» Nous étions en légitime défense « 

L’ancien patron de la Brigade Antigang française, Robert Broussard, dirigeait l’opération qui avait en-traîné la mort du truand en 1979. Pour la première fois, il s’exprime au sujet des deux films aujourd’hui en salles. Il s’indigne de la scène finale, qui reprend la thèse de l’assassinat, et fustige le silence des autorités policières et judiciaires.

Vous aviez décidé de garder le silence lors de la sortie des films sur Mesrine. Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ?

Cela fait presque trente ans que cette affaire revient dans l’actualité et j’en ai assez. Il y a eu des films, des documentaires, des livresà Face au déferlement médiatique de ces dernières semaines, il ne servait à rien de s’exprimer, les dés étaient pipés d’avance. Je ne voulais pas tomber dans le panneau de la provocation avec des personnes venues pour en découdre sur les plateaux de télévision. Maintenant, j’ai vu les deux films, et j’estime que les choses vont trop loin. Si je souhaite m’exprimer, c’est que je ne suis pas le seul en cause. Au-delà de ma seule personne, c’est la police dans son ensemble qui est salie. De nombreux anciens collègues, présents porte de Clignancourt avec moi au moment de la mort de Mesrine, m’ont fait part de leur ras-le-bol. Les faits sont présentés de façon mensongère et partisane, sans que cela suscite de réaction du côté des pouvoirs publics. De ce point de vue, nous ne pouvons que regretter le silence radio du ministère de l’Intérieur.

Vous espériez une réaction officielle de Michèle Alliot-Marie, ministre française de l’Intérieur ?

En trente ans, je n’ai pas reçu le moindre soutien public ni d’un ministre de gauche ni d’un ministre de droite. La hiérarchie policière s’est montrée tout aussi discrète. Cette absence de prise de position est d’autant plus étonnante que, depuis 2006, il y a une vérité judiciaire définitivement établie. La Cour de cassation a clairement affirmé qu’il y avait eu des sommations et que les policiers étaient en situation de légitime défense. Bref, pour la justice, nous n’avons pas tué Jacques Mesrine de manière préméditée. Or, malgré cette décision, certains continuent de parler d’assassinat ou d’exécution.

Et que dit le ministère ?

Il y a environ trois semaines, j’ai été appelé par un membre du cabinet de la ministre. A propos des films, il m’a dit en substance :  » On ne peut pas laisser passer ça, nous allons étudier la manière de réagir publiquement.  » Depuis, j’attends…

De l’avis presque général, ces films sont très bons et ne présentent pas Mesrine comme un héros. Que leur reprochez-vous ?

Je craignais que l’on ne fasse de lui une sorte de Robin des bois. Objectivement, ce n’est pas le cas. En tant que policiers, nous disions à l’époque que c’était un tueur. De ce point de vue, les films nous donnent raison. Ils montrent sa violence et sa détermination. Dans le rôle de Mesrine, Vincent Cassel accomplit une performance remarquable. Sauf que je n’ai pas compris les 20 kilos qu’on lui a fait prendreà C’est ridicule, on dirait une femme enceinte ! Le vrai Mesrine était grand et costaud. Il dégageait une impression de puissance et d’assurance. Cela dit, je ne veux pas critiquer Cassel, pas plus que l’acteur qui interprète mon rôle, puisque je n’ai pas eu le moindre contact avec eux ni avec qui que ce soit lié au film.

Ça vous a choqué ?

Ce qui me choque surtout, c’est le fait que des épisodes peu glorieux sont occultés, et qu’on ne parle presque jamais des victimes. Trois exemples : la prise en otages du directeur d’une agence bancaire et de sa famille ; les blessures d’une touriste anglaise lors de l’attaque du casino de Deauville ; la tentative d’enlèvement, pour l’abattre, du président de la cour d’assises de Paris, Charles Petit. Mesrine lui reprochait de l’avoir fait condamner et il a voulu se venger. Quand il s’est rendu au domicile du magistrat, celui-ci n’était pas là. Mesrine s’est alors comporté comme un vulgaire voyou, en présence de la petite-fille du magistrat, une gamine aspergée de gaz lacrymogènes. Mais le plus grave, dans cette suite d’erreurs ou d’omissions, reste la mise en scène de notre intervention porte de Clignancourt.

Mesrine a bien été abattu par la police. Pourquoi contester une réalité que le film dépeint de manière très forte ?

La scène finale est dégueulasse – il n’y a pas d’autre mot – à plus d’un titre. Je le redis encore une fois : je n’avais pas reçu l’ordre d’abattre Mesrine, je n’ai pas ordonné à mes hommes de l’exécuter et j’assume la responsabilité de cette opération. Ceux qui ont tiré, positionnés à l’arrière du camion, ont agi en conscience, pour éviter un carnage. Or le film les présente comme un peloton d’exécution. Il occulte totalement le fait qu’ils ont crié :  » Police ! « . Le camion avait pour mission de bloquer la voiture de Mesrine. Les policiers présents à bord devaient protéger leurs collègues au sol, qui devaient, eux, l’interpeller. Pour nous, c’était un dispositif qui n’avait rien d’exceptionnel. Quand Mesrine s’est senti coincé, il s’est penché vers la gauche et a entrouvert la portière de sa BMW, au lieu de mettre les mains sur le tableau de bord. Il avait à ses pieds deux grenades défensives, un revolver à la ceinture, plus quatre autres chargeurs de dix balles ! Les gars du camion ont ouvert le feu car ils ont eu le sentiment que leurs collègues étaient en danger, ce qui était vrai. Eux aussi en ont assez d’être traités d’assassins !

Je crois vraiment que Mesrine a voulu tenter le tout pour le tout. D’ailleurs, je me suis souvent demandé s’il n’était pas emporté, à l’époque, dans une sorte de fuite en avant suicidaire. Ce qui m’a mis hors de moi en regardant le film, c’est aussi le coup de grâce [dans le film, un policier anonyme tire une dernière balle dans la tête de Mesrine, après la fusillade]. J’ai trouvé ce passage malhonnête. En dehors des tireurs du camion, il n’y a eu qu’un seul coup de feu venant de l’extérieur ! La balle en question a été retrouvée dans l’aile de la voiture. Le coup de grâce est donc une invention totale. Encore une fois, ce n’est pas ma version, mais celle, définitive, de la justice. Elle aussi est bafouée dans cette histoire, sans que personne, à la chancellerie, s’en indigne. Je sais, on va me dire :  » C’est de la fiction.  » Mais à partir du moment où mon nom apparaît dans de telles circonstances et sans la moindre autorisation, ce n’est plus de la fiction, c’est de la diffamation.

Le film a du succès. Il a donné lieu à de multiples émissions auxquelles vous avez refusé de participer. La plupart d’entre elles ne vous ménagent pasà

J’ai même été traité de psychopathe par un psychologue venu disserter sur le cas Mesrine ! Pour cette émission comme pour d’autres, je me réserve le droit d’engager des poursuites. Sans parler de toutes les fois où l’on évoque un  » assassinat « . Avec mes ex-collègues, nous nous étonnons d’ailleurs qu’un avocat continue d’employer ce terme, alors que la justice a tranché.

Le Mesrine du film et le vrai, celui que vous avez connu, sont-ils ressemblants ?

Je suis l’un des rares policiers à lui avoir parlé en tête à tête. C’était en 1973. Nous avions eu dix à quinze minutes de conversation, dans les locaux de la police. Nous nous étions parlé librement. Il m’avait fait part de ses projets d’évasion et m’avait dit avoir du respect pour moi.  » Tu vois, m’avait-il lancé, on est de la même année, on a fait l’Algérie tous les deux, on n’est pas du même côté de la barrière, mais on se respecte.  » Il l’avait d’ailleurs écrit dans une lettre à l’une de ses compagnes. Il était ressorti de cet entretien que nous étions adversaires, mais pas ennemis. Après, au procès, il avait eu sa célèbre formule, alors que je témoignais à la barre :  » Je vais m’évader, et si on se retrouve dans la rue, le premier qui tirera aura raison. T’es d’accord, Broussard ?  » En regardant le film, je me dis que le réalisateur n’a peut-être pas saisi toute sa psychologie. Il passe notamment trop vite sur la guerre d’Algérie et sur le meurtre des gardes forestiers au Canada. Là, il y a eu, pour Mesrine, un vrai basculement. Il a atteint un point de non-retour, avec du sang sur les mains.

Et votre personnage, joué par l’excellent acteur belge Olivier Gourmet ?

Il campe un personnage un peu falot. C’est le droit du réalisateur de me voir comme ça, mais faut-il pour autant tricher avec les faits ? Pourquoi, par exemple, me faire courir comme un dératé vers la porte de Clignancourt, alors que je me trouvais à quelques mètres de l’action ? Est-ce une manière d’éviter que je sois là au moment fatidique et me dissuader ainsi d’engager des poursuites ? Si Mesrine était là aujourd’hui, je suis sûr qu’il dirait :  » Nous n’étions pas des mecs comme ça. « 

Propos recueillis par Pascal Ceaux et Jean-Marie Pontaut

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