J’ai bénéficié d’un peu de publicité en début de saison parce que j’avais inscrit trois buts en deux matches. Pas pour le travail de sape que j’accomplis à longueur de semaines.

Pourtant, on semble apprécier le travail de Timmy Simons, qui est cité parmi les favoris pour l’obtention du Soulier d’Or.

Dugardein: J’ai beaucoup de respect pour ce qu’il réalise. Jouer autant de matches complets d’affilée, c’est un fameux exploit. Mais, lorsque je le vois jouer, je me demande s’il est tellement plus fort que moi.

Haydock: Il a la chance d’être entouré et d’évoluer dans une équipe du niveau de Bruges. En équipe nationale, il a aussi livré de bonnes prestations. Mais, lorsqu’il jouait à Lommel, personne ne le connaissait. S’est-il à ce point métamorphosé?

L’amour du maillot disparaît

On peut vous considérer comme de véritables clubmen: une race en voie d’extension…

Haydock: Cela vaut surtout pour Steve, qui n’a jamais connu que Mouscron au cours de sa carrière. Personnellement, j’aurais pu être assimilé au RWDM si le club n’avait pas été victime des péripéties que l’on connaît. Aujourd’hui, je me sens bien à La Louvière et j’ai envie de rester longtemps au Tivoli. L’amour du maillot a tendance à disparaître. C’est dommage, car l’esprit de groupe peut permettre de gagner des points.

Dugardein: Il y a trois ou quatre ans, je me serais bien vu quitter Mouscron si une proposition réellement intéressante m’était parvenue. Aujourd’hui, j’ai perdu l’envie d’aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs. Je constate d’ailleurs que beaucoup de joueurs qui sont partis, l’ont regretté. Actuellement, Jonathan Blondel pleure pour revenir. D’autres, comme Yves Vanderhaeghe, reviennent voir un match au Canonnier chaque fois que l’occasion leur en est offerte. C’est la preuve qu’on n’est pas si mal à Mouscron.

Haydock: Mbo Mpenza a joué au Standard, au Sporting Lisbonne et à Galatasaray. Mais, pour retrouver sa condition et son statut d’international, c’est à Mouscron qu’il a choisi de revenir. Ce n’est pas un hasard. L’Excelsior est un club où il m’aurait plu d’évoluer. J’avais d’ailleurs pensé y aboutir, à l’époque où j’ai quitté le RWDM, mais cela ne s’est pas concrétisé.

Vous avez tous les deux été international dans les catégories inférieures, mais ces sélections sont restées sans lendemain au niveau de l’équipe nationale A.

Haydock: J’avais, en effet, été international Espoir. Pour franchir un palier supplémentaire, lorsqu’on n’est pas un surdoué, il faut avoir la chance de disputer quelques bonnes prestations au bon moment, afin d’être repéré. Pourquoi Joris Van Hout a-t-il abouti à Anderlecht et pas un autre joueur? Et, d’Anderlecht à l’équipe nationale, il n’y a souvent qu’un pas.

Dugardein: J’ai été international Junior et j’ai également disputé un match avec les Aspirants, contre la France. En début de saison, on parlait de moi pour les Diables Rouges. Puis, j’ai subi un léger passage à vide, et c’est comme si j’avais perdu toutes mes qualités. Défendre ou attaquer?

Cela vous gêne-t-il lorsqu’on qualifie La Louvièred’équipe défensive?

Haydock: Un peu. Car, à force de s’entendre répéter qu’il ne savent que défendre, les joueurs finiront par croire qu’ils sont incapables d’attaquer. Or, dans certains matches, nous nous créons beaucoup d’occasions. La concrétisation fait souvent défaut. A l’exception de Frédéric Tilmant, qui n’a pas besoin de 36 occasions pour marquer, nous n’avons pas de véritable buteur. Alors, nous devons essayer de prendre un maximum de points avec le peu de buts que nous inscrivons. Nous jouons en fonction des joueurs dont nous disposons, et jusqu’à présent, cela nous a réussi puisque nous avons remporté pas mal de points. Alors, pourquoi changer? Je conçois que le spectacle n’est pas toujours d’un très haut niveau, mais l’objectif est le maintien.

A Mouscron, c’est un peu le contraire: on a parfois reproché à l’Excelsior de jouer la fleur au fusil…

Dugardein: C’est en train de changer depuis quelques semaines. Nous avons mis fin au brevet d’invincibilité du GBA à domicile, qui durait depuis plus d’un an, parce que nous avons préservé nos filets inviolés. La semaine dernière, à St-Trond, nous avons évolué avec trois demis récupérateurs: Geoffrey Claeys, Tidiany Coulibaly et moi-même. Cela nous a permis de ramener un point de ce périlleux déplacement. Lorenzo Staelens a retenu la leçon des cuisants échecs subis à Anderlecht et à Bruges, où nous avons peut-être évolué de manière trop audacieuse. C’est l’une des caractéristiques de notre nouvel entraîneur: il n’hésite jamais à changer de tactique. D’un match à l’autre, parfois aussi en cours de match.

Cela doit vous changer du conservatisme de Hugo Broos?

Dugardein: Si Lorenzo Staelens a souvent modifié son équipe, c’est aussi parce qu’il y a été contraint par les blessures et les suspensions. Mais il n’y a pas que cela, c’est clair. Avec Hugo Broos, on savait toujours à quoi s’attendre: c’était le 4-4-2, point à la ligne. Notre entraîneur actuel s’adapte davantage: à l’adversaire, aux conditions de jeu, aux joueurs dont il dispose. Il est très malin, sent très bien le jeu, voit directement où le ballon va aller. Ce que j’apprécie chez Lorenzo Staelens, c’est qu’il a conservé toute sa simplicité malgré le palmarès qu’il s’est forgé comme joueur. Il se fond dans le groupe, est à l’écoute de nos opinions, accepte nos remarques bien que la décision ultime lui incombe. On sent qu’il était encore joueur il y a peu de temps. Il n’est pas rare qu’il nous dise: – A votreplace, j’auraisréagidelamêmemanière! Suprématie régionale

Quel est l’enjeu d’un derby entre La Louvière et Mouscron, lorsque les deux équipes se situent dans le ventre mou du classement?

Dugardein: Il y a toujours une certaine suprématie régionale en jeu. Etre le premier club hennuyer, et même wallon, c’est flatteur. Ces dernières années, Mouscron a souvent été le porte-drapeau du football wallon, et nous avons progressivement pris goût à ce titre honorifique. Pour l’instant, les trois points gagnés sur le terrain contre Mons sont toujours comptabilisés. Mais, si nous devions les perdre, cela m’ennuierait de voir l’Albert passer devant nous au classement. Il en va de même avec La Louvière. Personnellement, j’ai toujours adoré disputer des matches pareils. Peu importe que le stade du Tivoli soit vétuste et ceinturé d’une piste d’athlétisme: l’ambiance est là. Et, entre les supporters, il règne toujours une certaine convivialité malgré la rivalité. Mouscron ne conserve pas un bon souvenir de son dernier déplacement à La Louvière: c’est là que, la saison dernière, notre série de 13 matches consécutifs sans défaite a pris fin.

Haydock: C’est vrai qu’entre les supporters des deux camps, il y a souvent une ambiance bon enfant. Des jumelages sont d’ailleurs organisés entre différents clubs de supporters. Avant le coup d’envoi, des échanges de fanion ont parfois lieu. Lorsque nous affrontons Charleroi, la rivalité est beaucoup plus féroce. L’ambiance sera certainement folklorique pour la venue de l’Excelsior. Mais ce ne sera jamais qu’un match à trois points.

Comment jugez-vous la saison de votre club?

Dugardein: Le calendrier est agencé de manière curieuse cette saison: lorsqu’on en a terminé avec les présumés gros bras comme le Standard, Genk, Anderlecht et Bruges, et qu’on pense avoir fait le plus difficile, on se voit subitement confronté au Lierse, à St-Trond et à Lokeren, qui sont classés dans le Top 4. Mouscron est resté invaincu face à ces trois révélations. C’est positif, mais ces trois matches nuls ne nous font guère avancer au classement. Pour que ces résultats aient une réelle valeur, il faudra les compléter par des victoires face aux équipes plus modestes qui se présenteront face à nous dans les semaines à venir. Lorsque nous pouvons compter sur l’entière du groupe, j’estime que l’Excelsior possède l’un des plus beaux effectifs de la D1. Malheureusement, les blessures ont joué un grand rôle jusqu’à présent.

Haydock: De mon côté, je regrette que La Louvière ne parvienne plus à être aussi intransigeante à domicile que la saison dernière. Nous avons réalisé nos meilleurs résultats en déplacement, lorsque nous pouvons nous appuyer sur une bonne organisation. La différence par la mentalité

Dans l’absolu, que vous inspire le déroulement de la saison actuelle en D1?

Haydock: Hormis Bruges, qui semble être au-dessus du lot, aucune équipe ne parvient réellement à marquer le championnat de son empreinte. Genk ne reproduit plus le football qui était le sien la saison dernière. Anderlecht a tendance à patauger ces dernières semaines. Le Lierse, St-Trond et Lokeren font office de révélations, mais la question se pose: ces équipes sont-elle subitement devenues aussi redoutables ou occupent-elles une position avantageuse parce qu’un nivellement par le bas s’est opéré? Nous avons gagné et perdu des matches, mais nous n’avons jamais été surclassés cette saison.

Dugardein: Bruges est, effectivement, la seule équipe qui nous ait réellement dominé cette saison. Nous avons été battus 5-1 et pourtant, jusqu’à la mi-temps, nous avions bien tenu le coup. Je suis étonné par une telle domination, car les Brugeois doivent faire face à une accumulation de matches liée à leur participation à la Ligue des Champions. Je m’attendais à ce qu’ils laissent des plumes en championnat. Or, c’est tout le contraire qui se produit.

Qu’est-ce qui explique cette domination de Bruges?

Dugardein: Question de mentalité. A Bruges, chacun se bat pour les autres. Je ne retrouve pas cela à Anderlecht. On sent, au Sporting, qu’à certains moments tous le monde n’a pas envie de courir. Dans la Venise du Nord, chacun se met au diapason. Je n’ai jamais vu Alin Stoica courir autant que depuis qu’il porte le maillot bleu et noir.

Haydock: Le noyau de Bruges est aussi très complet. Le danger vient de partout. Lorsqu’on prend toutes les précautions pour contrer un joueur qu’on juge redoutable, c’est un autre qui fait la différence.

Comment jugez-vous un joueur comme Alin Stoica, dont le style de jeu est à l’opposé du vôtre?

Dugardein: C’est vrai qu’on le juge souvent sur trois actions d’éclat, alors qu’on loue plutôt mon travail sur 90 minutes. Mais une équipe a besoin d’un joueur comme lui. Seulement, il faut alors des joueurs comme Gaëtan Englebert ou Timmy Simons derrière lui pour réaliser le travail de sape. C’est pareil à St-Trond: on s’extasie, à juste titre, sur les exploits de Danny Boffin, mais on oublie trop souvent les kilomètres que parcourent Wouter Vrancken ou Peter Delorge dans l’entrejeu. Pour effectuer une comparaison avec un autre niveau: que serait Pavel Nedved à la Juventus s’il ne pouvait pas compter sur Davids et Tacchinardi derrière lui?

Haydock: Chacun a un rôle. Alin Stoica ne touchera parfois que trois ballons sur un match, mais s’il se sert de l’un d’eux pour adresser une passe géniale ou inscrire un but somptueux, on ne parlera que de cela.

Cela vous dérange-t-il que ce type de joueur bénéficie de plus de publicité que vous?

Haydock: Parfois, on ne met pas assez en valeur les travailleurs de l’ombre, dont le rôle est important. C’est dommage, mais on n’y changera rien.

Dugardein: J’ai joué fréquemment avec des éléments plus enclins à réaliser le geste technique ou l’action offensive qu’à défendre: Dominique Lemoine autrefois, Dejan Mitrovic plus récemment. Cela ne m’a jamais dérangé. Il faut de tout dans une équipe. J’admire un joueur comme Josip Skoko, qui est capable de tout faire:il peut défendre mais aussi créer. De mon côté, j’ai appris à jouer simplement. C’est mon label à moi. Je ne peux pas me considérer comme un meneur de jeu. J’essaye de faire circuler le ballon par des passes simples. Chacun doit jouer avec ses qualités. Si je ne réalise jamais d’arabesques, c’est parce que papa et maman ne m’ont pas transmis ce don-là.

Daniel Devos

« Beaucoup de respect pour Simons, mais est-il tellement plus fort que moi? » (Dugardein)

« Les Loups vont finir par croire qu’ils sont incapables d’attaquer » (Haydock)

« On a pris goût au titre honorifiquede porte-drapeau du football wallon » (Dugardein)

« Lorsque nous affrontons Charleroi, la rivalité est très féroce » (Haydock)

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